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de l'assemblée nationale sur le clonage
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L'apparition du clonage humain à l'horizon
du possible pose des problèmes inédits. Le débat
le plus vif a lieu en Grande-Bretagne, patrie de la brebis clonée
Dolly.
Lorsqu'en
février 1997, le chercheur britannique Ian Wilmut et ses collègues
annoncèrent qu'ils avaient réussi à cloner une
brebis, Dolly, le monde entier s'inquiéta de la possibilité
d'un clonage humain. Le gouvernement du Royaume-Uni, lui, afficha sa
satisfaction: il assura que tout avait été prévu
pour maîtriser les conséquences des travaux sur le clonage.
Aux commentaires des dirigeants politiques de toute la planète,
qui estimaient nécessaire un moratoire mondial immédiat
sur ce type de recherche, la Grande-Bretagne a en effet répondu
que, chez elle, le clonage humain (création d'êtres humains
adultes copiés sur d'autres) était déjà
interdit par une loi adoptée en 1990, "the Human Fertilization
and Embryology Act". En fait, cette loi autorise la recherche sur
l'embryon humain jusqu'à 14 jours et elle avait semblé
ouvrir la voie, sur le principe, au "clonage thérapeutique",
c'est-à-dire la mise au point de toute une gamme de traitements
médicaux potentiels, comme le remplacement ou la réparation
d'organes et de tissus.
Le climat a changé en juin 1999, lorsque le gouvernement
a refusé de suivre l'avis de l'instance de contrôle créée
par la loi de 1990, la très respectée "Human Fertilization
and Embryology Authority", qui proposait d'amender la législation
pour autoriser officiellement la recherche sur le clonage thérapeutique.
Il a fait savoir qu'il lui fallait encore du temps pour en étudier
la portée éthique.
Pour la Grande-Bretagne, le dilemme politique est rude. Certes,
la technique de clonage mise au point par Ian Wilmut et ses collègues
a été saluée comme une percée scientifique
majeure, dont les nombreuses applications médicales potentielles
allaient stimuler considérablement l'économie britannique
(vente de brevets à des sociétés du monde entier
notamment).
De l'usage responsable du clonage
Mais, en ces temps où la confiance dans les experts scientifiques
de l'Etat a été gravement compromise par l'affaire de
l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, la "maladie de
la vache folle"), et s'est encore dégradée avec les
inquiétudes sur les dangers potentiels des plantes génétiquement
modifiées pour la santé et l'environnement, le gouvernement
ne tenait pas à risquer à nouveau sa crédibilité
en autorisant rapidement une autre technologie "révolutionnaire"
et controversée. La "production sur commande" d'êtres
humains répliqués par clonage n'a guère de défenseurs.
C'est le clonage thérapeutique, avec ses nombreuses applications
médicales potentielles, qui se trouve au cur du débat.
Il pourrait servir, par exemple, à soigner les femmes chez qui
l'ADN des mitochondries (le matériel génétique
fournissant de l'énergie à la cellule) est endommagé,
et qui risquent donc de transmettre cette déficience à
leurs enfants. Ou à produire de la peau pour les greffes, alors
qu'aujourd'hui on doit la prélever sur une autre partie du corps
du patient. Ou encore à remplacer des cellules détériorées
dans les os ou le foie.
Le problème est que le mot "clone" heurte vivement
les sensibilités: il évoque immédiatement l'image
du dictateur ou de la vedette qui commande sa propre reproduction à
de multiples exemplaires. Le clonage est, aux yeux de ses adversaires,
le comble de l'"instrumentalisation" de l'être humain,
puisqu'il fait d'un individu un moyen d'en satisfaire un autre et non
une fin en soi. Quant au distinguo entre "clonage reproductif"
et "clonage thérapeutique", il leur paraît purement
verbal: selon eux, autoriser le second conduira inévitablement
au premier.
A l'opposé, cette même distinction est jugée
cruciale par les ardents partisans d'une mise en uvre complète
des potentialités médicales du clonage, parmi lesquels
Ian Wilmut: depuis deux ans et demi, il n'a cessé d'évoquer
publiquement les perspectives ouvertes par ses travaux - leurs dangers
comme leurs promesses. Il est aujourd'hui directeur scientifique de
Geron Bio-Med, société fondée conjointement au
début de 1999 par le Roslin Institute et une compagnie américaine
de biotechnologie, Geron, afin d'exploiter ses découvertes.
Pour Ian Wilmut (et beaucoup d'autres), le clonage humain pose d'épineux
problèmes d'identité et de rapports humains, en particulier
au sein de la famille: "Nous pouvons tous imaginer, dit-il, ce
qui risquerait de se passer si un enfant cloné naissait dans
notre foyer. Pensez par exemple aux difficultés qu'il aurait
s'il ne répondait pas aux attentes de ses parents - cas fort
probable, puisque la personnalité n'est qu'en partie seulement
déterminée par le patrimoine génétique".
