Comment remédier à une pénurie en eau à Barcelone ?
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La gestion de l’eau en Espagne


En résumé

Aïe, la gestion de l’eau, c’est là où le bât blesse. Trouver des solutions qui résolvent les problèmes l’espace d’un mois est une chose, gérer l’eau durablement en est une autre. A qui appartient l’eau ? A qui appartiennent les rivières ? C’est à qui de décider ? La démocratie ne sous-entend-elle pas le partage de l’eau ? Y a-t-il plusieurs sortes d’eau ? Qu’est-ce qu’avoir besoin d’eau ? En voilà des questions, et pas des moindres.





En détails


1. Qu’est-ce que la Nouvelle Culture de l’Eau ?


Tout au long du XXe siècle en Espagne, la gestion de l’eau a lieu dans une optique de gestion de la demande : là où des utilisateurs ont besoin d’eau, des projets sont réalisés pour apporter la ressource. Ces projets ont de lourdes conséquences écologiques et sociales, avec des vallées inondées à chaque construction de barrage. Jusque dans les années 1990, ce mode de gestion de l’eau n’avait pas été remis en question. C’est alors l’intervention de Pedro Arrojo, professeur d’économie à l’université de Saragosse et lauréat du Prix Goldmann 2003, dans les villages des Pyrénées où de nombreux projets de barrages sont en cours, qui transforme le désespoir des populations en révolte. C’est lui qui introduit la notion de nouvelle culture de l’eau. Il est actuellement président de la Fundacion Nueva Cultura del Agua (Fondation Nouvelle Culture de l’Eau), fondée en Espagne en 1998 par un groupe composé surtout de professeurs et de chercheurs. La fondation a pour but d’inscrire la gestion de l’eau dans une vision de développement durable. Elle organise les congrès ibériques sur la gestion et la planification de l’eau, diffuse des informations et propose des solutions pour améliorer la gestion de l’eau en Espagne.

Extrait du Manifeste de Fondation de la Nouvelle Culture de l’Eau :

Une des clés de cette Nouvelle Culture de l'Eau passe par le concept de conservation. La conservation non seulement de la qualité physico-chimique des eaux, mais aussi de la qualité dans une perspective écosystématique. Préserver la fonctionnalité des rivières, des rives et des zones humides suppose de donner des perspectives de durabilité aux richesses et aux services environnementaux qu'elles nous offrent, à commencer par la disponibilité renouvelable de ressources hydriques de qualité.
Une autre clé, sans doute, réside dans l'efficience. Passer des traditionnelles stratégies d'offre à de nouvelles optiques basées sur la gestion de la demande, suppose de repositionner sérieusement des concepts aussi basiques du mode de gestion encore en vigueur, comme celui de la demande, traditionnellement conceptualisé comme une variable indépendante, que le gestionnaire doit simplement satisfaire. Redéfinir ce concept dans la rigueur de la Science Economique, comme une variable dépendante de plusieurs facteurs institutionnels, et tout particulièrement du prix, ouvre une optique radicalement différente qui offre plus de marges et d'options de gestion.
La troisième clé est certainement d'organiser l'intelligence collective sous la forme d'aménagement du territoire dans une perspective de durabilité. Il s'agit en fait d'intégrer la gestion de l'eau dans le territoire selon la logique du développement durable, comme nouvelle colonne vertébrale d'un concept rénové d'intérêt général.


2. Qui s’implique pour améliorer la gestion de l’eau en Espagne ?


En Espagne

En 1998 est créée la Fondation Nouvelle Culture de l’Eau (FNCA) pour répondre à cette problématique d’amélioration de la gestion de l’eau en Espagne.

Dans l’UE

Une initiative au niveau européen a fait écho à la FNCA avec la Directive Cadre de l’Eau, ratifiée par les Conseil et Parlement Européens le 23 octobre 2000, avec les objectifs suivants :

  • La récupération et la conservation du bon état écologique des rivières, lacs et aquifères, respectant des critères physico-chimiques, biologiques et morpho-dynamiques ;

  • Le bassin hydrographique est le cadre territorial de la gestion de l’eau. Les eaux côtières doivent être intégrées dans ce cadre, ainsi que les deltas et les estuaires ;

  • La mise en place de nouveaux critères de rationalité économique, avec la mise en place d’ici 2010 d’un prix de l’eau incitant à l’épargne ;

  • Favoriser une participation citoyenne active pour la recherche efficace de résultats.


