La controverse montre que l’activité politique à ce sujet non seulement se manifeste au travers des médias, mais en plus ne se manifeste que lors de la médiatisation d’une affaire, comme par exemple l’annonce d’un nouveau meurtre. En effet, l’instrumentalisation médiatique et politique des faits divers convergent pour influencer les décisions de justice et soutenir l’adoption de lois controversées. Des médias montent en épingle des scandales ou des crimes dont s’emparent le gouvernement et le Parlement pour légiférer et prennent prétexte des projets de lois pour surenchérir. Il paraît donc intéressant d’analyser plus précisément le rôle que jouent les médias, en constatant sur quelques exemples les différents angles d'attaque parmi les médias.
La question des crimes commis par des récidivistes est parfois la cible désignée de la démagogie conjointe des médias et du pouvoir. L’émotion que suscitent ces crimes nourrit alors un raisonnement qui a toute l’apparence de la logique : si on ne peut pas prévoir le premier crime de quelqu’un, il appartient à la société d’en prévenir un deuxième. Le criminel n’est alors pas le seul coupable, il a bénéficié de la complicité de juges « laxistes » et d’une législation inadaptée. C’est sur cette idée que, par exemple, la loi du 10 août 2007 a renforcé les peines pour les récidivistes majeurs et mineurs.
Les partis pris du Figaro
Sur le site « Paroles de juges » Michel Huyette, magistrat, met en cause un entretien paru dans Le Figaro, du 3 décembre 2007, sous le titre : « L’incroyable clémence qui a profité au violeur du RER ». On notera le choix d’un vocabulaire pour le moins subjectif (« incroyable clémence »). Motif ou prétexte de l’entretien : Le meurtrier présumé d’Anne-Lorraine Schmitt dans le RER D avait déjà été condamné pour l’agression d’une étudiante. « Mais – croit utile de préciser la présentation de l’entretien avec l’avocate de la victime précédente- la justice n’avait pas décelé de dangerosité particulière ».
Michel Huyette, sous le titre qu'elle veut délibérément provoquant « Si on mettait tout le monde en prison et pour toujours, il n’y aurait plus de récidivistes », propose une analyse dont voici quelques extraits :
« Le Figaro a publié il y a quelques jours un article intitulé : "L’incroyable clémence qui a profité au violeur du RER". Ce titre à lui seul retient l’attention. Il suppose que lors du jugement de la première affaire il y ait eu "clémence", c’est-à-dire une peine très modérée, et que le choix d’une telle peine ait été "incroyable", soit une décision manifestement incompréhensible et aberrante. […]
D’abord, pour apprécier si une peine est appropriée ou aberrante, il faut connaître le contenu de l’affaire jugée jusque dans son moindre détail. Or de détail il n’en est donné aucun dans l’article du Figaro. Il faut ensuite avoir assisté aux débats, entendu tous les arguments à charge et à décharge. Le journaliste auteur de l’article n’indique à aucun moment que tel a été son cas. Ainsi donc, il serait possible de porter une appréciation critique sur une décision de justice sans rien connaître de l’affaire jugée ? […]
Mais quel est alors le message délivré par l’article ? Que dès qu’apparaît une simple éventualité de récidive, même sans la moindre certitude, dès que le premier crime est déplaisant, il faut être impitoyablement sévère et envoyer l’intéressé pendant une très longue période (pour toujours ?) en prison, au cas où… Autrement dit, nous est-il demandé d’éliminer socialement dès la première infraction grave, afin de réduire autant que possible le risque d’une éventuelle récidive ? Et cela même si lors du prononcé de la première décision rien ne permet de penser que le condamné est susceptible de recommencer ? »
C’est dire que Le Figaro instrumentalise l’émotion suscitée par ce drame à des fins strictement politiques sans aucune considération pour la procédure judiciaire. »
Les partis pris du Parisien
C’est sur la base d’autres affaires impliquant cette fois des « pédophiles récidivistes » que la ministre de la Justice, Rachida Dati a déposé le 8 janvier un « Projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental ». Dans sa première version, ce projet était ainsi rédigé pour ce qui concerne sa disposition centrale :
« Art. 706-53-13. – Lorsque la juridiction a expressément prévu dans sa décision le réexamen de la situation de la personne qu’elle a condamnée à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à quinze ans, pour l’un des crimes suivants commis sur un mineur de quinze ans :
1. Meurtre ou Assassinat
2. Torture ou Acte de barbarie
3. Viol
Cette personne peut, à compter du jour où la privation de liberté prend fin, faire l’objet d’une rétention de sûreté lorsqu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau l’une de ces infractions. Cette mesure consiste dans le placement de la personne intéressée en centre fermé en vue de sa prise en charge médicale et sociale. »
Autrement dit, cet article ne porte pas sur les « récidivistes », mais sur la prévention de la récidive de criminels désignés.
