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Intervention de Monsieur P.H. Gouyon, durant la conférence/débat du 11 mai 2007, sur le thème : « OGM : simple avancée technologique ou véritable choix de société ? La politique de la recherche en question ».

Pierre-Henry Gouyon est ingénieur agronome de l’Institut National Agronomique de Paris-Guignon. Après avoir fait un doctorat en écologie, deux thèses dont l’une en génétique et enfin un DEA en philosophie, il est recruté comme enseignant à l’INA en 1976. En 1988, il est nommé professeur à l’Université de Paris-Sud. Il a depuis assuré différentes fonctions au sein du conseil de département des sciences de la vie du CNRS (il a notamment été directeur scientifique adjoint en 2000-2001) et du Comité opérationnel

d'éthique dans les sciences de la vie du CNRS. Il a été "Managing editor" du Journal of Evolutionnary Biology, journal de la Société européenne de biologie et évolutive. Il a été directeur du laboratoire UPS-CNRS d’« Ecologie, Systématique et Evolution », ainsi que professeur à l’Université Paris-Sud jusqu'en 2005. Actuellement, il est (depuis 2006), professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris et conserve ses fonctions de professeur à l'INA P-G et à l'École Polytechnique, où il dirige la majeure Éco-sciences (depuis 1996) et est vice-président du département de Biologie. Il est également membre du Comité national de la recherche scientifique, de divers comités de l'Agence nationale de la recherche, du comité d'éthique de l'INSERM (Ermes), du Comité de biovigilance du Ministère de l'Agriculture, du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot, du Conseil scientifique du CRIIGEN et de diverses autres instances.

« L’histoire des OGM m’a amené à réfléchir sur ce que font les scientifiques avec les plantes, et donc en guise d’introduction, j’aimerais parler d’un vieux mythe : le mythe de Dédale. Dédale était l’ingénieur de Minos. Ce dernier voulait épater ses frères et pour cela, il emprunte un taureau à Zeus et finalement, il décide de ne pas lui rendre. Zeus se venge et rend la femme de Minos, Pasiphaé, follement amoureuse du taureau. Minos a l’esprit large et il autorise sa femme à copuler avec le taureau. Dédale doit alors trouver un moyen pour qu’ils puissent copuler ensemble. Il fabrique une vache en cuir et met Pasiphaé dedans. Le taureau n’y voit rien et cela fait le premier OGM… Le Minotaure. Comme il est dangereux, Dédale construit un labyrinthe. Mais il est encore trop dangereux alors Thésée décide de s’en occuper mais la question est de savoir comment il va ressortir. Ariane qui est folle amoureuse de Thésée demande à Dédale comment on sort du labyrinthe et il lui donne le coup du fil. Cette idée fonctionne mais comme c’est un garçon très distrait, il oublie Ariane en repartant. Minos dit que tout ceci est la faute de Dédale et il l’enferme dans son propre labyrinthe. Dédale est une personne qui trouve une technique et comme il y a un problème, il trouve une autre technique pour le résoudre, et comme il y a encore un autre problème, il trouve une autre technique pour résoudre le problème de la technique… Comme il est dans son labyrinthe, il se dit qu’il va construire des ailes avec son fils Icare, et vous connaissez la fin, Icare meurt et Dédale passe le restant de ses jours à se lamenter.

Vous voyez que l’idée de cette course sans fin sur la technique n’est pas nouvelle du tout. Tout le débat aujourd’hui est de savoir si on se dit : « on va quand même se lancer [dans les OGM], car sinon on s’ennuie » Car en effet, certains scientifiques se disent qu’il faut se lancer et sont asservis à tout ce qui concerne les industriels. Je tiens à dire que je ne considère pas les OGM comme le diable mais la manière dont ils sont utilisés est dangereuse. La deuxième chose que je voudrais vous dire est que la biologie est une science empirique qui ne peut prédire ce qui va se passer dans une certaine situation que si elle a déjà était confrontée à cette situation un grand nombre de fois. C’est donc une science qui a besoin de beaucoup de résultats. Je ne peux pas vous dire si les OGM sont dangereux mais ceux qui vous disent qu’ils ne le sont pas sont des menteurs. Mais ils se mentent à eux-mêmes, et ils sont convaincus que ce qu’ils disent est vrai. Certains scientifiques vous disent qu’ils savent ce qu’ils mettent dans leur maïs, qu’ils connaissent le gène qu’ils mettent, alors que par les croisements, on ne sait pas. Cependant, cela fait des milliers d’années qu’on croise des maïs et on sait que ça va produire du maïs mais si on prend un gène de bactérie, on ne sait pas ce que cela va donner. Que se passe-t-il maintenant avec la dispersion ? On se pose la question, jusqu’où vont les pollens qui sortent d’un champ de maïs ? On fait alors une petite manip’, avec des maïs à grains bleus car c’est très pratique quand cela se croise avec d’autres maïs à grains jaunes, car on peut les reconnaître. On peut donc compter la proportion de grains bleus qui sont arrivés dans le champ. Avec cette manip’, je trouve que presque tout le pollen tombe dans les dix premiers mètres. Mais un peu plus loin on en a encore. On refait une autre manip’, mais avec des capteurs à 100 mètres, puis à 200 mètres, puis 300 mètres puis encore plus loin… Et on trouve toujours du pollen. On s’est alors rendu compte que le pollen peut partir et retomber plus loin, mais il peut aussi partir vers le haut, dans les turbulences de l’atmosphère. Des manip’ avec des avions ont été faites, et on a découvert que ce qui limite l’expansion du pollen, c’est exclusivement la duré de vie du pollen dans l’air. On sait maintenant que des contaminations à plusieurs kilomètres sont possibles et même très grandes. Donc il est impossible de limiter les contaminations, la seule solution est d’empêcher les champs OGM de se mettre à moins de 10 kilomètres de votre champ. La deuxième chose est que les OGM qui sont aujourd’hui cultivés sont soit résistants à des herbicides, soit résistants à des insectes. Le problème est qu’on veut rendre les plantes résistantes à des herbicides mais avec la dissémination, il y aura des OGM partout et on ne pourra plus se débarrasser de ces plantes. De plus, on a fait ça avec des plantes comme le colza ou la betterave qui s’hybrident avec des mauvaises herbes et donc on aura rendu résistants aussi les mauvaises herbes. Enfin le dernier point terrifiant concernant la dissémination est l’aspect du brevet sur le vivant. Etant donné le droit de brevet à l’international, si je met un gène dans une plante et que je brevette mon produit, alors personne n’a le droit de cultiver la plante sans mon accord. J’ai donc un champ avec des gènes brevetés. Je laisse le vent faire. Le pollen va contaminer le champ d’à côté. Si le paysan a le malheur de ressemer ses semences, le détenteur du brevet peut dire qu’il n’a pas le droit de les réutiliser. A l’échelle mondiale, c’est un problème monstrueux. Je suis propriétaire d’un gène, je sème ma plante, je laisse le vent agir et je suis propriétaire de toute l’espèce. Donc, derrière cela, il y a le problème de la possession de toute les ressources génétiques de la planète.

Le problème de la dissémination est très large mais aujourd’hui la menace qui plane est vraiment cette notion de brevet du vivant. »