Pourra-t-on un jour vérifier empiriquement la théorie de la matière noire ?

Actuellement, le principal problème scientifique consiste à trouver la particule qui rentrerait à la fois dans le modèle de la matière noire non baryonique et froide. Il existe de nombreux candidats, différenciés par leur masse et leur section efficace. On trouve par exemple les neutrinos, les axions, les WIMPs, les axinos, les particules super-symétriques, les gravitinos ou encore les WIMPzillas. Les WIMPs sont aujourd’hui la piste privilégiée car, étant donné leur faible niveau d’énergie, cela expliquerait pourquoi, malgré la sensibilité des instruments, la matière noire n’a pas été détectée.

S’il est si difficile de trancher aujourd’hui entre ces candidats, c’est que la théorie de la matière noire a atteint aujourd’hui un palier en terme de progression. La sensibilité des détecteurs ne permettait déjà pas de détecter la matière noire mais d’éliminer certains domaines de particules. Aujourd’hui, leur sensibilité n’est même plus suffisante pour éliminer avec certitude des candidats.

On aboutit au deuxième problème lié à la théorie de la matière noire : la falsifiabilité de la théorie. Pourra-t-on un jour mettre au point des détecteurs suffisamment sensibles pour la détecter, ou à défaut, pour prouver que la théorie est fausse ? Est-ce qu’une théorie non falsifiable peut être considérée comme étant vraie ? Il existe des théories scientifiques très élégantes mathématiquement, et approuvées par des scientifiques, mais qui sont infalsifiables à ce jour.

À ce jour, les particules recherchées ont un niveau d’énergie si faible que la sensibilité des détecteurs directs n’est pas suffisante. En effet, le bruit de fond est trop important par rapport aux signaux que l’on cherche à observer. Selon certains scientifiques, si les détecteurs directs de prochaine génération n’aboutissent à aucun résultat satisfaisant, on ne pourra peut-être jamais détecter la matière noire de cette manière. Nous avons rencontré Jean-Philippe Uzan, directeur adjoint de l’Institut Henri Poincaré, au cours d’un entretien. Celui-ci estime que les dernières données fournies par les expériences sont tellement noyées sous le bruit qu’elles sont inexploitables, même après traitement statistique. On considère aujourd’hui que pour qu’un signal soit significatif, il faut que ce signal soit dans l’intervalle de confiance à 5 σ, soit une probabilité de détection de 99,998 %.

Ces impossibilités d’établir clairement des preuves ou réfutations pour la théorie de la matière noire remettent en cause sa falsifiabilité. En effet, on ne peut pas dire avec certitude qu’une théorie scientifique est vraie. D’après J.P. Uzan, la science ne détermine pas la véracité d’une théorie, mais laquelle est la plus certaine. Elle est en revanche capable d’éliminer des théories : il suffit de trouver un contre-exemple. Si cela est impossible, on « compte les points ». Nombre de théories expliquant la matière noire sont totalement infalsifiables à ce jour car très théoriques. Selon Y. Mambrini que nous avons rencontré en entretien, il y a deux manières de construire une théorie scientifique. La technique top-down : on va du modèle à la prédiction ; et la technique bottom-up : on prend les données et on construit le modèle ad hoc à partir des données qu’on a. En période de disette expérimentale, les scientifiques ont tendance à élaborer des théories de type top-down, d’où la présence de théories infalsifiables.

Lorsque de telles théories sont élaborées, on comprend pourquoi sur les forums scientifiques, certains internautes vont jusqu’à comparer la science avec une croyance. Christian Magnan, astrophysicien français et sous-directeur de laboratoire honoraire au Collège de France, va dans le même sens. Il associe en effet les théories telles que la matière noires aux dérives de la science vers le « spiritualisme » et s’oppose à la méthode scientifique employée pour défendre la matière noire. Voici un extrait de son site web [1] :

Les théories qui se sont révélées puissantes, fécondes, ne sont jamais nées d’un souci purement explicatif. Ainsi, le système de Copernic n’a pas été conçu directement en vue d’expliquer le mouvement des planètes. La théorie de Newton n’a pas été conçue en vue d’expliquer le mouvement elliptique des planètes découvert expérimentalement par Kepler. La théorie d’Einstein n’a pas été conçue en vue d’expliquer la fuite des galaxies découverte plus tard par Hubble. Et lorsque l’expansion de l’espace a été proposée, elle était établie de façon assez solide pour ne pas être abandonnée du jour au lendemain au prétexte qu’elle fournissait un âge de l’Univers inférieur à celui de la Terre ! C’est d’un va-et-vient permanent entre théorie et observation que la science avance et fait des découvertes. Ce n’est sûrement pas par pur souci d’explication des observations (lesquelles, justement, sont presque toujours « discutables », ne serait-ce que dans leur interprétation). Les partisans de la matière noire ne font pas de la science : ils la desservent considérablement. Dans un tel contexte anti-scientifique, comment empêcher que des personnes se sentent autorisées elles aussi à proposer des explications irrationnelles, en avançant des arguments en faveur d’une physique que nous ignorerions encore ? Une physique qui transcenderait l’actuelle ? Comment éviter les dérives vers le spiritualisme ?

Bibliographie :

  • [1] Pages de Christian MAGNAN : Christian Magnan est sous-directeur de laboratoire honoraire du Colllège de France. Il est parmi ceux qui s’opposent à la théorie de la matière noire. Site consulté le 15/05/2017.