Interview Mme Bavoux

Clarisse Bavoux, évaluateur toxicologue (Unité de l’évaluation du risque toxicologique et microbiologique) nous reçoit au siège de l’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) à Saint-Denis le mardi 18 janvier 2011.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, Mme Bavoux a souhaité nous communiquer quelques rudiments de toxicologie afin que nous appréhendions mieux la question de l’aluminium. Voici une restitution de son exposé.

 

1) Rudiments de toxicologie :

Nous, consommateurs, sommes exposés à ces substances au travers de produits de consommation courante. Ces produits sont subdivisés en catégories réglementées (médicaments pour lesquels il y a une règlementation particulière, produits ménagers = réglementation REACH, additifs et colorants alimentaires). Toutes ces substances peuvent créer un risque pour l’homme. Tout lancement sur le marché d’un produit nécessite qu’il réponde aux règlementations européennes – domaine où l’Europe est forte – appliquées en droit national. Nos références sont les directives européennes.

Les cosmétiques obéissent aussi à une règlementation. Pour être honnête, cette règlementation est peu exigeante. Environ 15000 substances sont susceptibles de rentrer dans la composition des cosmétiques que nous utilisons. La Directive Cosmétiques fixe des listes d’ingrédients qui doivent répondre à certaines exigences strictes (ingrédients soumis à restriction ou interdits strictement). Toutefois, elle ne concerne que quelques centaines de substances. Pour toutes les autres, non évaluées, le comité n’a pas la capacité de se pencher dessus (seule une dizaine de substances est passée au crible chaque année).

Par exemple: dans le cas des produits ménagers, la règlementation REACH inclut tous les secteurs non particuliers (autres que médicaments, cosmétiques, alimentaire, pesticides). Mise en place en 2009, l’objectif d’une telle règlementation était d’accélérer l’évaluation des substances chimiques, en évaluant de nouvelles substances chaque année. Désormais, il revient à l’industriel, s’il veut vendre une substance, de déclarer et prouver que dans les conditions d’utilisation de ses produits, les substances ne présentent aucun risque. Les industriels déclarent actuellement ces substances en fonction des données de toxicologie. Cette réglementation est donc intégralement basée sur la confiance aux industriels –puisque l’on ne dispose pas des moyens financiers permettant d’évaluer tous les produits sur le marché – et a en contrepartie le mérite de recenser de nombreuses données relatives à un tas de substances. Ces données permettent d’incrémenter un répertoire de données, accessible à toutes les nations européennes.

Pour les cosmétiques, le système est plus archaïque, puisqu’il s’agit d’évaluer le risque d’une substance, en caractérisant sa dangerosité (propriété intrinsèque à la substance) d’une part, et l’exposition de la population au contact d’une telle substance d’autre part. Une marge de sécurité est ensuite imposée pour le consommateur.

  • Le danger (explosif – toxique – corrosif…) d’une substance est évalué à l’aide de données de toxicologie.
  • L’exposition à une substance est quantifiée à l’aide d’enquêtes de consommation.

Le risque, notion très importante à percevoir, (probabilité d’être exposé à un danger), naturellement corrélé à la fréquence d’utilisation du produit (faible ou forte dose), découle de ces deux analyses. Pour ce qui est des effets sur l’homme, on devrait donc toujours parler en termes de risque. Abusivement, le terme de danger est majoritairement employé.

Dans le domaine des cosmétiques, toute substance peut être utilisée pour créer un cosmétique (sauf celles mentionnées dans la black liste). Un comité alors à recevoir des données pour évaluer la substance.

Pour évaluer le danger, il existe des études de toxicologie réalisées chez l’animal. On utilise ainsi l’animal pour prédire la toxicité chez l’homme (rongeurs-chiens qui sont de plus ou moins bons modèles pour l’homme suivant le type de toxicité étudiée).
De façon idéale, pour caractériser la toxicité on va évaluer différentes réactions (allergies, toxicité aigue, toxicité systémique=circulation dans le sang). Ces études sont définies suivant des référentiels internationaux (lignes directrices en toxicologie de l’OCDE  qui définissent des protocoles standards pour les expériences, de méthodes qui déterminent la validité d’une expérience + registre BPL (bonnes pratiques de laboratoire) ; le respect de ces textes assure une confiance dans l’étude). Ces références sont issues de réflexions de groupes internationaux.

Depuis quelques années, on observe le recours à des méthodes alternatives à l’animal, notamment dans le domaine cosmétique.

