Autour de La Ruée vers l'Europe

Les prévisions de Stephen Smith

En 2018 est publié le livre de Stephen Smith La ruée vers l’Europe, la jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, (Smith, 2018) qui relance la controverse sur les migrations africaines vers l’Europe. Certains chiffres qu’il énonce sont repris par des personnalités politiques, ce qui enflamme un peu plus le débat. Mais quel est vraiment le contenu de cet ouvrage qui divise tant dans la sphère médiatique ?

Des migrants Africains plus nombreux…

Stephen Smith prévoit qu’en 2050, entre 1/5 à 1/4 des Européens viendront d’Afrique Subsaharienne. Ainsi les Afro-Européens seraient entre 150 et 200 millions contre 9 millions aujourd’hui. Ces chiffres ne suivent pas linéairement la situation récente et prennent en compte une explosion du nombre de telles migrations. Il qualifie l’Afrique de « bombe démographique », terme repris par la suite par Emmanuel Macron par exemple.

Il y a une bombe démographique parce que le taux de natalité tel qu’on le voit aujourd’hui n’est pas soutenable.

Emmanuel Macron, discours à l'occasion d'une visite au Tchad le 23 décembre 2018

L'Afrique, une « bombe démographique » ?

L’auteur donne trois principales raisons au phénomène qu’il prédit, la principale étant le poids démographique de l’Afrique croissant. En effet, non seulement les africains seront de plus en plus nombreux, mais ils seront de plus en plus jeunes (déjà aujourd’hui, 40% de la population africaine a moins de 15 ans). D’après Stephen Smith, les Africains sont en manque de personnes plus âgées, plus sages, capables de transmettre les valeurs du pays aux jeunes générations et de les former professionnellement. De plus, avec l’essor des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, la vie outre Afrique se projette devant eux et les encourage à prétendre à d'autres horizons.

Il basse aussi ses prévisions sur des données chiffrées : le fait, par exemple, qu’entre 1990 et 2013, les migrations intra-africaines ont augmenté deux fois moins que les migrations vers les pays étrangers (principalement l’Europe).

Réception de l'ouvrage

Précisons tout d’abord que l’ouvrage a reçu le prix du livre géopolitique 2018. De nombreuses personnalités politiques françaises ont repris à leur compte les paroles de Stephen Smith : Emmanuel Macron comme cité précédemment, ainsi que François-Xavier Bellamy dans Le Grand Entretien sur France Inter et Marine Le Pen qui a pointé du doigt le fait que le Président de la République en soit conscient mais n’agisse pas comme elle voudrait.

En ce qui concerne d’autres spécialistes du domaine des migrations, beaucoup de personnes se sont opposées à de telles projections à l’horizon 2050. On peut citer, entre autres Julien Brachet, universitaire à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) dans un article de Médiapart (Brachet, 2018), qui accuse cet ouvrage d’être xénophobe et raciste . Pensons également tout particulièrement François Héran, démographe et titulaire d’une chaire sur les migrations au Collège de France, son principal opposant dans la sphère médiatique.

La presse n’a eu de cesse de mentionner La Ruée vers l’Europe, que ce soit à propos de l’œuvre, de l’auteur, ou des multiples réactions qu’ils ont engendrées.

La réponse de François Héran

Des prévisions revues à la baisse

Dans un rapport de la revue de l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques) Population et Sociétés (Héran, 2018), intitulé « L’Europe et le spectre des migrations subsahariennes », François Héran explique qu’en réalité, d’après lui, les chiffres sont bien moindres. Données chiffrées à la clef, il projette pour l’Europe une population composée de 4% de migrants subsahariens, soit cinq à six fois moins que Stephen Smith. Il préfère partir de la matrice des migrations, supposer des taux de migration constants et majorer les résultats obtenus pour anticiper les effets des politiques d'aides au développement, restant ainsi dans la continuité de la situation actuelle.

Des arguments scientifiques

François Héran avance que l’Afrique subsaharienne émigre relativement peu, en raison de sa pauvreté, et qu’on ne doit pas s’attendre à un changement brutal d’ici à 2050. Il prend également en compte le fait que les Africains subsahariens qui migrent le font principalement (à hauteur de 70%) dans un autre pays subsaharien.