Entretien avec Geneviève de Bauw

Entretien téléphonique avec Geneviève de Bauw,
porte-parole de BPA Coalition

BPA Coalition est une association européenne basée à Bruxelles ayant pour but de partager les opinions et arguments des industriels dans la controverse du bisphénol A. Nous nous sommes entretenus via Skype avec la porte-parole de ce groupe, Geneviève de Bauw, également connue comme productrice de cinéma. Avant notre interview, celle-ci nous conseille de regarder un court documentaire réalisé par BPA Coalition sur ce produit chimique.

Le but de la coalition : faire entendre la voix de l’industrie dans le débat public

L’association a été créée très récemment, en août 2012, et se compose de fabricants et d’utilisateurs de BPA, notamment d’importants groupes industriels européens. L’idée des créateurs de la coalition était que l’industrie avait été très présente ces dix dernières années dans les débats scientifiques et réglementaires, mais trop peu dans le « discours public ». Pour Geneviève de Bauw, cette entrée dans le débat public ne doit pas se faire « de façon purement antagoniste » : bien que la coalition soutienne clairement l’utilisation du BPA, son but est davantage d’engager un dialogue sur le produit et de se dégager de la perception que peuvent avoir les citoyens des « méchants industriels ». « On se différencie de la position traditionnelle de l’industrie en ce qu’on offre une prise de vue plutôt qu’une prise de position », précise la porte-parole. La coalition cherche ainsi à expliciter l’utilité pratique du BPA et à mettre en perspective les alertes sur sa dangerosité. Son action se concrétise sur le web, avec un site Internet sous forme de blog et une forte présence sur Twitter, mais aussi par des événements comme des conférences ou des salons professionnels.

Des études qui ne reflètent pas la réalité de l’exposition au BPA

La coalition n’a pas pour but de conduire ou de commander de nouvelles études scientifiques, mais dispose de bases de données très importantes qui répertorient l’intégralité des travaux effectués sur le BPA (presque 3 études par semaine). Via ses plateformes de communication, elle relaie les analyses de groupes industriels qui eux passent toutes les études en revue.
Ainsi, la coalition a publié récemment sur son site une vidéo assez générale sur le bisphénol A qui s’appuie sur certaines études en particulier (FDA, Health Canada) : le produit provoque des modifications hormonales dans l’organisme, mais de la même façon que certains aliments comme les carottes, et dans des proportions qui n’impliquent aucun risque pour la santé. Aussi la vidéo conclut-elle à la non-toxicité du produit aux doses habituelles et exige de la prudence dans la réglementation d’un produit possédant autant d’applications pratiques.
On peut d’ailleurs noter un glissement sémantique au cours de ces dix dernières années : le bisphénol A est passé de ce qu’on appelait un « modulateur endocrinien » - qui n’a pas forcément d’effet néfaste sur l’organisme - à un « perturbateur endocrinien ». Ce dernier terme sous-entend un effet adverse ; or « dans des doses d’exposition normales de l’être humain, cet effet adverse sur le système endocrinien n’est pas prouvé de façon solide », affirme Geneviève de Bauw. « La plupart des études qui ont tenté de démontrer cet effet adverse n’ont pas pu être répliquées »
La récente étude de René Habert a elle aussi été passée en revue par l’industrie. Il en ressort que les conditions dans lesquelles l’étude a été réalisée ne reflètent pas bien la façon dont l’homme est exposé au BPA dans la réalité : les chercheurs ont mis directement le produit au contact des cellules alors que l’homme est normalement exposé au BPA par ingestion. « L’étude ne peut donc pas être extrapolée directement au niveau de la réglementation », conclut la porte-parole de la coalition.

Le rôle primordial de l’EFSA

Le rôle des agences de régulation comme l’EFSA est extrêmement important dans l’évolution de la controverse. L’EFSA a été mise en place il y a une dizaine d’années pour aider les instances réglementaires européennes à étayer leurs décisions sur des bases scientifiques solides. L’agence a jusqu’à présent toujours bien joué ce rôle en rendant des avis cohérents au fil des années. L’EFSA travaille de façon tout à fait indépendante sur la base d’un mandat donné par la Commission Européenne ; les acteurs industriels lui mettent à disposition leurs propres études et l’agence en prend le maximum en compte.
Comme beaucoup d’autres acteurs de la controverse, BPA Coalition attend avec impatience l’avis que l’EFSA doit publier dans les prochains mois, avis résultant d’une révision en profondeur de toute la nouvelle littérature scientifique. « La contribution de l’EFSA sera capitale pour les futures décisions réglementaires », déclare Geneviève de Bauw.

Un produit difficilement remplaçable

L’industrie utilise le bisphénol A dans de très nombreuses applications ; il présente « une versatilité assez incroyable » et est devenu indispensable à certains secteurs. Or il n’existe pas de substituts possédant les mêmes propriétés et dont la non-toxicité a été prouvée. Au contraire, le bisphénol A est de loin le produit ayant subi le plus de tests ces dernières années ; c’est celui qu’on connaît le mieux, et pour Geneviève de Bauw, « il a fait ses preuves ».
« La question des substituts doit revenir au centre du débat pour ramener un peu de réalisme dans la discussion », affirme la porte-parole de la coalition. Des recherches sont effectuées par les industries utilisatrices de BPA pour trouver d’autres substituts ; elles ne sont toutefois que rarement fructueuses. Ainsi, les meilleurs moules utilisés pour la fabrication du chocolat sont faits en polycarbonates : après des années de recherches et de pratique, il s’agit de la seule matière qui résiste à toutes les contraintes, aussi bien sanitaires que « gustatives ».

L’interdiction française : une décision pas assez réfléchie

Pour l’industrie chocolatière comme pour de nombreux autres secteurs, l’interdiction en France du bisphénol A dans tous les contenants alimentaires pose donc de sérieux problèmes. Elle entraîne évidemment des difficultés économiques en termes d’adaptation des chaines de production, mais soulève surtout la question de la dangerosité des produits de remplacement : les substituts du BPA sont-ils au moins aussi sûrs que le BPA lui-même ?
« C’est une question dont on commence à mesurer l’importance en France », remarque Geneviève de Bauw. Pour elle, les acteurs ayant poussé à l’interdiction du bisphénol A n’ont pas pris en considération ces difficultés et se rendent probablement compte aujourd’hui qu’ils sont allés trop loin. Elle regrette une trop forte « politisation » de la controverse dans notre pays, et reste sceptique quant aux potentielles améliorations sanitaires apportées par la nouvelle réglementation : « finalement, qu’est-ce que ça change d’interdire le bisphénol A ? », s’interroge-t-elle.
D’autre part, cette interdiction place la France en contravention avec le droit européen : « le pays a pris une mesure unilatérale qui contrevient aux règles du marché intérieur ». Il est en effet illégal d’interdire les échanges commerciaux d’un produit a priori inoffensif. Cette confrontation entre droit français et droit européen pourrait prendre de l’ampleur si l’EFSA recommandait d’autoriser le BPA dans son prochain avis tant attendu. Pour Geneviève de Bauw, « cela n’est pas impossible », et un retour à la non-interdiction du BPA en France serait alors envisageable.