Nous avons décidé d'introduire une autre catégorie dans ce panorama de la société. La Grande Guerre est en effet aussi un évènement culturel de première ampleur.
Stéphane Audoin-Rouzeau, s'inscrivant dans la lignée de ses prédécesseurs les historiens Jean-Jacques Becker et Pierre Renouvin, se réclame d'une "histoire culturelle" ? Même si le sens de l'adjectif n'est pas le même que celui qui nous préoccupe içi, il est troublant de remarquer que beaucoup de témoignages auquel fait appel l'historien sont issus d'intellectuels, ou du moins de personnes "cultivées", dont la profondeur de l'analyse et la spécificité du témoignage en font à la fois la force et la faiblesse.
Audoin-Rouzeau cite ainsi, entre autres Henri Barbusse, mais aussi Ernst Jünger. La redécouverte des ouvrages de ces deux auteurs parmi d'autres marque bien un intérêt nouveau pour la Guerre de la part d'une certaine partie de la société.
La Guerre n'est alors vue qu'à travers le témoignage des gens de lettre ou des croquis des combattants. Plus que la Guerre elle-même, c'est l'expérience de la Guerre qui est étudiée, peut-être même ressentie. La Première Guerre Mondiale comme "expérience extrême".
C'est aussi ce qui explique sans doute la préférence globale du public que nous avons appelé "culturel" pour les thèses d'Audoin-Rouzeau et de Becker.
La Grande Guerre redevient alors la matrice culturelle de tout le XXe siècle, et ce non pas seulement par ses conséquences ultérieures, au premier rang desquelles le mouvement dada ou le surréalisme. Cette thèse, pour l'instant assez nouvelle semble prendre de plus en plus d'ampleur avec la redécouverte, par exemple, du Feu de Barbusse et d'Orages d'acier de Jünger.
Plusieurs études consacrées à ces ouvrages proposent de découvrir la figure du combattant sous un autre jour. Dans le Feu, Barbusse décrit en effet sans détour la peur atroce du combattant ainsi que le sentiment d'horreur infinie que lui inspire le champ de bataille. Jünger, lui, met plutôt l'accent sur l'émotion du jeune combattant, l'ardeur de l'assaut et la satisfaction d'abattre l'ennemi. Deux oeuvres, deux parcours et deux figures de combattants différentes pourtant engagés dans le même combat.
La littérature, par exemple, devient donc le point de départ de l'histoire, sans nécéssiter de formation universitaire historique au départ.