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Entrée dans le domaine public et débats (1/2)


    Une fois que les équipes scientifiques en charge du projet ont évalué de leur côté l’ensemble des risques, un dossier est présenté au grand public. D’autres acteurs, qui n’avaient alors pas encore participé au processus entrent dans l’arène.

    En ce qui concerne les projets de fusion nucléaire, on peut ranger les différentes personnes qui s’expriment en différentes catégories : les politiques, la population habitant dans les environs du site, les associations « écologiques » et anti-nucléaire ainsi que d’autres scientifiques qui ne dépendent pas du CEA. Nous nous sommes intéressés dans le cadre de cette controverse à l’opposition active. Ils s’expriment aux moyens de supports multiples : publications scientifiques ou médias classiques, débat public.

    Parfois la limite entre mise en discussion du risque sous contrôle des scientifiques en charge du projet et opposition à armes égales est faible, comme nous allons le voir en détaillant de manière plus précise les interventions des différents acteurs et les arguments qu’ils développent.

1. Les scientifiques indépendants


    L'opposition scientifique est similaire à l’opposition publique dans le sens où elle n’est pas organisée. Les scientifiques qui évaluent de manière différente les risques de la fusion le font au moyen de parutions dans la presse et indépendamment les uns des autres.

    Leurs arguments sont différents, car leurs critères sont différents. Ceci est à mettre sur le compte de leur parcours professionnel. Les points de vue se cristallisent autour d’ITER, en tant que projet de fusion nucléaire de grande envergure. Un des points majeurs de leur argumentation est la manière dont ils évaluent le risque d’un projet de fusion nucléaire.


1) Le tritium

    En ce qui concerne le tritium, certains scientifiques remettent en question la possibilité technique et économique de produire du tritium en grande quantité. Des études sont prévues pour tenter de produire du tritium au cœur d’un futur réacteur. Cette opération implique de multiplier les neutrons et d’élaborer une paroi spécifique couplée à une usine isotopique, des procédés coûteux et que l’on n’est pas sûrs de savoir maîtriser.

    Par ailleurs, le Professeur Masatoshi Koshiba, Prix Nobel de physique 2002, a expliqué dès le 10 mars 2003 dans une lettre envoyée au premier ministre Koizumi le poussant à ne pas soutenir le projet d’implantation d’ITER au Japon. Il considérait que les risques pour la population sont trop grands compte tenu des quantités de tritium présentes dans les réacteurs. 

Voici les extraits publics de cette lettre :

« Le réacteur nucléaire fondé sur ITER, qui brûle du tritium, est extrêmement dangereux du point de vue de la sûreté et de la contamination de l'environnement. »

« Les 2 kg de tritium qui circuleront dans ITER pourraient tuer 2 millions de personnes. Le flux de radiations de 2 kg de tritium est pratiquement du même niveau que celui produit par l'accident de Tchernobyl. »


2) Les matériaux de containement

    Le prix Nobel Pierre Gilles de Gennes, après avoir participé au lancement de la fusion nucléaire en France il y a une trentaine d’années, a ensuite affirmé qu’il ne croyait plus au projet. Il justifie son choix en s’appuyant justement sur le peu d’espoir qu’il place encore dans les matériaux de confinement :

« Connaissant assez bien les métaux supraconducteurs, je sais qu’ils sont extraordinairement fragiles. Alors, croire que des bobinages supraconducteurs servant à confiner le plasma, soumis à des flux de neutrons rapides comparables à une bombe H, auront la capacité de résister pendant toute la durée de vie d’un tel réacteur (dix à vingt ans), me paraît fou. Le projet Iter a été soutenu par Bruxelles pour des raisons d’image politique, et je trouve que c’est une faute. »

    La question qui se pose également est celle de la faisabilité du projet : est-t-on vraiment sûrs de pouvoir utiliser un jour la fusion nucléaire ?

    Comme pour tout projet de recherche, de l’argent est investi dans des projets sans que l’on ne puisse exactement estimer s’il y aura des débouchés intéressants et en négligeant d’autres projets peut-être tout aussi valables. Il s’agit d’un des arguments développé par Sébastien Balibar dans sa prise de position contre le projet ITER dans Le Monde du 28 septembre 2005 (voir l'article de Sébastien Balibar).

    D’autres scientifiques indépendants se positionnent en revanche en faveur du projet de fusion nucléaire qu’est ITER. C’est le cas par exemple Gérard de Belmont et Stéphane Pasquiers, qui, en tant que membres de la division plasma de la Société française de physique, s’exprimèrent dans le Monde du 3 Septembre 2005 « en réponse aux détracteurs d’ITER ». Ils considèrent que le projet dans sa forme actuelle ne laisse pas présager que l’on se dirige vers une impasse et qu’il faut lui laisser toutes ses chances.

Ainsi, on s’aperçoit que l’opinion scientifique indépendante du CEA n’est pas unanime en ce qui concerne les risques de la fusion nucléaire.

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2. Débat public : l'apparition d'un nouveau critère d'évaluation des risques



    L'opposition scientifique est similaire à l’opposition publique dans le sens où elle n’est pas organisée. Les scientifiques qui évaluent de manière différente les risques de la fusion le font au moyen de parutions dans la presse et indépendamment les uns des autres.


1 ) La mise en place d’un débat public – règles de fonctionnement

    Le débat public fait partie du processus de mise en œuvre d’un projet de fusion nucléaire en France. Il est organisé par une commission mise en place par la CNDP, Commission Nationale du Débat Public. La CNDP est chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national (création d'autoroutes, de lignes ferroviaires, de lignes électriques, …) dès lors qu'ils comportent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l'environnement ou l'aménagement du territoire.

    Une Commission particulière a été mise en place pour ITER. Indépendante des scientifiques du CEA, elle était composée de personnes de formations très diverses. Dix-huit réunions ont été organisées en Provence, les personnes désirant s’exprimer pouvant le faire également au moyen de cahiers d’acteurs. Des restitutions sont ensuite mises à disposition de toutes personnes désirant les consulter.


2) L’évaluation des risques

    Dans le cas plus particulier d’ITER, ce débat a révélé de nombreuses choses en ce qui concernait l’évaluation des risques. Il a surtout montré une différence importante de moyens entre le CEA et les autres acteurs. En effet, les organisations écologistes n’ont souvent pas les effectifs et les budgets nécessaires à des études très poussées. En revanche, ils ont recours aux médias pour diffuser leurs idées.

    Un des reproches qui a été formulé par les personnes ayant participé aux débats a été que même s’il y a mise en discussion, toutes les décisions ont déjà été prises en amont et que le projet est déjà lancé. Il n’y a pas de possibilités de retour en arrière ni de concertation sur ce sujet. Dans l’ensemble, ses assemblées se sont déroulées de manière assez houleuse et pas toujours constructive, les organisations écologiques qualifiant le débat public de « parodie de démocratie ». Ce qui devait être un débat de fond est finalement devenu un débat sur la forme : l’enjeu est de parvenir à déterminer si l’on évalue correctement les risques liés à la fusion quand il n’y a pas de contre-pouvoir sur le plan de la recherche scientifique. Cet état de fait est sans doute à mettre sur le compte de la différence de moyens et d’organisation au détriment de l’opposition. 

Voir un article de La Provence sur le sujet.

Lien vers le film du débat public :  www.debatpublic-iter.org/documents/film.html 

    En conclusion, le débat révèle que l’évaluation des risques est sujette à controverse car les critères des différentes parties sont différents, mais également parce que la mise en discussion peut être considérée comme inégale, les grands choix technologiques demeurant sous l’emprise des grandes instances techniques.

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