Pourquoi migre-t-on ?

Les causes actuelles des migrations

Qu’on s’intéresse à l’Afrique ou bien à d’autres régions du monde, les raisons individuelles qui poussent à migrer sont relativement similaires, d’après François Héran : ce sont principalement la recherche d’une vie meilleure et la volonté de fuir les conflits. Mais de nombreux facteurs influent sur le pays choisi pour immigrer.

Causes économiques

Si la recherche d’une vie meilleure est un facteur majeur de migration, tous les acteurs scientifiques s’accordent à reconnaître que ce ne sont jamais les plus pauvres qui migrent, car migrer nécessite des ressources financières. La probabilité d’émigrer en fonction du revenu suit une courbe en cloche ou répartition gaussienne (Baizan, 2016) : alors qu’on pourrait croire qu’une population très pauvre n’a rien à perdre et serait donc celle qui migrerait le plus, en réalité cette population n’a pas les moyens de faire les démarches légales ou de payer un passeur pour entrer illégalement. La propension augmente avec le revenu jusqu’à un maximum, qui correspond à un revenu suffisant pour que les risques de partir deviennent trop grands, car les gens ont plus à perdre en partant qu’en restant. En effet, la migration s'associe à une perte de statut social, au moins temporaire. Les personnes les plus riches du pays de départ ont déjà un statut social élevé, qu'ils ne veulent pas perdre, et sont moins enclins à risquer leur vie pour chercher fortune. Ainsi, les plus riches ont aussi peu tendance à migrer que les plus pauvres.

En résumé, les migrants qui s’embarquent pour l’Europe, aussi misérables que soient les conditions de voyage, font plutôt partie de la « classe moyenne » du pays de départ.Ces populations qui migrent pour des raisons économiques ne s’installent pas tous durablement hors de leur pays : il arrive aussi que certains partent dans une optique temporaire en se donnant pour objectif la constitution d’un pécule avant le retour au pays.

Par ailleurs, comme le souligne Cris Beauchemin, les migrations internationales sont les plus coûteuses et ne représentent qu’une petite part des migrations : il est beaucoup plus facile et plus attrayant économiquement d’aller vers la capitale du pays de résidence ou bien dans un pays voisin qui offre davantage d’opportunités. Le niveau de développement sur le continent africain est relativement hétérogène : l’IDH moyen est de 0,53 mais la République Centrafricaine a l’IDH le plus bas du monde à 0,352 tandis que l’Algérie atteint 0,745. De même, si le PIB/habitant moyen de l’Afrique est de 1393$/an, il n’est au Soudan du Sud que de 237$/an, tandis qu’il atteint autour de 7500$/an (Gabon, Botswana), et jusqu’à 15 000$ aux Seychelles. (WolframAlpha)

Regroupement familial

Marine Le Pen déclarait à Marseille le 19 avril 2017 :

Nous mettrons fin au regroupement familial, qui a été l'une des plus grandes pompes aspirantes de l'immigration.

Un mineur isolé peut faire venir l’intégralité de sa famille, y compris ses frères et sœurs avec tous les problèmes d’état civil que l’on peut connaître.

On a laissé s’installer l’idée qu’un étranger qui s’installait en France pouvait faire venir trois à cinq membres de sa famille.

Mais la réalité est toute autre : après 10 ans, le regroupement familial en Europe concerne seulement 10 à 25% des arrivants (Baizan, 2014). Il y a également une proportion importante de regroupement familial en Afrique, mais il arrive souvent qu’il n’y ait pas de regroupement familial du tout. Ces chiffres s’expliquent d’abord par le fait que les migrations peuvent être temporaires, faire venir la famille, est coûteux dans cette perspective. Par ailleurs, selon Cris Beauchemin, le modèle familial en Afrique est différent du modèle de famille nucléairecomposé seulement des parents et des enfants qui est courant en Europe, les familles sont plus grandes et habitent plus proches les unes des autres, si ce n’est sous le même toit. Ainsi, quelqu’un qui part a moins l’impression d’« abandonner sa famille ». De plus, certains Africains ont été forcés d'épouser leur partenaire pour respecter des traditions familiales. S'ils ne sont pas attachés à la personne qu'ils ont épousé, il leur sera moins difficile de s'en séparer. (Beauchemin, 2016)

Les instabilités politiques

Le monde aujourd’hui est ébranlé par les conflits qui le touchent. Les conflits armés sont à l’origine de nombreux déplacements : en 2015 on compte déjà 4 millions de réfugiés ayant fui la Syrie (dont un grand nombre en Europe), entre 6 et 8 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays. (Roth, 2015)

Dans le monde, d’après le Haut Commissariat aux Réfugiés(Edward, 2018), ce sont plus de 25 millions sur les 68 millions de déplacés au total qui le sont pour échapper aux conflits et aux persécutions. Tous n’émigrent pas, loin de-là, car 40 millions, soit 57% des déplacements sont internes au pays d’origine.