La recherche scientifique est active dans le domaine de l’aluminium (lié à une autre controverse, celle de la toxicité mise en évidence chez des malades insuffisants rénaux chez qui l’on a détecté des taux inquiétants de neurotoxicité pour finalement incriminer l’aluminium présent dans la solution de dialyse). Depuis, beaucoup d’équipes travaillent sur la neurotoxicité de l’aluminium.
A un moment, une équipe s’est posé la question du lien éventuel entre l’aluminium présent dans les cosmétiques et le cancer du sein. Ils ont  observé le développement de cancers dans le quadrant supéro-latérale chez des femmes utilisant des déodorants à base d’aluminium. Ils ont émis l’hypothèse que le déodorant pourrait être lié au développement du cancer du sein, et d’une substance qui est l’aluminium.

La Commission Européenne s’appuie sur les publications de ce groupe.
Très récemment, d’autres domaines règlementaires se sont intéressés à l’aluminium. Des instituts (canadiens notamment- EFSA) se sont penchés sur cette question. L’AFSSAPS s’est elle penché sur la sécurité de l’utilisation de l’aluminium avec des conclusions à venir : on a fait un travail sur la sécurité de l’emploi de l’aluminium en général et on a traité entre autres du cancer du sein. Ce travail sera ensuite remonté au niveau européen.

2) Questions posées

Quelle est votre position dans la controverse impliquant les déodorants et anti-transpirants à base de sels d’aluminium ?

Clarisse Bavoux : L’ensemble des travaux que l’on a menés à partir de ces différentes synthèses nous a permis de conclure qu’aucun élément pertinent ne permet de conclure quant au risque cancérogène de l’aluminium dans les déodorants.

Quelles sont les différentes opinions des acteurs de la controverse ?

Clarisse Bavoux : Deux camps se dessinent dans la communauté scientifique au regard de cette polémique, les pour et les contre :

  • En faveur d’un lin, ces équipes sont peu nombreuses. Une en particulier, l’équipe anglaise du professeur Darbre et une autre, américaine, équipe signant sous le nom MacGrath. Ces deux équipes examinent cette hypothèse essentiellement sous l’aspect de l’incidence de ces cancers et de l’utilisation fréquente de déodorants à base d’aluminium dans la population en général, dans cette population qui a développé des cancers  peut-être, mais n’ont jamais réalisé d’études mécanistiques ni de cancérogénèse chez l’animal. Ils publient régulièrement cette hypothèse, la réexpliquent tous les deux ans environ, mais il y a jamais de données expérimentales qui sont fournies. Ce n’est quand même pas très riche comme données.
  • De l’autre côté, je ne veux pas dire qu’il y a des gens contres, loin de là, je ne veux pas dire que je suis contre une hypothèse. Une hypothèse on la vérifie ou pas quoi. Il y a différentes instances réglementaires qui ont fait des synthèses des données existantes sur l’aluminium. Dans ces synthèses, vous trouverez différentes études de cancérogénèse sur l’aluminium qui ont été publiées et l’ensemble des instances règlementaires ont conclu sur l’absence de lien, entre l’exposition à l’aluminium et le cancer. Je mettrais quand même un bémol à cette affirmation qui est liée au fait qu’il faut reconnaître que ces études sont de très mauvaise qualité, très souvent. Ces études sont vieilles, dans les années 70, et cette mauvaise qualité est liée au fait que les différents référentiels n’existaient pas à cette époque […]. Dans ces études, très souvent on n’a qu’une seule dose. Or on ne montre rien avec une seule dose. Ce qui fait la toxicité d’une substance, c’est la relation effet/dose. C’est ça qui permet de montrer qu’une substance est toxique.

Il faut par ailleurs reconnaître que la majorité des études publiées sont de très mauvaise qualité car elles se révèlent anciennes où bien ne suivent aucun référentiel. A ce titre, il arrive très souvent qu’une seule dose de la substance ait été soumise à évaluation, ce qui ne permet pas de valider entièrement l’étude dans la mesure où elle ne met pas en exergue le lien effet/dose. Enfin, dans les années 90, une étude a été réalisée conformément au protocole mais elle n’a pas révélé d’effet cancérogène de l’aluminium dans les déodorants.

