Formation universitaire en biologie, spécialité Neurobiologie
J'ai été confronté aux questions de l'utilisation des animaux en expérimentation depuis le début de mon parcours professionnel, y compris dès les stages diplômants (i.e. DEA...). Les premières interrogations sont venues avec la nécessité pratique d'utiliser des animaux vivants et de les euthanasier en fin d'expérience. Ayant toujours été attaché et concerné par les rapports aux animaux (position initialement nourrie par une approche émotionnelle) je ne pouvais faire l'économie d'une réflexion sur le sens de mes pratiques.
Au plan personnel, ayant toujours conduit des expérimentations sous anesthésie ou sur des animaux éveillés entraînés à coopérer mais dans ces situations en étant assuré de l'absence de douleurs physiques, je n'ai pas été confronté à des cas de conscience personnelle. Les interrogations ont émergé avec certaines espèces, dites plus proches au moment des phases de réveil en post-opératoire.
Sur le plan de ma position professionnelle, c'est l'engagement sur certains thèmes de recherche, liés au statut de l'animal, qui m'a conduit à prendre des positions plus nettement engagées vis-à-vis des pratiques de l'expérimentation sur des animaux et à défendre un droit à l'utilisation des animaux, en sciences comme en élevage et donc à devoir défendre publiquement ces positions. Ceci s'est accompagné d'affrontements verbaux et de la dénonciation de mes pratiques (en fait des pratiques collectives et je suis alors pris en tant que représentant d'un positionnement).
Dans le cas de l'Occident (en simplifiant : notre civilisation), les grandes religions monothéistes ne condamnent pas l'utilisation des animaux, même s'il est évident que le cas de l'expérimentation n'avait pas été envisagé! Les penseurs théologiens contemporains, surtout chrétiens et/ou juifs, sont plus massivement interpellés par l'utilisation des animaux destinés à la consommation humaine. Toutefois certaines techniques contemporaines qui touchent à la reproduction sollicitent puissamment des débats relatifs au statut accordé aux animaux, à notre propre positionnement en tant qu'êtres supposés à part.
Les politiques, globalement se révèlent plus à l'écoute des sensibilités d'opinion qu'à l'origine d'une profonde réflexion anticipatrice sur la question de l'expérimentation sur des animaux (certaines pétitions signées massivement par les eurodéputés témoignent d'une attitude spontanée partagée au plan émotionnel avec l'homme de la rue. Toutefois en Europe, sous l'influence de puissants lobbys dits de défense des animaux (c'est ici une auto proclamation qui ne reflète en rien ma position personnelle), il est manifeste que l'Europe est devenue championne de l'amélioration globale de la condition des animaux, en recherche comme en élevage.
L'amélioration des conditions pratiques de maintien et d'utilisation des animaux; l'application autant que cela est possible de grands principes simples comme celui des 3R.
Dans la dernière décennie des travaux destinés à établir objectivement (c'est à dire via de l'expérimentation ou des rapports bibliographiques) s'il y a douleur ou pas, s'il y a stress ou non et à éclaircir la question des niveaux d'alerte ou de conscience chez différentes espèces. Ces actions passent aussi bien par ma participation à des expérimentations, que l'implication dans des réseaux de concertation (ex réseau européen COST sur Science and Animal Welfare , expertise européenne de préparation des modifications de Directives européennes sur l'expérimentation animale 86/609) ou dans des travaux d'expertise collective (ex expert pendant les Rencontres Animal et Société, Expertise collective INRA sur les douleurs chez les animaux d'élevage). Je pratique également des activités d'enseignements ciblées sur l'expérimentation, la diffusion des savoirs sur les mécanismes de la douleur ou du stress ou encore sur ce qui peut être considéré comme les niveaux de conscience chez différentes espèces. Enfin je suis membre d'un des Comité Ethique de mon établissement de tutelle administrative (INRA).
Cela reste une pratique nécessaire, faute de disposer des connaissances ou/et des outils techniques permettant de se passer de l'expérimentation sur animal. Cette pratique est inhérente à la démarche de connaissance que nous pratiquons en occident, nous ne savons pas encore faire sans et les travaux de modélisation doivent, à un stade ou un autre, se fonder sur ou revenir vers la biologie. Nos connaissances ne sont pas encore suffisamment intégrées pour que nous puissions mimer, prévoir, des réponses aussi complexes que celles qui par exemple sous tendent les interactions entre système nerveux et système immunitaire. Dans de telles situations, seul le recours à un organisme entier permet de suivre les réponses toujours très complexes. Cela dit, les questions restent également nombreuses lorsque l'on aborde les réactions de type émotionnelles chez les animaux car leur interprétation pose de très nombreuses questions. Mes moyens d'actions sont liés à mon insertion professionnelle donc à un statut académique, y compris dans les cas où je peux être amené à parler à un large public non scientifique. Quant aux moyens d'action en tant que citoyen ils sont semblables à ceux des autres citoyens (mouvements collectifs, associations professionnelles ....)
