Santé

Au cœur de la controverse, les effets du glyphosate sur la santé des êtres vivants sont activement discutés au sein de la communauté scientifique. Cette discussion, qui n’a pas encore trouvé d’issue certaine, justifie l’imbroglio qui réside sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate à l’échelle européenne.

Depuis le lancement du Roundup sur le marché en 1975 par la firme américaine Monsanto, puis l’expiration de son brevet en 2000, entraînant sa commercialisation par de nombreuses autres sociétés, le glyphosate a fait l’objet de nombreuses études scientifiques. Parmi ces dernières, nombreuses sont celles qui ont essayé de mesurer l’impact de cette molécule sur l’organisme humain. Elles ont notamment comme objectif de déterminer le caractère cancérogène ou non du produit. Plusieurs laboratoires indépendants se sont intéressés à la question du glyphosate, mais également des organismes associés à des organisations mondiales telles que l’OMS ou agences gouvernementales. L’objectif est de déterminer la classification adaptée pour cette molécule. Cette classification détermine la possibilité de vente des produits contenant du glyphosate. La communauté scientifique est divisée sur ce sujet ce qui explique non seulement la difficulté de compréhension de la controverse par le grand public, mais également les désaccords politiques autour de cette question.

Un tour d’horizon des différentes positions scientifiques est donc indispensable pour appréhender la question du glyphosate dans son ensemble.

Différentes agences scientifiques

La communauté scientifique est divisée entre les agences considérant que le glyphosate est probablement cancérogène, et celles qui soutiennent qu’il ne peut être associé avec le développement de cancers. Les agences ayant publié sur la question sont les suivantes :

  • Le CIRC (ou IARC en anglais) : pour Centre International de Recherche sur le Cancer. Cet organisme de recherche rattaché à l’OMS (Organisation Mondiale pour la Santé). Il a publié en 2015 une monographie[1] portant sur le glyphosate qui, en rassemblant l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet, a déterminé que le glyphosate est probablement cancérogène. C’est la première agence à demander cette classification pour le glyphosate depuis sa mise sur le marché en 1975.

  • L’EFSA : pour European Food Safety Authority. Cette agence rattachée à l’Union Européenne produit des évaluations de risques sanitaires afin de conseiller le parlement européen dans sa politique agro-alimentaire. L’agence a publié en 2015 une étude[2] des risques sanitaires liés au glyphosate en tant que principe actif. Les conclusions de cette étude conduisent l’EFSA à déconseiller la classification de cancérogène probable pour se produit, les résultats n’étant pas significatifs dans ce sens.

  • Le BfR : l’institut fédéral allemand d’évaluation des risques (Bundesinstitut für Risikobewertung). C’est cette agence qui a produit l’étude[3] sur laquelle l’EFSA s’est basée pour rendre sa recommandation concernant le glyphosate. Elle va donc également dans le sens d’une non classification comme cancérogène probable du produit.

  • L’ANSES : l’agence nationale (française) de sécurité sanitaire a été saisie, par plusieurs ONG et le gouvernement français, pour évaluer les études de l’EFSA et du CIRC et pour rendre son propre avis sur la classification. Dans son rapport[4] elle conclut : « le niveau de preuve de cancérogénicité chez l’animal et chez l’Homme peut être considéré comme relativement limité et ne permet pas de proposer un classement 1B […]. Au vu du niveau de preuve limité, la classification en catégorie 27 peut se discuter sans que l’Agence puisse se prononcer sur ce point en l’absence d’une analyse détaillée de l’ensemble des études. »

  • L’AHS : pour Agricultural Health Study. L’AHS est la plus grande cohorte d’agriculteurs au monde[5]. Elle a pour but de suivre leur état de santé, notamment après l’exposition aux pesticides. Une étude[6] indépendante, menée sur cette cohorte pendant 25 ans, a été publiée en novembre 2017 et avait pour but d’établir un potentiel lien entre l’occurrence des cancers et l’exposition au glyphosate. Sur un échantillon de plus de 50 000 participants, dont plus de 40 000 étaient utilisateurs de glyphosate, elle conclut que l’on ne peut pas lier de façon significative l’utilisation du glyphosate avec une hausse de l’occurrence des cancers dans une population.

La classification cancérogène

Comme indiqué précédemment l’essentiel du débat porte sur la classification de cancérogénicité à accorder au glyphosate. Il existe principalement 2 systèmes de classifications qui sont très proches l’une de l’autre. Celle du CIRC[7] est propre à cet organisme ; elle n’a pas de valeur réglementaire. La seconde est celle de l’Union Européenne[8] mise en place dans le cadre du règlement CLP (règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage). Cette dernière a une valeur règlementaire et est en place depuis le 1er juin 2015. Elle permet d’homogénéiser les classifications à l’échelle européenne et de s’aligner sur le SGH (Système Général Harmonisé) établi par les Nations Unis. Cette classification est accordée par l’ECHA (European Chemicals Agency).

tableau

L'impact sur l'Homme

L’impact du glyphosate sur la santé humaine est fortement débattu, les études portant sur le sujet ayant des conclusions très différentes. Pour comprendre ces différences, il convient de s’intéresser aux différences entre les études réalisées et de détailler ces conclusions.

