Conflit Scientifique

L’un des points les plus controversés autour du glyphosate repose sur ses effets sanitaires sur l’Homme. Or les différentes agences sanitaires qui se sont penchées sur la question ne sont pas toutes d’accord. Malgré sa commercialisation depuis 1975 par Monsanto sous la forme du Roundup, les études sur les glyphosates sont assez récentes. Les scientifiques ne commencent réellement à s’intéresser à ce produit qu’au milieu des années 80, soit dix ans après sa première mise sur le marché.

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De plus, ces études portent au début essentiellement sur son action herbicide et ne s’intéressent que très peu à son effet sur les animaux. Pour ce qui est des études concernant l’Homme, il faut attendre les années 2000.

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À partir du développement de ces études sur l’Homme, les agences sanitaires du monde ont pu rendre leurs recommandations concernant le glyphosate. Le désaccord entre les différentes agences et leurs réactions et commentaires respectifs est très intéressant pour comprendre la controverse d’un point de vue politique puisque les agenda scientifiques et politiques coïncident relativement bien.

Frise chronologique

Critères d'arbitrage

Au-delà de différences d'interprétations de certaines études par le CIRC ou l'EFSA, les rapports des deux agences diffèrent sur certains points qui donnent lieu à des reproches de part et d’autre. Rassembler les différents reproches faits aux agences ayant étudié le glyphosate permet d’analyser la pertinence des différents arguments scientifiques avancés.

La première différence entre la monographie du CIRC et le rapport de l’EFSA concerne les études prises en compte. Comme le résume le journaliste du Monde Stéphane Foucart[1] : « Comment expliquer les divergences de vue entre l’EFSA et le CIRC ? «Notre évaluation a pris en compte un certain nombre d’études non évaluées par le CIRC, ce qui explique en partie pourquoi les deux évaluations ont abouti à des conclusions différentes», dit-on à l’agence européenne basée à Parme (Italie). Ce qui est formulé quelque peu différemment au siège lyonnais de l’agence de l’OMS. ‘Notre méthodologie consiste à ne tenir compte d’études que dans la mesure où elles sont publiques, publiées dans des revues scientifiques avec révision par les pairs [c’est-à-dire une expertise préalable à la publication], précise-t-on au CIRC. Alors que l’EFSA examine aussi des résultats d’études industrielles non publiées.’ Vérité en deçà des Alpes, erreur au-delà… » L’EFSA considère donc la monographie comme étant une étude intéressante et la prend en compte dans son rapport final. Cependant, étant donné que l’EFSA accorde beaucoup d’importance aux études confidentielles fournies par les industriels[2], l’agence considère que cette monographie n’est qu’une première approche non exhaustive du sujet.[3]

Différence des produits étudiés

De plus, les produits auxquels s’intéressent ces études sont différents. Comme le rappelle C. Portier dans sa lettre au commissaire européen à la santé[4], l’EFSA ne s’intéresse qu’au glyphosate en tant que substance active du Roundup conformément au règlement européen. Or la monographie du CIRC[5], qui s’intéresse au glyphosate mais également aux produits à base de glyphosate, montre que l’action du glyphosate est renforcée par ses co-formulants dans le Roundup. Pourtant l’EFSA justifie qu’elle accorde moins de considération[2] à l’étude réalisée par l’agence de l’OMS, justement par l’élargissement de la monographie aux produits de formulation.

Comme le rappelle l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO) sur son site Internet[6], la décision de l’EFSA repose en très grande partie sur 3 études d’industriels sur des rats et des souris qui n’ont pas été publiées. Ces études sont confidentielles et les scientifiques du CIRC comme d’autres scientifiques indépendants ne peuvent y avoir accès afin de rendre leurs propres conclusions concernant ces études. C. Portier et le CIRC reprochent à l’EFSA et au BfR d’avoir observé dans ces études des hausses significatives de tumeurs chez les animaux de laboratoire mais de les avoir ignorées. L’EFSA se justifie en affirmant avoir adopté une méthode WoE (méthode du Poids de l’Evidence). Méthode consistant à ne pas considérer les résultats d’une étude de manière individuelle mais au contraire à analyser la recevabilité de l’étude et à accorder à ses résultats un poids adapté au sein d’un corpus composé de nombreuses autres études. Monsieur Portier considère non seulement que cette approche n’est pas justifiée dans le cadre de cette étude toxicologique mais de plus que les critères utilisés par l’EFSA pour justifier la non recevabilité de ces études sont erronés.