La peur et l’oppression sont des motivations supplémentaires pour quitter son pays. Le faible niveau d’organisation d’un État a une influence considérable sur le taux d’émigration., même si cette immigration est d’abord à destination des pays immédiatement voisins. L’insécurité, les persécutions ethniques et religieuses, les violations des droits humains sont des motifs de départ assez répandus. (Begoña, 2015)

Au Mali par exemple, où les indicateurs de développement sont au plus bas, pullulent les micros-États gouvernés par des criminels qui se substituent à l’autorité d’un État faible. L’absence d’institutions politiques, des régimes inefficaces et autoritaires, l’absence de développement, la faiblesse des infrastructures, tout cela a exacerbé les conflits ethniques. (Zoubir, 2017)

Les facteurs sociaux

Depuis l’évolution des médias occidentaux et leur omniprésence dans les pays à fort potentiel migratoire, un imaginaire migratoire est apparu. Il se nourrit des contenus de ces nouveaux médias et se manifeste par une aspiration à la liberté individuelle et au bien-être social. Il se distingue de la situation actuelle du migrant, où peuvent régner la corruption et le dysfonctionnement social. Celui-ci désire s’émanciper du poids des traditions et recherche une autonomie familiale, sexuelle et religieuse, ce qui le pousse à migrer. (Wihtol de Wenden, 2013)

Cependant, sur long terme, de nombreuses sources s’accordent pour dire que le train de vie actuel de l’humanité risque de pousser les populations côtières vers les terres centrales. Selon une étude européenne publiée par la revue Nature Communications en février 2018, le niveau d’élévation des mers sera entre 0,7 et 1,2m si l’on maintient zéro émission nette de gaz à effet de serre jusqu’en 2300. Dans le cas où la politique de stabilisation de la température à 2°C persiste, la montée des eaux serait de plus de 1,5m. (Fritz, 2018)

Les causes futures

Que l’on interroge François Héran ou Stephen Smith, le résultat est le même : les raisons qui poussent à migrer ne devraient majoritairement pas changer à l’avenir. Il y a toutefois une inconnue : quel sera l’impact du dérèglement climatique sur les migrations ?

Les différentes hypothèses sur le climat

On distingue deux groupes dans la communauté scientifique, les maximalistes qui projettent des mouvements migratoires de masse liés à une dégradation sévère de l’environnement naturel, et les minimalistes, qui ne voient dans l’environnement qu’un facteur parmi d’autres poussant les gens à quitter leur lieu habituel de vie. D’autres enfin, comme Stephen Smith reconnaissent l’existence de facteurs multiplicatifs liés au dérèglement climatique dans les migrations mais ne peuvent pas les quantifier.

Les minimalistes

Un premier argument repris par les minimalistes et soutenu par François Héran et Cris Beauchemin est que les déplacements liés au climat seront en très grande majorité des déplacements internes aux pays, et ne rentrent pas dans le cadre des migrations internationales. D'autres scientifiques soutiennent que le réchauffement climatique est un phénomène à trop grande échelle pour pouvoir être rattaché à des conséquences directes en termes de migrations.

Elles [les migrations climatiques] vont augmenter, c’est certain, mais il n’est pas prouvé que la sécheresse ou la hausse du niveau des eaux déclencheront des mouvements de population internationaux, encore moins intercontinentaux

Cris Beauchemin va également dans ce sens : il mentionne une étude faite au Burkina Faso sur 8000 personnes, où l’on connaissait les conditions climatiques et qui a montré que les épisodes de sécheresse ont conduit à des épisodes d’exode rurale et d’urbanisation intense, mais qui se sont avérés être temporaires, les populations revenant vers leur lieu d’habitat initial dès que possible. En tout cas, la part de migrations internationales est quasi nulle.

Pour d’autres scientifiques tels que MM. Kritz ou R.A. Bilsborrow chercheurs travaillant sur la question migratoire, l’environnement ne doit pas être vu comme une cause de migration autonome qui pourrait à lui seul générer un processus de déplacement de populations. (Kritz, 1991)

Ainsi, au sein même de la communauté scientifique, les avis divergent. Certains prévoient des migrations climatiques se déployant sur des zones géographiques restreintes, à l'échelle d'un pays ou d'une région. D'autres pensent que le changement climatique n'occasionnera pas directement des migrations. Il est difficile de se faire une idée précise de ce que nous réserve l’avenir en termes de migrations climatiques.

Les maximalistes

Les modifications climatiques pourraient être à l’origine de grandes instabilités migratoires dans un futur proche. Les migrations internes risquent de s’intensifier. D’après un rapport du Groupe de la Banque Mondiale, on comptera 86 millions de migrants climatiques d’ici 2050 en Afrique Subsaharienne simplement.

Mais qu’est-ce qu’une migration climatique ? Le changement climatique se mue de plus en plus en facteur de migration. En effet, des personnes ou des familles, voire des communautés entières, doivent quitter leurs terres d’origine à cause des problèmes économiques, sociaux et existentiels que posent cette évolution drastique du climat.

Le rapport de la Banque Mondiale propose trois scénarios, plus ou moins décourageants (Banque mondiale, 2018)

:

• Le scénario pessimiste, qui suppose des émissions de gaz à effet de serre croissantes et des trajectoires de développement inégales.
• Le scénario de développement plus inclusif, avec des émissions toujours élevées mais des trajectoires de développement mieux réparties.
• Le scénario plus favorable au climat, avec des émissions mondiales réduites combinées à un développement inégal.

Les barres d’erreurs sur les graphiques représentent des intervalles de confiance du 95^ème percentile

Pour le professeur François Gémenne, le rôle du déréglement climatique comme facteur de migration va encore plus loin : tout ce qu’on appelle communément migrations économiques sont des migrations environnementales. En effet, de nombreux déplacements sont dus à une qualité de vie amoindrie par le tarissement des moyens de subsistance : la montée des eaux ou encore la pollution des sols poussent les habitants des pays en voie de développement à quitter leur lieu habituel de vie. (Banque mondiale, 2018).

Nous avons des inondations chaque année mais cette fois, la situation est pire. Toute ma famille habite maintenant chez un parent. Je ne veux pas retourner dans mon village, à cause surtout de l’inondation. À Dhaka, je peux travailler et vivre bien et en sécurité.