Comment remédier à une pénurie en eau à Barcelone ?

Situation

Avec 5,5 millions d'habitants, Barcelone est la deuxième ville d'Espagne. Un Barcelonais consomme de 150 à 180 L d'eau par jour, la moyenne mondiale étant de 137 L par jour et par personne.

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Introduction


En résumé


La Catalogne a été récemment confrontée à l'une des plus graves sécheresses de son histoire récente ; ainsi, en février 2008, les 5,5 millions d’habitants de Barcelone ont été soumis à des restrictions en eau : il leur a été interdit d'utiliser l'eau pour laver leur voiture ou remplir leur piscine. Ce sont plusieurs années consécutives de forte sécheresse, une urbanisation galopante nécessitant un approvisionnement en eau de plus en plus conséquent, et le développement d’une agriculture intensive et d’un tourisme massif, tous deux très consommateurs d’eau, qui auraient en particulier contribué à la pénurie.

Pour faire face à une demande de 30 millions de m3 d’eau par mois de la part de la capitale catalane, Jose Luis Zapatero, président du Gouvernement espagnol, approuve le 18 avril 2008 la construction d’une canalisation de Tarragone à Barcelone destinée à abreuver cette dernière d’une partie des eaux de l’Ebre. De plus, des bateaux-citernes en provenance de l’usine de dessalement de Carboneras en Andalousie, de Tarragone et de Marseille viennent en aide à Barcelone dès le mois de mai.

Mais il a plu en abondance sur la Catalogne en mai 2008. Assez pour sortir les Barcelonais de l’état d’urgence décrété en février, mais pas suffisamment pour éteindre un débat envenimé très politisé et qui fait rage depuis des années : la gestion de l’eau. Le gouvernement espagnol mise beaucoup sur le dessalement de l’eau de mer, non sans rencontrer d’obstacles du reste : l’usine d’El Prat de Llobregat devrait fournir à Barcelone 200 000 m3 d’eau par jour, et ce dès juin 2009. Les circonstances ont aussi remis sur la table un dossier vieux d’une soixantaine d’années : il s’agit du pharaonique projet d’aqueduc souterrain LRC (Languedoc-Roussillon-Catalogne) qui acheminerait une partie des eaux du Rhône jusqu’à Barcelone.

La Catalogne et l’Espagne ont révélé leur état d’impréparation face à une telle pénurie en eau. La controverse porte sur les moyens de remédier à une éventuelle pénurie en eau en Catalogne, région historiquement très peu arrosée, et plus particulièrement à Barcelone. Nous comptons examiner chaque solution proposée, ainsi que les questions techniques, environnementales, économiques et politiques soulevées.

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En détails


L’Espagne est, selon l’ONU, le pays le plus aride d’Europe. Ainsi, dans un contexte de réchauffement climatique, un tiers du territoire espagnol, dont la Catalogne, est menacé de désertification. Comme les 45 millions d’Espagnols, les 5,5 millions de Barcelonais essuient régulièrement des sécheresses plus ou moins graves. La Catalogne, communauté autonome du nord-ouest de l’Espagne, dont Barcelone, la deuxième ville du pays après Madrid, est la capitale, est une région historiquement très peu arrosée.

Des circonstances récentes ont confirmé que la satisfaction des besoins en eau des Barcelonais, et de ceux des 7 millions de Catalans plus généralement, dépendait complètement du temps qu’il faisait ; de quoi en effrayer plus d’un. Et c’est un peu la pluie et le beau temps qui, jusqu’à présent, ont guidé, non seulement le gouvernement espagnol, mais aussi le gouvernement catalan, connu sous le nom de Généralité de Catalogne (Generalitat de Cataluña en espagnol), en matière d’approvisionnement en eau des habitants de la région de Barcelone. Les gouvernements précédents, aussi bien centraux que catalans, ont apporté à chaque fois – c’est-à-dire à chaque période de crise – seulement des solutions provisoires au problème, en misant à chaque fois sur la clémence du temps. Mais tout ceci est bien téméraire. Il se pose désormais la question de solutionner le problème de façon durable, c’est-à-dire de prendre, maintenant qu’il pleut et bien qu’il n’y en aurait a priori aucun besoin, des décisions destinées à assurer les habitants des quantités d’eau adéquates à toute période de l’année – et indépendamment du temps qu’il fait – et à éviter les décisions prises à la hâte, tantôt que la sécheresse se fera pesante et la situation critique. Mais quels moyens pour remédier à une pénurie en eau dans la région de Barcelone ?

Depuis toujours, Barcelone puise son eau dans les deux principaux fleuves de Catalogne, le Llobregat et surtout le Ter. Mais ces fleuves sont mineurs et se transforment en ruisseaux en période de sécheresse. En 1909 a été construite une station pour pomper l’eau de l’aquifère du Llobregat. Mais cet aquifère est de plus en plus polluée et s’épuise inexorablement. Et ce n’est pas le réchauffement climatique qui va arranger les choses. Assurément, Barcelone doit trouver autre chose.