Le CIRC a réalisé une monographie[1]. Ce type d’étude consiste en une revue exhaustive de la littérature scientifique sur le sujet étudié. À partir de cette étude, l’organisme en déduit le caractère possiblement cancérogène du produit suivants différents critères[9] : preuves fortes ou significatives de cancérogénicitéUne relation de cause à effet a été établie entre l’exposition à l’agent et le cancer chez l’Homme., preuves limitéesIl a été observé une association entre l’exposition à l’agent et le cancer chez l’Homme, il parait crédible qu’il existe une relation de cause à effet., preuves insuffisantes de cancérogénicitéLes études existantes sont insuffisantes en qualité ou en nombre pour pouvoir établir une relation de cause à effet entre l’exposition à l’agent et le cancer chez l’Homme ou preuves suggérant la non-cancérogénicitéPlusieurs études recouvrant la totalité des modalités d’exposition à l’agent non pas permis d’établir d’association entre l’exposition et le cancer chez l’Homme. Dans le cas du glyphosate, la monographie du CIRC apporte les conclusions suivantes[10] :

  • Il existe des preuves suffisantes de cancérogénicité pour les animaux.

  • Les preuves de cancérogénicité pour l’Homme sont limitées, en particulier dans le cas des cancers non Hodgkiniens (Lien explicatif : cancer du sang).

  • Il y a de fortes preuves que le glyphosate agisse selon deux mécanismes connus pour être causes de cancers :
    • Des preuves suffisantes montrent la génotoxicité La génotoxicité est la capacité d’un agent à altérer l’ADN, ce qui peut éventuellement conduire à des mutations. du glyphosate et des produits phytosanitaires à base de glyphosate. Ces preuves sont établies à partir d’études in vitro sur des cellules humaines mais également sur des modèles de système de mammifères (in vivo en particulier dans le foie et in vitro) ainsi que sur des organismes non mammifères. Dans le cas des produits à base de glyphosate, certaines études sur des communautés humaines exposées par épandage aériens[11] complètent les preuves. Les études portant sur l’AMPA Acide phosphoreux, produit de dégradation du glyphosate sont peux nombreuses mais présentent toutes des résultats positifs quant à la cancérogénicité de se produit. Ceci conduit le CIRC à conclure que les preuves de cancérogénicité de l’AMPA pour l’Homme sont limitées.

    • De fortes preuves indiquent que le glyphosate, les produits phytosanitaires à base de glyphosate et l’AMPA induisent du stress oxydant Des radicaux libres ou espaces réactives de l’oxygènes (ERO) agressent les cellules ; il est causé par un déséquilibre entre la quantité d’ERO et d’antioxydants sur les cellules animales et humaines.

Les conclusions de la monographie du CIRC indiquent donc que les preuves de cancérogénicité du glyphosate pour l’Homme sont limitées, mais qu’une association entre l’exposition et l’apparition de cancer non Hodgkinien a été établie. De plus les preuves de cancérogénicité pour l’animal sont suffisantes ce qui conduit le CIRC à proposer de classer le glyphosate comme agent cancérogène de classe 2A : probablement cancérogène pour l’Homme.

L’EFSA a été chargée, dans le cadre du dossier de renouvellement de l’autorisation de commercialisation du glyphosate, de rendre une Peer Review (évaluation par les pairs) concernant la cancérogénicité du glyphosate[2]. Ce document - qui sert de base de réflexion à la commission européenne - a été établi en grande partie sur le rapport d’évaluation de la demande de renouvellement[3] du glyphosate rédigée par le BfR. Ce rapport a été révisé après la publication des résultats de l’étude du CIRC (BfR, addendum 1) afin de les prendre en considération, il apparaît que les résultats du rapport d’évaluation sont restés inchangés. Les conclusions de la Peer Review sont les suivantes :

  • Les preuves d’association entre l’exposition au glyphosate et l’apparition de cancer non Hodgkinien sont limités. Ce qui, pour l’EFSA, n’a pas le même sens que pour le CIRC. Cela signifie que dans l’ensemble, aucun lien clair de cause à effet n’a pu être établi entre les deux. Cette conclusion repose principalement sur l’étude menée sur l’AHS qui n’a pas établi d’augmentation de cancer non Hodgkinien dans la cohorte. Cette étude est d’après l’EFSA « l’étude la plus puissante sur le sujet »[12] et elle n’a pas montré une association entre l’exposition au glyphosate et ce type de cancer.