Qu’importe au Parisien qui cependant, le 8 janvier, dans ses pages « Les faits divers », au chapitre « Projet de loi » et sous le titre « Vers l’enfermement à vie pour les prédateurs sexuels » informe ses lecteurs de ce projet de loi. L’article de tête commence ainsi : « La perspective d’un enfermement à vie pour les pédophiles récidivistes se concrétise. » Or non seulement le projet de loi ne porte pas exclusivement sur les « pédophiles » ou « prédateurs sexuels », mais il vise uniquement les risques présumés de récidive. La différence est de taille : il ne s’agit pas, dans le projet du gouvernement, de sanctionner la récidive, ce que le code pénal fait déjà très clairement (et même plus sévèrement depuis la loi du 10 août 2007), mais de l’empêcher. Mauvaise information de la journaliste ou désinformation intentionnelle ?
Un deuxième article, sur la même page, surenchérit. Son titre - « Tous les récidivistes dangereux devraient être concernés » - est un extrait de l’interview par la même journaliste de Georges Fenech, député UMP, rapporteur du projet de loi qui, ou bien ne l’a pas lu, ou bien en déforme volontairement le contenu
- Georges Fenech : « Il est évident qu’il manquait un outil juridique pour traiter ces quelques cas de criminels récidivistes dangereux. »
- Le Parisien : « Vous souhaiteriez pourtant voir le dispositif étendu à tous les auteurs de crimes sexuels, quel que soit l’âge de leur victime, et même à tous les criminels dangereux récidivistes. »
- Georges Fenech : « …pour que tous les auteurs de crimes aggravés puissent également être frappés par une rétention de sûreté. Tous ces récidivistes dangereux devraient être concernés… »
La journaliste souscrit donc au propos du député. Or circonstance aggravante (si l’on peut dire dans un tel contexte), un encadré signé de la même journaliste décrit fort précisément et correctement les différents éléments du projet de loi, qui contredisent l’interprétation qu’elle en donne de concert avec son interlocuteur… On ne peut donc pas invoquer l’ignorance.
Attitude confirmée le lendemain 9 janvier où la même journaliste récidive (si l’on peut dire, une fois encore…) dans un article titré « Centres fermés : le projet de loi s’étend aux grands criminels » : « Rachida Dati n’a pas d’états d’âme. Tout au long de la journée, hier, la garde des sceaux a défendu bec et ongles la légitimité de son projet de loi, examiné à l’Assemblée, qui consacre la création de centres de rétention de sûreté où les récidivistes auteurs de crimes “les plus odieux” toujours dangereux pourraient être enfermés sans limitation de temps une fois leur peine purgée. »
Certes, d’autres passages du même article sont fidèles au texte du projet de loi. Mais le mélange du vrai et du faux ne peut avoir pour effet (voire pour intention) que de laisser croire aux lecteurs inattentifs que le projet de loi vise en fait, non les risques de récidive, mais les « récidivistes » : une catégorie de criminels et de délinquants qui concentre l’animosité publique ; un mot choisi, non en fonction de son sens, mais à cause de sa puissance émotionnelle.
Ainsi se trouve escamotée la problématique même du projet de loi qui mobilise contre elle nombre de magistrats, avocats, et défenseurs des droits de l’homme, autour de cette question : peut-on décider d’enfermer quelqu’un, éventuellement à vie, parce que l’on estime qu’il est possible, et seulement possible, qu’il récidive ? Si la personne visée est désignée d’emblée comme récidiviste, comme fait Le Parisien, la cause est entendue et le débat sans objet.