Mais Ian Wilmut insiste aussi sur les bienfaits considérables
qu'on peut attendre des techniques de clonage si on en fait un usage
responsable: "Le potentiel de traitements plus efficaces est immense
pour toute une gamme de maladies dues, comme celle de Parkinson, à
des cellules endommagées qui ne peuvent plus se reproduire".
Reconnaissant que le dilemme éthique posé est lourd, il
se dit "très désireux de participer à toute
discussion sur ce thème".
Les efforts pour obtenir des responsables politiques l'autorisation
de mener des recherches sur le clonage thérapeutique se sont
heurtés à de sérieux obstacles, l'un des principaux
étant les pressions des mouvements anti-avortement, qui restent
farouchement hostiles à toute forme de clonage. On l'a bien vu
aux Etats-Unis, quand l'administration Clinton a présenté
un projet de loi qui devait, simultanément, interdire le clonage
reproductif et autoriser celui de l'embryon à des fins thérapeutiques.
Début 1999, l'Institut national de la santé a fait savoir
que, même si le Congrès lui interdisait de financer les
recherches sur les embryons avec des fonds fédéraux, il
avait décidé de parrainer un travail sur des cellules
souches, fournies par le secteur privé et issues d'embryons non
utilisés de la fécondation in vitro. (Les cellules souches
sont des cellules indifférenciées à partir desquelles
se développent des cellules spécialisées comme
celles du sang). Le Congrès cherche actuellement comment colmater
cette faille.
Le point de vue des adversaires américains du clonage est
proche de celui qui a dominé les débats législatifs
en Europe continentale, en particulier en France et en Allemagne: on
insiste énormément sur les menaces potentielles pour la
"dignité humaine". C'est d'ailleurs cette approche,
associée à l'idée que la vie humaine commence dès
la conception, qui a conduit la plupart des pays européens à
interdire non seulement les essais de clonage humain, mais aussi toute
recherche sur les embryons. En revanche, l'approche des dirigeants britanniques
(et américains) a été jusqu'à présent
moins restrictive : les dangers potentiels du clonage humain sont surtout
à leurs yeux des risques médicaux, par exemple l'incertitude
sur les possibles complications à long terme.
Un "trou noir moral"
Une récente déclaration du gouvernement britannique
semble cependant indiquer que sa position a évolué et
qu'il entend désormais prendre en compte d'autres facteurs plus
"éthiques". Cette évolution a été
immédiatement saluée par les groupes de pression religieux,
comme la "Christian Action Research and Education". Dans des
propos rapportés par le Times, son directeur Charles Colchester
demande au gouvernement de veiller à ce que la nouvelle instance
créée pour enquêter sur les techniques de clonage
humain examine ce qu'il appelle le "trou noir moral" devant
ce type de recherche.
La décision du gouvernement a été très
critiquée par les chercheurs concernés. Robert Winston,
qui enseigne le traitement de la stérilité à la
"Royal Postgraduate Medical School" de Londres, a averti que,
s'il ne revenait pas sur son choix, nombre des "meilleurs cerveaux"
de Grande-Bretagne pourraient être tentés de quitter le
pays afin de poursuivre leurs travaux ailleurs. "En brouillant
le débat sur le clonage, a-t-il ajouté, le gouvernement
prend le risque d'entraver l'un des plus importants progrès médicaux
de la décennie."
D'autres critiques sont venues de ceux qui ont hâte de voir
le clonage donner lieu à des produits commercialisables. "La
science britannique est aujourd'hui à l'avant-garde de ce domaine
émergent", estime John Sime, président de la "Bioindustry
Association", l'organisation professionnelle du secteur biotechnologique
au Royaume-Uni. Mais la concurrence est vive et l'enjeu énorme,
tant pour les patients que pour l'économie."Certains restent
optimistes, persuadés que ces recherches seront finalement autorisées.
"Si ce qu'on dit du potentiel de ces nouvelles techniques pour
soigner les maladies dégénératives est ne serait-ce
qu'à moitié vrai, il serait immoral de ne pas poursuivre",
estime Juliet Tizzard du "Progress Educational Trust", organisation
de soutien à la recherche sur les technologies de reproduction.
Le débat est loin d'être clos. La possibilité
de produire des copies conformes d'êtres humains adultes inspire
tant de fascination à certains - et de répulsion à
d'autres - qu'il est clair que, quels que soient les bienfaits médicaux
potentiels de la recherche sur le clonage, ses partisans auront bien
du mal à obtenir l'autorisation d'aller de l'avant.
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