Nous avons choisi Barcelone et la Catalogne d’abord parce qu’il s’agit d’une région qui souffre naturellement du manque d’eau. Le dynamisme de la région, une agriculture hyper productiviste et un tourisme de masse (l’Espagne est le deuxième pays le plus visité au monde), qui n’en est souvent pas moins luxueux, viennent ajouter à la complexité du problème et à l’acuité de la question dans cette région.

La contradiction soulevée il y a peu et à juste titre par un membre de la direction d’Acuamed, principal instrument du gouvernement espagnol en charge du programme de l’eau, y prend tout son sens : « en raison du climat et des longues heures d’insolation, nous avons un secteur touristique florissant et une agriculture très productive. Et justement à cause de ce merveilleux climat, nous avons peu d’eau ». De plus, le nombre d’habitants de la ville de Barcelone augmente fortement, en particulier depuis les Jeux olympiques d’été de 1992 qui se sont déroulés à…Barcelone. C’est un port en pleine croissance qui connaît une urbanisation galopante. Les besoins en eau n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Rien que pour ses habitants, Barcelone a besoin de 25 millions de m3 d’eau par mois. Il faut ajouter à cela les besoins de l’agriculture et du tourisme, tous deux grands consommateurs.

D’autre part, il ne fait aucun doute que la Catalogne a un poids politique important en Espagne ; et elle en a bien conscience. Les relations entre le gouvernement central et la Generalitat sont souvent complexes et tendues : celle-ci n’est en effet pas du genre à laisser Madrid lui dicter des consignes. En ce qui concerne les aspects politiques de la controverse, il y a donc bien deux niveaux à explorer.

Pendant près de quatre ans en Espagne a sévi une sécheresse d’une intensité sans précédent. Il a fait très sec dès 2004 et la sécheresse a atteint son paroxysme en hiver et au printemps 2008. Et là, beaucoup ont cru à la catastrophe. Interdit de laver sa voiture et de remplir sa piscine dès février 2008. Le gouvernement a attendu, attendu, mais comme il ne pleuvait toujours pas sur la Catalogne, il a fallu prendre une décision. Mais laquelle ? Quelques jours d’avril 2008 ont suffis pour remettre sur la table d’anciens dossiers aux côtés de plus récents. Quatre solutions ont été envisagées par le chef du gouvernement, le socialiste Jose Luis Zapatero, et son gouvernement. Dans ce site, nous examinons chaque solution proposée, ainsi que les questions techniques, environnementales, économiques et politiques soulevées.

A la mi-avril 2008, à la demande d’Agbar (Aguas de Barcelona), société espagnole qui distribue l’or bleu à Barcelone, il fut prévu que des bateaux-citernes en provenance de Marseille et de Tarragone (un port de 150 000 habitants au sud de Barcelone, toujours en Catalogne) viennent abreuver la capitale catalane de la mi-mai à la mi-août 2008, à raison de 1,66 million de m3 d’eau par mois, soit 6% des besoins de Barcelone. Cette solution est très coûteuse : le transport du m3 d’eau coûte 13 euro !

Le 18 avril 2008, Zapatero approuve le projet de transfert d’eau de Tarragone à Barcelone : il s’agit de construire en 6 mois, et dès que possible, 62 km de canalisations entre Tarragone et Barcelone. Comme il existe déjà des canalisations entre le delta de l’Ebre et Tarragone, le projet revient finalement à détourner une partie des eaux de l’Ebre. Les communautés de Valence et de Murcie, au sud de la Catalogne, ainsi que le Parti populaire, historiquement fort dans ces deux communautés d’ailleurs, crient au scandale.

En effet, à son arrivée au pouvoir en 2004, Zapatero avait annulé le Plan Hydrologique National, adopté trois ans plus tôt par son prédécesseur, Jose Maria Aznar, du…Parti populaire. Ce plan prévoyait justement l’acheminement d’une partie des eaux de l’Ebre vers les communautés de Valence et de Murcie. En 2004, Zapatero adopte, lui, le Programa Agua. Il promet de ne pas transférer d’eau d’un bassin hydrologique à un autre ; il préfère privilégier le dessalement de l’eau de mer. En 2004, Valence et Murcie s’étaient donc déjà senties lésées, et voilà qu’en 2008, le gouvernement veut dévier l’Ebre vers leur pire ennemi, la Catalogne ! On saisit bien l’ampleur des enjeux politiques de la question…

Une autre solution, c’est le dessalement. Mais en avril 2008, la méga usine d’El Prat de Llobregat, à côté de Barcelone, est encore en travaux. Elle devrait entrer en service mi-2009 et fournir à elle seule 200 000 m3 d’eau par jour, soit quatre fois plus que ce qu’apportent les bateaux par exemple. Cela correspond à la consommation d’eau quotidienne d’un quart de la population de Barcelone. Ce sera la plus grande usine de dessalement d’Europe.