Je constate un certain apaisement dans les confrontations, le vif du sujet ayant peu à peu été déplacé vers l'utilisation des animaux en élevage dans une finalité de consommation humaine avec conjonction avec des préoccupations de type environnement/planète/echo-systèmes. L'expérimentation animale en occident semble faire l'objet d'un consensus, très certainement articulé sur des préoccupations égocentriste d'espèce dominante, avec des conditions d'acceptation telles que ne pas faire souffrir les animaux.
Ce projet montre combien nous dépendons de formes appliquées d'expérimentation sur les animaux. Il reste que les espèces utilisées (massivement des rongeurs) ne répondent pas automatiquement comme le ferait l'espèce humaine. Cela pose la question de la pertinence et de l'adéquation des espèces modèles employées sans remettre en question la démarche expérimentale. Il reste que les molécules seront avant tout testées dans une perspective analytique qui impose encore de pratiquer les expériences molécule par molécule alors que nous réalisons que ce sont les interactions complexes entres molécules et mode de vie qui peuvent entraîner ou non nocivité ou pathologie. Dans ce registre de nombreuses expériences restent à faire et le programme REACG n'a pas pour ambition de tester ces approches trop complexes par rapport aux investissements déjà mis en jeu.
Cette question pose la pertinence du modèle animal (cf supra pour le programme REACH avec le recours quasi exclusif aux rongeurs). Mais la question posée est également celle du degré de complexité psychique (portée par des systèmes nerveux différents mais aussi homologues). Comment s'assurer qu'une situation imposée à une espèce est aussi difficile, stressante, insupportable pour une espèce donnée qu'elle le serait pour nous ? Comment poser de manière adaptée, pertinente la question à un animal? Très souvent, y compris parmi les scientifiques, nous avons tendance à projeter la proximité ressentie subjectivement avec une espèce et son degré de complexité nerveuse, comportementale...
J'ai répondu implicitement à cette question. Seules l'accumulation de connaissances et leur comparaison raisonnée (critique) permettrait d'éliminer progressivement certaines démarches expérimentales pour passer à la modélisation donc à des formes de prévisibilité des réponses. Il reste évident que les outils de traitement massif de données doivent nous aider à accélérer ce processus de substitution de l'expérimentation par des tests de simulation. Mais encore une fois un retour à la réalité des phénomènes biologiques sera nécessaire, sauf à faire des tests directs, grandeur nature sous la pression de contraintes financières (une sorte de retour aux essais erreurs !). Ce qui serait un vrai paradoxe et une régression éthique...vis à vis de l'homme.
J'ai pratiqué ce genre d'approche. Elle est utile, elle a ses limites et s'exerce toujours dans des cadres contraignants qui peuvent en limiter la portée effective. Cela dit, l'évolution des opinions tend à prouver que la communication au grand public 'est jamais inutile et que la diffusion critique des connaissances (éviter le sensationnel) est à maintenir. La multiplication d'expériences citoyennes type café des sciences en est un exemple et il semble que c'est à partir de ces petits noyaux que se diffuse plus efficacement la connaissance et la réflexion critique argumentée.
L'analyse des sondages d'opinion (lorsque ceux ci ont été réalisés de manière équitable ou honnête et pas mandatés par une organisation qui a des partis pris trop manifestes) nous enseigne que la préoccupation morale (éthique) princeps par rapport à l'expérimentation concerne la douleur.
Dans le cas de l'utilisation des embryons, il est manifeste que la démarche scientifique vient toucher le mythe de la création par des dieux et que cela soulève des interrogations, des répulsions qui relèvent de l'éthique pure sans articulation particulière sur la douleur potentiellement infligée.
