Interview de Romain Pirard
Chargé d'études Forêt et Climat à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) - Docteur en économie de l'environnement (EHESS)- Romain Pirard est spécialiste des questions de déforestation. A l'initiative ambitieuse et innovante, ce chercheur applique le filtre rationnel de l'économie pour décrypter la faisabilité et la réplicabilité du projet. Favorable à l'esprit du projet, ses conclusions sont prudentes et désillusionnées quant au soutien de la communauté internationale à cette initiative.
Il a accepté de nous recevoir à l'IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) à Paris. Voici un résumé de l'entretien (pour découvrir les réponses de M Pirard aux différentes questions, cliquer sur ces dernières) :
Je pense qu’il y a un certain manque de débat sur l'initiative Yasuni et j’ai donc choisi une approche critique pour contrebalancer la réflexion. Mon point ne critique pas tant le principe du projet Yasuni, mais plutôt les arguments mis en avant par le gouvernement équatorien. Ainsi, je ne m’intéresse pas aux impacts concrets sur les populations indigènes et la biodiversité d’une politique extractiviste mais plutôt aux arguments du président Correa qui sont principalement centrés sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Pour moi, la non exploitation du pétrole situé en dessous du parc Yasuni ne changera en rien la quantité de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère à long terme. En effet, deux cas de figures sont envisageables et deux seulement.
Soit on pousse la politique extractiviste à son terme, c'est-à-dire on exploite le pétrole tant qu’il y en a. Dans ce cas là, il semble utopique de penser que le parc Yasuni puisse rester le dernier réservoir de pétrole tant son prix serait élevé et tant les pressions internationales seraient fortes. Ces réserves de pétrole seraient donc utilisées à terme et ce projet ne fait que déplacer le problème dans le temps puisqu’au bout du compte, le nombre de barils de pétrole brûlés sera le même.
La deuxième possibilité est que la politique extractiviste ne soit pas menée à terme et qu’un jour, on arrête de chercher du pétrole tout simplement grâce à de nouvelles technologies par exemple qui permettraient de s’en passer. Il resterait donc dans le monde une certaine quantité de pétrole. Ainsi, le pétrole qui n’aura pas été extrait du sous sol du parc Yasuni aura forcément été extrait autre part. On parle d’effet de fuite ou de leakage. Ce projet n’a donc aucun pouvoir contre le réchauffement climatique à long terme.
Cet argument de réduction des émissions est l’argument le plus pragmatique. En effet, dans un contexte où le réchauffement climatique a été chiffré et formalisé au niveau international et où les pays industrialisés se sont entendus pour réduire leurs émissions et ralentir le réchauffement lors de la conférence de Kyoto, c’est l'argument qui donne le plus de visibilité au projet. Et cela bien plus que l’argument sur la biodiversité. Cet argument sur la biodiversité séduit les populations locales mais en aucun cas les pays développés. C'est pour cela que le président équatorien a mis en avant cet argument qui finalement est illogique comme on vient de le montrer.
Je pense aussi que ce projet discrédite totalement le gouvernement équatorien. En effet, il est inscrit dans la constitution équatorienne que l’extraction de pétrole ou de tout hydrocarbure dans un parc naturel est interdite. Il ne devrait donc pas y avoir de projet Yasuni, c'est inscrit dans leur propre constitution!
Une autre incohérence du projet est que les pays industrialisés, s’ils adhèrent à ce projet, payeront pour augmenter le prix du baril. En effet, les pays développés paieraient donc pour s’auto priver d’une ressource dont ils sont totalement dépendants. Ils paieraient donc une première fois pour soutenir le projet Yasuni, puis une seconde lorsque le prix du baril aura augmenté du fait delà raréfaction de la ressource. Cet argument montre aussi que la réplication à l’échelle mondiale de ce genre de projet serait insoutenable pour les pays donateurs puisque beaucoup trop cher. De plus, les contextes économiques actuels empêchent les occidentaux d'investir dans l'écologie.