Je vous parle d’études réalisées par voie orale, Pour ce qui est des études systémiques (appliquées pour l’étude du cancer du sein), les laboratoires procèdent à des études par voie orale (rentre dans la circulation sanguine puis irrigue l’organisme) plutôt que par voie cutanée, beaucoup moins utilisée pour des raisons pratiques liées à l’expérimentation. D’autres études de cancéro sont des études par inhalation, où l’aluminium est cancérogène (CIRC-instance lyonnaise ; utilisation de donnes épistémologiques) lors de la production industrielle, au même titre que les poussières de bois par inhalation. L’aluminium peut-être cancérogène par inhalation dans le cas particulier de la production d’aluminium par voie industrielle. Ces process de fabrication sont cancérigènes […]. Les cancers développés sont des cancers du poumon et des cancers de la vessie. Il faut donc faire attention à la voie d’inhalation. […]

Toutefois, bien souvent, seules les industries ont les moyens de financer ces études. Les études sont très chères. L’AFSSAPS n’a pas les moyens de faire une étude de cancéro sur l’aluminium. On peut faire le choix de consacrer de l’argent à une substance qui pose problème, mais on peut pas le faire de façon systématique. On peut demander à des industriels de le faire pour nous.

Êtes-vous maître de vos axes d’études ou sont-ils dictés par des politiques nationales ?

Clarisse Bavoux : Il n’y a aucune exigence forte sur les substances. Les substances sont sur le marché et quand on a des inquiétudes, très souvent on se propose d’avoir une réflexion sur une substance. Ça peut venir de nous même du ministère de la santé, ça a été le cas pour l’alu en 2000 puis 2004, pour le risque via les médicaments et via les cosmétiques d’autre part. Pourtant, les axes de réflexion de l’AFSSAPS sont le fruit de leur propre initiative ou de directives gouvernementales. Par conséquent, ils font appel aux industriels afin qu’ils mènent des études pour leur compte, et sous leur contrôle. Ils disposent cependant des moyens pour les influencer : si l’AFSSAPS considère ne pas maîtriser les données, le laboratoire publie un taux d’absorption de 100%, présentant des risques élevés pour l’utilisateur. On nous a demandé de nous exprimer sur le sujet, on fait des synthèses et quand il le faut on demande aux industries cosmétiques de nous fournir des données […] On a une façon de les sanctionner avec nos outils de toxicologues. Si je maitrise mal les outils industriels, on agit de manière précautionneuse par précaution on peut très bien dire qu’on va utiliser un taux d’absorption de 100%.

Quel lien de causalité entre déodorants à base d’aluminium et cancer du sein soutenez-vous ?

Clarisse Bavoux : Il n’existe à priori aucune causalité démontrée entre le cancer du sein et l’exposition aux cosmétiques contenant de l’aluminium. L’analyse critique des données épidémiologiques n’ont pu mettre en évidence un quelconque risque par administration cutanée ou orale. Quelques études complémentaires pourraient conforter cette conclusion.

Remarque : l’approche bénéfice/risque n’est valable que pour les médicaments. Pour les cosmétiques, le bénéfice n’est qu’esthétique. Tout risque est donc inacceptable.

Quelles méthodes de preuve utilisez-vous ?

Clarisse Bavoux : Les principales méthodes de preuve utilisées par l’AFSSAPS sont réalisées par agrégation (études non réalisées) puis conclusions.

Nombre d’études son basées sur des données publiques, accessibles à tous. L’AFSSAPS n’a aucun à-priori sur les sources de ces études, seule la qualité est jugée sur des référentiels internationaux. Ce laboratoire tente de mener un travail critique tant sur les résultats industriels que les études publiques, qui bien souvent ne respectent pas, par ignorance, les référentiels européens. Dans le cas particulier de l’aluminium, il existe peu d’études qui, de surcroît, sont souvent de mauvaise qualité.

Quelle est votre conclusion sur cette polémique ?

Clarisse Bavoux : La conclusion sur cette polémique reste donc pour l’instant ouverte à discussion.  Cependant, une telle thématique cancer du sein/aluminium se présente actuellement comme de l’histoire ancienne car aucun nouvel élément de réflexion n’a été apporté au cours des dernières années. Désormais, la recherche se concentre essentiellement sur l’hypothétique neurotoxicité de l’aluminium. Cette controverse est donc close du point de vue des autorités règlementaires, mais d’autres acteurs continuent encore de l’alimenter  (informations sur internet, messages sensationnels dans la presse….). La rumeur, ou encore les associations à caractère polémique (RES : Réseau Environnement Santé) jouent ainsi un rôle essentiel. Toutefois, on peut leur reprocher de n’alerter que sur le danger en occultant le risque de ces cosmétiques à base d’aluminium.