Autour de cette controverse, s’articulent de nombreux acteurs mus par des intérêts différents. Certains alimentent la controverse, d'autres essayent de trouver des solutions, tous participent à la complexification du problème lié à la prolifération des algues vertes.
La Bretagne s’inscrit comme l’une des régions phares de l’agriculture française. Clé de voûte de l’agriculture bretonne, les productions animales intensives structurent toujours l’ensemble de la filière agroalimentaire régionale. La production porcine, qui constitue 26 % de la production agricole bretonne, demeure la première filière. La Bretagne se place au premier rang de cette production avec 56 % du volume national (soit plus de 11 millions de porcs).
Si cet important développement de l’agriculture est un atout économique pour la région, il entraîne également de nombreuses complications en matière d’écologie.
Dans ce domaine, les intérêts divergent. On distinguera, de manière globale, deux positionnements. D’une part, l’agriculture conventionnelle, soutenue par un lobbying important comme le FDSEA et fortement subventionnée par l’Etat. De ce fait, ce sont majoritairement des représentants de l’agriculture conventionnelle qui siègent aux chambres d’agriculture. D’autre part, on observe depuis quelques décennies l’émergence d’un nouveau type d’agriculture, l’agriculture bio. Bien que ceux-ci soient très minoritaires en Bretagne à l’heure actuelle, de plus en plus d’agriculteurs conventionnels se convertissent et transforment leur manière de fonctionner en adoptant le modèle biologique. Le frein majeur au passage du conventionnel au biologique est, entre autre, la perte des subventions de l'État via la PAC (Politique agricole commune).
Les agriculteurs sont au cœur de la controverse autour des algues vertes. Ils sont responsables de l’épandage des pesticides contenant nitrates et phosphates qui pollue les bassins versants. La diminution de la prolifération d’algues vertes passe donc forcément par des mesures concernant les agriculteurs, en particuliers les agriculteurs conventionnels.
Moyen d'action dans la controverse :
Accepter de réduire les quantités de nitrates rejetés chaque jour (par une diminution de l'épandage de pesticides, une réduction de l'agriculture intensive, un aménagement des exploitations agricoles pour une meilleure rétention des polluants).
De nombreuses études ont été menées sur la prolifération des algues vertes. Dans les années 80, le CEVA (Centre d'Étude et de Valorisation des Algues), centre de recherche privé, est créé afin de se consacrer à l’étude de solution face à ce problème de ‘’marées vertes’’. En partenariat, le CEVA et l’IFREMER effectuent des études quantitatives sur les tonnages d’algues vertes dispersées chaque année sur le littoral breton. Les études scientifiques font le lien entre nitrates et phosphates et prolifération des algues vertes. Grâce à des modélisations et des essais en bassin versant (comme celui réalisé en 99 dans le marais de Kervigen), les scientifiques concluent sur la nécessité de diminuer drastiquement les rejets de nitrates dans l’eau.
Certaines études montrent une concentration limite de nitrates dans l’eau (de 15 mg/L) en deçà de laquelle il n’y a pas développement des ulves et donc non prolifération. Cette valeur permet de fixer des normes et objectifs à atteindre.
Cependant, si une grande majorité des scientifiques qui se sont penchés sur la question s’accordent sur la responsabilité des nitrates dans la prolifération des algues, il existe là encore des divergences de point de vue. En effet, certains scientifiques réfutent encore la théorie de la corrélation entre nitrates et algues vertes.
Afin de confronter ces différents points de vue, nous avons contacté différents chercheurs défendant des théories divergentes:
Cette contestation des bases scientifiques acquises sur le problème complexifie d’autant cette controverse. En effet, tant que la cause semble pouvoir être contestée, il est plus difficile de faire accepter les mesures adoptées.
Moyen d’action dans la controverse :Leurs conclusions permettent de fournir des bases solides aux mesures à entreprendre pour résoudre le problème. Une totale maîtrise des causes scientifiques de la pollution est nécessaire pour adapter un traitement amont du problème, d’où l’importance de trancher entre les différentes théories sur l’origine de la prolifération des algues vertes.
Les défenseurs de l’environnement sont les premiers à s’être alarmés des marées vertes. On regroupe dans cette catégorie de nombreuses associations écologistes comme l´association « Halte aux marées vertes », l’association Eau et rivières de Bretagne ou encore l’association France Nature Environnement. Elles s’efforcent de sensibiliser à la fois les élus locaux mais également les agriculteurs et l’opinion publique sur l’importance de cette pollution. Plusieurs actions ont été menées par les défenseurs de l’environnement comme l’association Halte aux marées vertes sous forme d’événements médiatiques, de manifestations. D’autres associations, comme Eaux et Rivières de Bretagne, ont un caractère plus institutionnel et sont des partenaires privilégiés des autorités locales lors des discussions autour du sujet.
Moyen d’action dans la controverse :Les associations écologistes participent à la controverse à travers leur rôle de sensibilisation du public. Grâce à elles, le sujet est continuellement remis à l’ordre du jour tant qu’aucune solution acceptable n’est trouvée. Elles agissent lors de manifestations, de campagne de sensibilisation, organisent des conférences sur le sujet.