Intérêt des études cas-témoin

Pour ce qui est de l’étude menée sur l’AHS, seule étude de cohorte dans le dossier des 2 rapports, elle est considérée de manière différente selon les cas. En effet, l’EFSA s’appuie sur celle-ci et met en avant sa prévalence sur d’autres études de type cas-témoin Étude statistique qui compare un groupe de malades à un groupe sain, pour une maladie donnée, à la recherche de facteurs pouvant expliquer la maladie, notamment lors de l’exposition à une substance pour justifier qu’il n’y a pas de preuve de cancérogénicité du glyphosate sur l’Homme. À l’inverse, d’après le CIRC, comme l’explique S. Foucart[7], dans le cas précis du glyphosate, l’étude de cohorte n’est pas forcément plus adaptée que l’étude cas-témoin. En effet, contrairement au cas-témoin, cette étude peut difficilement déterminer précisément l’exposition des agriculteurs au produit. Le principe de cette étude est qu’elle détermine le niveau d’exposition par les réponses à un questionnaire, un algorithme détermine par la suite l’exposition associée. Il existe deux failles dans cet algorithme. Premièrement, dans un contexte d’exposition généralisée au glyphosate depuis son explosion au début des années 2000, il n’est pas évident qu’un agriculteur considéré comme non exposé ou peu exposé le soit véritablement. Secondement, l’algorithme prend en considération le port de d’équipement de protection individuel (EPI) lors de l’application du produit. Ce port d’équipement est associé par l’algorithme à une diminution de l’exposition de 60%. Or des études, notamment celles de A. Garrigou, montrent que ce n’est pas forcément le cas et même, qu’à l’inverse, un EPI peut augmenter l’exposition s’il est réutilisé alors qu’il a été contaminé par des pesticides.

À l’inverse du BfR et de l’EFSA, le CIRC choisit d’accorder une place particulière aux études cas-témoin, dont la plupart relient l’exposition au glyphosate avec l’apparition de cancer chez l’Homme. Ce choix, qui est critiqué par les agences européennes, est justifié dans l’étude de Infante, Melnick, Vainio, & Huff[2], qui affirme que les études cas-témoins correctement réalisées peuvent être plus scientifiquement correctes que des études de cohorte peu précises. C’est ce que semble confirmer le NAPP (North American Pooled Project) évoqué par S. Foucart[6], à paraître bientôt mais qui a d’ores et déjà communiqué sur ses résultats. Cette étude qui rassemble toutes les études cas-témoins d’Amérique du Nord conclut à un doublement de l’apparition de cancers non Hodgkiniens en cas d’exposition au glyphosate.

Enfin, l’arbitrage rendu par la JMPR (Joint Meeting on Pesticides Residues), associant la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United States) et l’OMS (l’organisation mondiale de la santé), concluant que le glyphosate ne présente probablement pas de risque cancérogène pour l’Homme, ne s’oppose pas à la monographie du CIRC de la même façon que les rapports de l’EFSA ou de l’ECHA. En effet, certains détracteurs du CIRC ont vu dans ce rapport le signe que l’OMS désavouait le rapport de son agence, car le CIRC est également rattaché à l’OMS. Or, le rapport JMPR porte sur l’évaluation des risques liés à l’exposition alimentaire au glyphosate. Il s’agit donc de la nuance entre la classification cancérogène et l’évaluation des risques de cancérogénicité dans un cas particulier[8].

Ainsi, il existe une différence réelle entre la position du CIRC et celle de toutes les autres agences gouvernementales ou européennes. Cependant, plusieurs membres de la communauté scientifique[9] tendent à accorder plus de crédit à l’analyse du CIRC qu’à celle des autres agences. Cela tient principalement à la manière dont sont réalisées ses monographies. Le CIRC crée un Groupe de Travail constitué de scientifiques et d’experts indépendants, spécialistes du sujet, afin d’éviter les conflits d’intérêts, qui sont chargés de constituer le dossier de ce que sera la monographie finale. Cette méthode prévient les accusations pour conflits d’intérêts qui ont miné la crédibilité du JMPR, dont le président et le vice-président ont travaillé pour l’ILSI, lobby contrôlé par Monsanto et d’autres entreprises chimiques. Malgré ces précautions l’un des experts du groupe de travail, C. Portier, est tout de même accusé, par des opposants au CIRC[10], d’avoir influencé sur la décision du CIRC pour l’intérêt des lobbies environnementalistes. De la même façon, les Monsanto Papers ont remis en question la transparence et la crédibilité du travail du BfR et donc, par la même occasion, de l’EFSA et de l’ECHA.


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Bibliographie