En avril 2008, on reparle aussi pour la nième fois d’un projet des plus controversés, un projet vieux comme le monde, le projet LRC (Languedoc-Roussillon-Catalogne), qui prévoit la construction d’un aqueduc souterrain de 320 km de Montpellier à Barcelone. De la même façon que pour l’Ebre, cela revient à détourner une partie des eaux du Rhône. Ce projet, on en parle depuis les années 1960, mais il n’a jamais pu être réalisé. Les négociations ont toujours échoué car la Catalogne a, en règle générale, toujours semblé préférer l’indépendance en matière d’approvisionnement en eau, sauf urgence bien sûr. Et les négociations entre Georges Frêche, président du Conseil régional de Languedoc-Roussillon (Divers gauche), et le socialiste Jose Montilla, président de la Generalitat, échouèrent une fois de plus au cours de l’été 2008. Le 19 janvier 2009, Georges Frêche a semblé très clair : « le projet d’aller jusqu’à Barcelone est définitivement abandonné ».

Mais est-ce si clair ? Aller jusqu’à Barcelone, non, mais jusqu’à Perpignan, oui ! C’est le projet d’artère littorale souterraine Aqua domitia. Des canalisations relieraient Montpellier à Perpignan. Georges Frêche compte atteindre cette-dernière d’ici 2013. « Nous pouvons ainsi protéger notre région contre les risques climatiques et le changement de climat éventuel sur les cinquante années qui viennent », a-t-il affirmé le 19 janvier 2009. L’Espagne semble avoir été mise à l’écart dans cette affaire, mais a-t-elle vraiment dit son dernier mot ?

Toujours est-il qu’il a providentiellement beaucoup plu sur la Catalogne en mai 2008. Le niveau de ses réserves d’eau est ainsi passé de 25 à 60%. Les bateaux-citernes ont circulé trois semaines au lieu de trois mois et le projet de transvasement de l’Ebre a été annulé début juin 2008. Le dossier Rhône est une fois de plus enterré en n’attendant que d’être exhumé et s’il y a une constante depuis quelques années dans le paysage hydrologique espagnol, c’est bien le programme de dessalement de l’eau de mer. Le gouvernement semble le suivre imperturbablement, et cela pourrait être non sans danger d’ailleurs…



trois approches possibles


Pour explorer le problème et essayer d’y voir un peu plus clair, car le sujet peut paraître au lecteur fort entremêlé à première vue, nous lui proposons dans ce site trois approches :

  • Si vous aimez l’histoire, si vous êtes à l’aise avec les frises chronologiques et que vous désirez avoir un aperçu temporel de l’évolution des choses, choisissez l’approche historico-chronologique !

  • Si l’histoire vous lasse et que les accumulations de dates ne vous ont jamais dit grand-chose, optez pour l’approche par solutions envisagées. Pour chacune d’entre elles, vous pourrez vous informer sur les enjeux techniques, environnementaux, économiques et politiques de la controverse.

  • Si, pour vous, ce sont les grands hommes qui font l’histoire, alors n’hésitez pas, choisissez l’approche par acteurs ! Vous découvrirez alors les ficelles de la controverse grâce aux points de vue de chacun sur chaque question.

Mais le lecteur se pose peut-être une autre question, une question qui semble englober toutes les précédentes, la bonne question peut-être. Avec le Portugal et l’Italie, l’Espagne est un des plus grands consommateurs d’eau européens. Pour l’instant, elle a toujours plutôt privilégié une gestion de l’eau par la demande. En résumé, cela signifie qu’il y a des besoins, et qu’on les satisfait à tout prix sans se préoccuper de leur bien-fondé. Et une gestion par l’offre alors ? En résumé, cela signifie que chacun, dans la mesure du possible, adapte ses besoins à ce qu’on lui donne. Et à l’heure des économies et du réchauffement climatique, le passage, du moins progressif, de la première à la seconde façon de gérer les ressources en eau, semble nécessaire. De quoi déplaire à l’Aragon par exemple, qui prévoit de faire pousser une ville-champignon en plein désert, avec des hôtels, des terrains de golf et pas moins de 32 casinos. Mais quelles eaux pour alimenter cette nouvelle Vegas ? Les eaux de l’Ebre…

Sur ce site, nous vous proposons donc aussi de vous intéresser au problème de la gestion de l’eau en Espagne, un problème en filigrane et qui n’en demeure pas moins crucial.