Voulez-vous vivre éternellement?

Aubrey de Grey croit savoir comment vaincre le vieillissement. Il est brillant, mais est-il fou ?

Par Sherwin Nuland

Article complet disponible sur le site du Technology Review

Nuland a rencontré Aubrey de Grey à Cambridge, et en rapporte ses impressions.

Pour lui, le personnage a indéniablement des capacités intellectuelles extraordinaires . Il s’explique très clairement, selon une logique apparemment imparable. Il fait également preuve d’un grand talent d’organisateur. Et «il n’est pas homme a laisser ses qualités sous le boisseau », manifestant parfois un orgueil démesuré: pour lui, rare sont les individus en mesure saisir la portée scientifique et sociétale de ses idées, c’est pourquoi il accuse aisément ses opposants d’ignorance. Cependant, il est impossible de ne pas l’aimer ; «  mais les excentriques les plus aimables sont parfois les plus dangereux. »

Pour Nuland, le succès d’Aubrey de Grey tient non seulement à sa personnalité fascinante, mais aussi au contexte social actuel : son travail coïncide avec l’arrivée à la retraite de la génération issue du baby-boom, qui lui fournit un public de choix.

Par ailleurs, l’auteur émet quelques remarques sur sa méthode de travail :

Aubrey de Grey est vague sur les termes scientifiques, qu’il utilise comme des slogans.
Il fait des effets d’annonce, parle d’utiliser des molécules qui ne sont pas encore découvertes , comme les « substances ou enzymes capables de détruire des liaisons croisées sans toucher au reste. "
Il n’a jamais effectué la moindre expérience, et cela ne le trouble pas.
L’approche de de Grey est celle d’un ingénieur : il identifie les composantes physiologiques du vieillissement et traite chacune indépendamment. Par là, de Grey sous-estime la complexité des systèmes biologiques. En effet, les individus ne sont pas des machines, et modifier un processus pourrait avoir des conséquences sur le reste du système.
Au-delà de la faisabilité des projets évoqués, Sherwin Nuland s’interroge sur leur bien-fondé : est-ce une bonne chose pour nous de pouvoir vivre indéfiniment ? L’accès à la vie éternelle ne marquerait-il pas le triomphe du narcissisme ?
Il s’en ouvre à Aubrey de Grey, et se voit opposer une argumentation bien construite, à laquelle il ne trouve rien à répondre. Cette logique lui fait peur: « Si jamais nous sommes amenés à disparaître, ce sera par la faute de scientifiques bien intentionnés, convaincus qu’ils ont agi en notre intérêt à tous. »

De plus, la conception de la nature humaine exprimée par de Grey le met mal à l’aise : par exemple, de Grey affirme que le désir d’enfants n’est pas inné, mais un besoin créé par la socialisation. Les enjeux du débat sont immenses: pour Nuland, de Grey « a profondément remis en cause notre conception de l’humanité. »