Les élus locaux sont des acteurs importants de la controverse dans le sens où ils incarnent l’autorité dans l’instauration de normes environnementales. On y regroupe les représentants des conseils régionaux et généraux ainsi que les maires des communes touchées par les algues vertes. Leur position est délicate. Ils se placent comme intermédiaires entre le gouvernement et les citoyens. Ils doivent à la fois respecter les directives gouvernementales et contenter les électeurs aux vues des prochaines élections. On peut alors noter le fait qu’une mesure trop radicale quant à la réduction des taux de nitrates tolérés serait extrêmement impopulaire chez l’électorat agricole.
Cependant, les élus locaux sont aussi les premiers responsables de leur commune et la responsabilité de tout incident s’y produisant leur revient. Ils doivent donc faire face à de multiples pressions entre contenter l’électorat, suivre les directives gouvernementales et garantir la sécurité et le bon fonctionnement de sa commune face à la pollution aux algues vertes.
Moyen d’action dans la controverse :Les élus locaux possèdent un pouvoir de décision qui les place dans une position clé de la controverse. Tout en respectant les directives du gouvernement, ils choisissent les orientations des actions à ce sujet, peuvent faire pencher la balance vers l’une ou l’autre des solutions envisagées. Il s’agit également des premiers interlocuteurs avec les associations écologistes locales, les agriculteurs, les résidents.
L'État apparaît comme un acteur phare de la controverse autour des algues vertes. Il est représenté à plusieurs niveaux :
Moyen d’action dans la controverse :Le gouvernement seul possède le pouvoir d’imposer de nouvelles normes aux localités. L’issue de la controverse dépend donc en grande partie des choix que celui-ci va faire. Il est en mesure de fixer des normes limites de pollution en nitrates par les exploitations, il peut orienter le type d’agriculture adoptée en répartissant les subventions grâce à la PAC.
L'Union Européenne agit dans cette controverse par le biais de la commission européenne. Celle-ci fixe des normes et peut contraindre le gouvernement français à les respecter. Ainsi dés 1975, la DCE (directive cadre sur l’eau) impose un taux limite de nitrates dans l’eau. La Commission Européenne est présente dans cette problématique à travers la Cour de Justice Européenne et les nombreux avertissements lancés à la France pour son non-respect des normes européennes en Bretagne, et ce depuis les années 80.
Moyen d’action dans la controverse :L’Union Européenne fixe les normes et possède les institutions pour les faire respecter au sein des Etats. Ainsi, grâce à la Cour de Justice Européenne, elle peut sanctionner le gouvernement en cas de non-respect des conventions fixées à l’échelle européenne. C’est donc un moteur pour l’évolution de la controverse dans le sens où il pousse le gouvernement à agir.
Le problème écologique lié à la prolifération des algues vertes nécessite, pour une véritable mobilisation, d’être connue par le grand public. En effet, seule une prise de conscience majeure par le grand publique des dangers et de l’enjeu de cette prolifération peut exercer une pression suffisante pour faire changer les choses.
Le sujet des algues vertes n’a pas toujours été connu du public et on observe une répartition très hétérogène du nombre d’articles publiés sur le problème depuis sa découverte. Par exemple, pendant plusieurs années, plus aucune publication ne concernait les algues vertes dans la presse nationale jusqu’à la mort d’un cheval sur la baie de Saint-Michel en grève en juillet 2009. Cet événement a déchaîné un battage médiatique très important, ce qui a permis une prise de conscience générale des risques liés aux algues vertes en Bretagne.
On observe également une corrélation étroite entre les associations écologistes et certains médias. Les médias peuvent soutenir la cause des associations environnementales en participant à des campagne de préventions, de publicité autour du sujet.
Nous trouvons ci-dessus une affiche d’une campagne médiatique menée par l’association France Nature Environnement.
Moyen d’action dans la controverse : La publication d’articles sur le sujet, la dénonciation de certains actes ou absences d’actes, le rappel régulier à l’opinion publique que le problème est toujours présent et loin d’être résolu permettent d’éviter une banalisation et minimisation du problème dans le temps. Ils rajoutent une pression importante aux représentants locaux en les mettant sous le feu des projecteurs et donnent un poids supplémentaire aux actions des associations environnementales.
Suite aux inquiétudes soulevées par les associations environnementales, de nombreux spécialistes se sont penchés sur l’étude des risques sanitaires liés à la prolifération des algues vertes. Ces études se sont d’autant plus multipliées avec les différents accidents survenus comme la mort des deux chiens, la mort du cheval, le coma de plusieurs adultes… etc.
Il est absolument essentiel d’avoir les analyses des spécialistes sur les risques pour l’homme de cette invasion par les algues vertes. Un rapport dénonçant un risque mortel d’intoxication ne laisse plus aucun autre choix aux collectivités locales que d’agir et trouver une solution au problème.
L’un des docteurs s’étant penché sur le sujet, Dr Claude Lesné, a accepté de nous rencontrer pour nous présenter ses études sur le sujet, ses conclusions. La transcription de notre entretien est disponible sur le site.
Moyen d’action dans la controverse : La publication de rapport sur les risques sanitaires liés au problème rend impossible aux collectivités locales et autres responsables de fermer les yeux sur le sujet et de ne pas agir. Ces études sont donc un moteur essentiel de la controverse.