3. Quelles sont les propositions et mesures prises à ce sujet ?


Voici les propositions de Pedro Arrojo, président de la FNCA, pour prévenir la sécheresse.

  • Remettre en bon état les nappes aquifères surexploitées ;

  • Réviser les concessions d’eau en même temps que l’on améliore l’efficacité, pour éviter de trouver de nouveaux usages pour l’eau économisée ;

  • Chaque permis d’urbanisation devrait requérir un certificat de garantie d’approvisionnement en eau en période de sécheresse ;

  • Promouvoir un plan de reconversion de l’agriculture d’irrigation, en diminuant progressivement la surface des cultures nécessitant une grande quantité d’eau ;

  • Limiter les usages illégaux d’eau par des campagnes de sensibilisation ;

  • Créer des communautés d’utilisateurs des eaux souterraines (qui les protègent eux-mêmes) ;

  • Accepter la sécheresse non pas comme une tragédie, mais comme une réalité avec laquelle il faut être toujours plus apte à vivre ;

  • Faire payer l’eau aux agriculteurs par m3, et pas par hectare ;

  • Mettre en place des politiques tarifaires qui incitent à économiser ;

  • Appliquer les technologies de dessalement, fiables et modulables ;

  • Drainer et gérer les eaux de pluie.


  • 4. Des entreprises conscientes de l’enjeu de la gestion de l’eau


    Présenter une politique d’amélioration de la gestion de l’eau est aujourd’hui très à la mode pour quelque entreprise espagnole que ce soit. Sur son site internet par exemple, on trouve des actions pour améliorer l’efficacité de telles politiques. Nous avons réalisé par téléphone une interview auprès d’ATLL (Aguas Ter Llobregat), entreprise qui, après l’avoir rendue potable, distribue l’eau à Barcelone, dont voici la retranscription, de l’espagnol au français :

    LUCIE Quels sont les projets en cours pour améliorer l’efficacité de la distribution d’eau à Barcelone ?

    ATLL Nous avons un plan de maintenance systématique et nos pertes sont très faibles (réseau efficace à 95%). Nous continuons les plans de maintenance en changeant constamment des portions de tuyauterie vétustes. Nous avons également de grands travaux en cours : la connexion des bassins du Ter et du Llobregat grâce à un tunnel traversant la montagne la Corcerola. Ce tunnel permettra de relier les eaux du Ter et du Llobregat, ainsi que l’usine de dessalement.

    LUCIE Quel est l’objectif de ce projet ?

    ATTL Cette connexion permettra d’envoyer de l’eau du Ter vers le Llobregat, ou le contraire, selon les besoins de chaque bassin, d’avoir un réseau qui permette toujours d’emmener l’eau là où elle est nécessaire, sans prêter attention à l’origine de la ressource.

    LUCIE Vous considérez qu’il n’y a pas d’amélioration à faire en plus de ce projet au vu de l’efficacité du réseau de distribution à Barcelone ?

    ATLL Nous avons construit une unité d’électrodialyse réversible dans la station de traitement du Llobregat, ce qui améliorera la qualité de l’eau du Llobregat ; elle a été inaugurée tout récemment.

    LUCIE Encore une question : qu’en est-il de la réutilisation des eaux résiduelles ?

    ATLL La station de traitement du Llobregat comporte un programme de purification des eaux usagées. Nous avons un projet de pomper cette eau en amont de Barcelone et de la réintégrer dans le cours du Llobregat pour la réutiliser, mais il n’est pas encore en marche.