En termes contemporains, plus dégagés de la dimension directement religieuse, c'est la préoccupation éthique qui apparaît première et pose l'interrogation de la place que l'homme s'octroie vis à vis des autres espèces animales ou de la nature (celle ci devenant une nouvelle forme de tutelle qu'il convient de respecter, soit pour la pérennisation de notre espèce soit parce qu'elle prend des formes de nouvelle divinité tutélaire).
Concernant l'expérimentation animale, il se trouve qu'un rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a récemment rendu un rapport sur l'expérimentation animale en Europe. Ce rapport très complet soutient la nécessité du recours à l'expérimentation animale en recherche, souligne l'implication des chercheurs dans l'amélioration des conditions d'utilisation des animaux, souhaite le développement de méthodes substitutives tout en reconnaissant leurs limites et demande le développement d'une communication vers les citoyens sur le thème de la recherche animale. Il me semble donc que ce travail effectué par deux députés tombe pile dans vos préoccupations.
Pour ce qui concerne le forum Rencontres Animal et Société qui s'est tenu en 2008 et auquel j'ai participé (groupe 1 Statuts de l'Animal), vous pourrez recueillir des infos à l'adresse : http://www.animaletsociete.fr Parmi les sujets abordés, il y a eu celui de l'expérimentation animale. Tout d'abord, le Rapport d'Expertise collective INRA sur la Douleur chez les animaux d'élevage constitue une bonne ressource vis-à-vis des connaissances en matière de douleurs en élevage et, au travers, de cette question renvoi à de nombreuses données de littérature, tant dans le champ des sciences humaines que des sciences biologiques dont la neurobiologie des mécanismes de la douleur ; il ne faut pas se priver d'aller piocher là dedans, c'est le sens même d'un tel travail : le rapport complet est disponible sur le Web INRA: http://www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees/douleurs_animales_rapport_d_expertise Bien évidemment, en tant que coordinateur-rédacteur de l'un des chapitres je peux vous en parler.
Il faudrait prendre connaissance du récent Rapport de l'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (cf doc attaché) qui fait un large point de la question.
Dès à présent, en ce qui concerne les associations en lien avec la thématique de l'expérimentation sur les animaux, je ne me souviens plus exactement de ce que je vous avais dit lors de notre première rencontre. Voici quelques noms d'associations qui se posent soit en modératrices des "élans expérimentateurs" des chercheurs, soit comme défenseurs absolus des animaux et à ce titre condamnent cette pratique. L'ancienne LFDA (voir ci-dessous à l'occasion de la parution d'un de leurs ouvrages) - Un petit livre récent (novembre 2009) : "les droits de l'animal" (paru aux éditions DALLOZ - Collection A savoir. les auteurs sont, Jean-Marie Coulon (Ancien premier président de la cour d'appel de Paris, magistrat).et Jean-Claude Nouët (Président de l'ancienne Ligue française des Droits de l'animal, rebaptisée depuis le début 2010 : "Fondation Droit Animal, éthique et sciences" ) Ce changement d'appellation marque un tournant de conception et de stratégie qui doit être pris en considération.
Vous pourriez lire ce petit ouvrage rédigé sous forme de dialogues et ensuite nous pourrions voir ensemble ce qu'il en est. Avec deux collègues nous avons commencé à en faire une lecture critique et peut être ces deux collègues consentiraient à en parler avec vous.
Je passerai rapidement sur des Associations type Fondation Bardot, qui était bien sûr présente aux Rencontres Animal et Société, mais qui, à mon avis, n'a pas assez réflechi de manière profonde et constructive, ni avancé des propositions nouvelles sur la question de l'expérimentation animale.
Bien sûr il y a les mouvements et les organisations qui soutiennent les Alternatives à l'Expérimentation. Au niveau institutionnel il existe même un GIS français, groupement d'intérêt scientifique qui traite de ces questions (http://www.afssaps.fr/Partenariats/Groupement-d-Interet-Scientifique-GIS/Developpement-de-methodes-alternatives-en-experimentation-animale/(offset)/0). Il existe des organisations comme l'OPAL qui depuis assez longtemps encourage le développemment des méthodes alternatives à l'expérimentation sur des animaux.
Parallèlement à la question de l'expérimentation animale, il me paraît utile de lire le texte du philosophe Francis Wolff, dans le numéro 131 de la revue "POUVOIRS" qui est consacré à la question de l'animalité. Le titre en est : "des conséquences juridiques et morales de l'inexistence de l'animal" Si ce texte ne concerne pas directement le cas de l'expérimentation, il apporte un éclairage intéressant sur la question générale d'un "Droit des animaux".