  • Il n’y a aucune preuve de cancérogénicité pour les animaux d’après l’EFSA, qui s’appuie sur « la majorité des experts »[11].

  • En particulier, l’EFSA nie toute preuve de génotoxicité du glyphosate mais confirme cependant les preuves concernant le stress oxydant.

  • De l’ensemble de ces conclusions, l’EFSA déduit qu’ « il est improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène pour l’Homme et les preuves ne suffisent pas à lui attribuer une classification cancérogène »[2]. L’agence a néanmoins fixé la dose aigüe de référence (DARf) La DARf est la quantité estimée d'une substance chimique présente dans les aliments, exprimée sur la base du poids corporel, qui peut être ingérée sur une courte période de temps, généralement au cours d'un repas ou d'une journée, sans présenter de risque pour la santé »[13] ainsi que la dose journalière admissible (DJA) Pour la DJA, c'est la même chose, sauf qu'il ne s'agit pas d'une exposition sur une courte période de temps (aigüe), mais de manière quotidienne (chronique) »[12] à 0,5 mg/kg corporels. La DJA était jusqu’alors inférieure (0,3 mg/kg corporels) et sera donc relevée[12].

En dehors de ces deux études cruciales, de nombreuses autres ont été menées depuis des années par des laboratoires indépendants. Ce sont ces études qui constituent le socle de l’analyse rendue par le CIRC ou l’EFSA (cette dernière utilise également les résultats des industriels qui ne sont pas publiés dans la littérature scientifique). Parmi ces dernières, certaines ont eu une importance toute particulière dans l’histoire de la controverse scientifique autour du sujet. Robert Bellé et son équipe sont parmi les premiers à avoir étudié les propriétés cancérogènes du glyphosate au début des années 2000. Ses études[14] sur les cellules embryonnaires d’oursins, modélisant la division cellulaire animale et en particulier celle de l’Homme, ont mis en évidence les effets du Roundup sur ce processus. Le glyphosate, « à des doses bien inférieures (500 à 2 500 fois) à celles recommandées par le fabricant en usage herbicide » (Bellé et al., 2007), atteint les cellules grâce aux produits de formulation et empêche la réalisation du point de surveillance de l’ADN lésé. Ce mécanisme se déroulant pendant la division, identifié dans les années 2000[15], est essentiel dans la suppression des erreurs de reproduction de l’ADN. Il permet en effet de prévenir les mutations et donc la formation de cancers. Joint en entretien téléphonique, R. Bellé a réaffirmé ses doutes quant à l’innocuité du glyphosate.

Une autre étude importante par son ampleur et son impact sur la question est l’étude menée sur l’AHS6. Cette étude réalisée sur 20 ans est le seul cas d’étude de cohorte Type d’étude épidémiologique qui suit une population représentative exposée à un agent et mesure statistiquement l’occurrence de pathologies, ces études sont réputées plus fiables que les études dites cas-témoin à grande échelle réalisée sur la question. L’AHS est une cohorte d’agriculteurs licenciés des Etats-Unis, dans l’Iowa et la Caroline du Nord, qui se compose de 54 251 individus exposés à divers degrés au glyphosate. Les conclusions de cette étude sont parues une première fois après dix ans de suivi en 2005 et une nouvelle fois en 2017, en plein cœur du débat scientifique. Les résultats sont identiques dans les deux cas : aucune d’augmentation statistique des cancers non Hodgkiniens n’a été observée. Cependant, c’est la première fois qu’une autre pathologie est associée à l’exposition au glyphosate puisque l’occurrence de leucémie aiguë myéloblastique a été observée dans cette population. Ces résultats sont à mettre en regard d’une étude à paraître dans les années à venir, la NAPP[16], qui regroupe toutes les études cas-témoin sur le glyphosate en Amérique du Nord. Les résultats de cette étude n’ont pas encore été publiés mais des conférences ont d’ores et déjà annoncé que l’étude montre un taux d’apparition deux fois important chez les utilisateurs de glyphosate

Les interrogations restantes

Le glyphosate n’est pas uniquement étudié pour son risque de cancérogénicité. Il peut également avoir un impact sur l’environnement ou d’autres impacts sur la santé. Le CIRC s’interroge notamment sur son potentiel en tant que perturbateur endocrinien ou encore ses capacités inflammatoires ou d’immunosuppresseur[2]. L’INRS indique dans sa fiche toxicologique[17] sur le produit qu’il peut également causer des lésions oculaires graves et est toxique pour les organismes aquatiques.

Une interrogation majeure persiste sur le sujet, concernant le désaccord scientifique, de nombreuses études indépendantes montrent que le glyphosate peut représenter un risque de cancérogénicité pour l’Homme, cependant la plupart des agences gouvernementales affirment le contraire. Comment expliquer une telle différence et un débat aussi animé sur une question scientifique ?


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Bibliographie