    5. Quels obstacles la Nouvelle Culture de l’Eau rencontre-t-elle ?


    Voici ce qui bloque, de nos jours encore :

    • L’Espagne est un des pays les plus arides d’Europe ; la région d’Almeria est, elle, la plus sèche d’Europe. On réclame une adaptation de la Directive Cadre de l’Eau, directive européenne, au cas particulier de l’Espagne. Pedro Arrojo estime que la Directive est tout à fait louable dans ses intentions, mais qu’elle ne se dote malheureusement pas des outils nécessaires à son application ;

    • L’eau, c’est tabou en Espagne. Les affaires trainent, les délais ne sont pas respectés, en particulier pour la délimitation des bassins hydrographiques ;

    • Toute tentative se heurte à un manque de participation ;

    • Les affaires trainent, trainent, jusqu’à ce que de nouveaux objectifs, contradictoires, viennent les sortir de leur inertie : ce qui a été entrepris mollement et n’a pas été mené à bien est ainsi démonté farouchement en un tour de main ;

    • Que sont les fameuses « conditions de bon état écologique » ? Elles dépendent du lieu et du climat ; toujours est-il qu’elles ne sont pas claires et qu’elles permettent ainsi des abus ;

    • En Espagne, il y a trois politiques, l’Europe, l’Etat, la Communauté. Parfois, elles manquent d’intégration, de cohérence, de lien.


    • 6. L’interview de Pedro Arrojo dans le magazine sur l’environnement Terre à Terre du 19 février 2005


      lien : le site de terre-à-terre où nous avons trouvé cette interview.

      Différents types d’eau

      L’eau, c’est à qui ? Notre-Dame-de-Paris, c’est à qui ? L’Alhambra, c’est à qui ?, questionne Pedro Arrojo, l’actuel président de la FNCA. Difficile à dire. Selon Pedro Arrojo, il existe plusieurs types d’eau, qu’il appelle tour à tour « eau vie », « eau sociale », eau business ». Pour l’« eau vie », il donne le chiffre de l’ONU : 30 L d’eau par jour et par personne. Pour l’« eau sociale », ou « eau publique », celui de 150 L par jour et par personne : il s’agit d’eau utilisée dans l’intérêt général (assainissement par exemple). Quant à l’« eau business »… Pedro Arrojo prend l’exemple de la région d’Almeria, en Andalousie, la plus sèche d’Europe. Là-bas, une personne consomme la quantité exorbitante de 3000 L d’eau par jour, soit 17 fois plus que les 180 L acceptables, les seuls auxquels l’homme puisse légitimement prétendre, les seuls auxquels il ait droit. L’« eau business », ce n’est pas un « droit humain », répète-il, réclamer de l’eau pour ses quelques 27 000 ha de serres, pour ses hôtels et ses golfs au nom de ses droits d’homme, c’est aller trop loin, c’est de la « démagogie ». Il est hors de question de mettre en danger les écosystèmes et de faire le moindre sacrifice au détriment de la nature et des êtres humains pour satisfaire à des besoins qui n’en sont pas, des besoins d’ « eau business ».

      L’eau : plus qu’une ressource

      « Pouvez-vous un instant imaginer Paris sans la Seine ? », questionne Pedro Arrojo. L’eau, c’est plus qu’une simple ressource, l’eau rassemble, l’eau tisse des liens, l’eau est accueil, l’eau est beauté. Comme la forêt, c’est un véritable patrimoine. Aujourd’hui, ces valeurs, ces symboles perdraient de leur force, de leur sens. On a de nos jours une approche toujours plus productiviste avec l’eau, mais c’est regrettable, affirme-t-il. Bien sûr, ce business est nécessaire, mais c’est loin d’être une priorité.

      L’eau : un statut particulier

      Pedro Arrojo rappelle que les pertes en eau s’élèvent à 40% en Espagne, un chiffre exubérant. Et pourquoi se permettre avec l’eau ce qu’on ne se permet pas avec le lait, l’huile d’olive, le pétrole, pour lesquels les pertes sont quasiment nulles ? Mais, « sous l’Europe de la folie, il y a l’Europe de la solidarité » : c’est ensemble qu’on fera meilleur usage de notre or bleu.



      Suite de la controverse : Nous vous proposons un tout autre type d'approche de cette controverse, l'Approche par Acteurs