Immortalité à travers les âges

Aubrey de Grey déclare : « Le premier homme qui vivra plusieurs milliers d’années est déjà né ». Mais il n’est certes pas le premier à nourrir le fantasme humain de devenir immortel. Pour comprendre cette controverse, il est essentiel d’aborder la question de l’immortalité à travers les civilisations, qui est un indicateur de l’importance de l’immortalité dans l’imaginaire collectif et par conséquent un témoin des éventuelles dérives qui y sont liées.

Les premières allusions à l’immortalité dont nous avons gardé la trace remonte à la civilisation mésopotamienne avec l’épopée de Gilgamesh. Celle-ci, datant du XVIIIième siècle avant JC, est reconnue comme l’épopée la plus ancienne de l’humanité. Il s’agit de l’histoire d’un roi qui s'est vu donné la plante de l'immortalité, mais se l'est faite dérobée par un serpent et comprend qu'il n'est pas dans la nature de l'homme d'être immortel.

Au XIVième siècle avant JC, le mythe babylonien d’Amapa fait également référence à l’immortalité et à son inaccessibilité à l’homme. Amapa, qui n’est qu’homme, se rend chez les Dieux, mais suite à un conseil qu'on lui a donné, il a la sagesse de ne pas boire l'eau de la vie éternelle qu'on lui propose.

Dans la mythologie gréco-romaine, l’immortalité est la caractéristique ultime des Dieux qui la rendent parfois accessible aux hommes dont l’histoire les a touchés en les transformant en constellations. Platon lui-même dans son banquet, présente l’immortalité comme le désir ultime de l’homme, véritable raison pour laquelle il aime et fait des enfants.

Le taoïsme, philosophie et religion chinoise vieille de près de deux siècles a pour but avéré la quête de l’immortalité du corps à travers ses pratiques. Les taoïstes vénèrent huit immortels (qui le sont en cadeau de leur piété et de leur vertu) qui se retrouvent tous les mille ans à un grand festin chez la reine Mère Wang qui leur offre des pêches d'immortalité. Dans le quotidien des hommes, le taoïsme enseigne comment diriger les forces naturelles de son corps (exercices de respiration, maîtrise et orientation de l'énergie sexuelle, alchimie, bonne conduite, guérison, exorcisme…) afin de se rapprocher de la vie éternelle.

Dans la tradition Judéo-chrétienne enfin, l’immortalité est le paradis perdu par l’homme par la faute d’Adam et Eve. Après qu’ils ont croqué la pomme de la connaissance, premier de tous les pêchés de l’humanité, Dieu les chasse du paradis pour qu’ils ne touchent pas aux fruits de l’arbre de la vie éternelle. Dieu lui-même s’oppose donc au fait que l’homme soit à la fois sage et immortel. Le thème de la mort et de l’immortalité est très présent dans la Bible : Ecclésiastes 3:11, Salomon : Dieu a "fait toute chose belle en son temps; même il a mis dans leur coeur la pensée de l'éternité, bien que l'homme ne puisse pas saisir l'oeuvre que Dieu fait du commencement jusqu'à la fin" Paul :"Mais maintenant, Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui sont morts. Car puisque la mort est venue par un homme, c'est aussi par un homme qu'est venu la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, de même tous aussi revivront en Christ. Le dernier ennemi qui sera réduit à l'impuissance, c'est la mort."

Plus récemment, le mythe d’immortalité qui se détache est celui de la pierre philosophale que les alchimistes, parmi lesquels l’histoire a retenu le nom de Nicolas Flamel, cherchaient à synthétiser au XIVième siècle.

Ces quelques exemples choisis nous conduisent à plusieurs conclusions. Tout d’abord, la réflexion sur la mortalité et l’immortalité est une préoccupation au centre de toute société humaine. Tous ces exemples sont autant de preuve de l’attractivité que peut avoir la proposition d’Aubrey de Grey. Son but est plus que séduisant. Cependant, c’est justement parce que l’immortalité nourrit de nombreux fantasmes qu’il est facile d’accoler à Aubrey de Grey le nom de charlatan sans même prendre la peine de discuter de sa proposition scientifique. Aubrey de Grey met-il à profit la séduction de la promesse de l’immortalité pour attirer les foules ou est-il au contraire un scientifique qui se voit dans le même temps motivé et ralentit par le fort caractère de mythe que revêt l’immortalité ? Enfin, on peut remarquer que souvent, lorsqu’une légende qui touche au sujet de l’immortalité à une morale, celle-ci tend à nous faire accepter notre mortalité comme inhérente à notre condition humaine. Comparons un instant notre société au Babylonien Amapa. Si nous le pouvons, voulons nous, devons-nous devenir immortel ?

Transhumanisme