Rencontre avec Gilles Garnier

Rencontre avec Gilles Garnier,
assistant de la sénatrice Annie David, présidente de la commission des affaires sociales

La sphère politique joue un rôle primordial dans la controverse liée au bisphénol A. Représentante des citoyens, elle doit répondre à leurs inquiétudes, statuer officiellement sur la dangerosité ou l'innocuité de la substance et se faire tambour de résonance de leurs opinions. Alors que l'État doit souvent mettre en application le principe de précaution, il doit aussi gérer les données scientifiques qui lui parviennent ou qu'il interroge afin de potentiellement construire un texte de loi qui réponde au mieux au problème et aux attentes des concitoyens. Pour discuter de ces questions subtiles, notre équipe a pu rencontrer au Sénat Gilles Garnier afin d'en discuter.

La genèse de la réaction parlementaire

Avant d'être un homme politique, un parlementaire est avant tout un lecteur, un auditeur, un téléspectateur comme les autres qui a vent par les médias des controverses du moment. "Le parlementaire, c'est un citoyen comme un autre, mis à part le fait qu'il rencontre des centaines de gens en permanence" rappelle Gilles Garnier. Cependant, ce n'est pas l'avis personnel qui déclenche une enquête parlementaire mais bien la volonté commune qu'a la commission de suivre le porteur d'un projet. Dans le cas du BPA, "c'est Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, qui fut la rapporteuse" précise M. Garnier. "Lorsque la discussion prend de l'ampleur dans la presse, on demande à ce que la commission s'en saisisse pour faire un rapport, comme ce fut d'ailleurs le cas pour les scandales sanitaires du Mediator et des prothèses PIP" ajoute-t-il enfin. Avec la réception d'avis scientifiques, des contacts avec l'ordre des médecins et avec des chercheurs, les premiers indices s'accumulent. S'ensuit un véritable examen des données du problème : des acteurs privilégiés sont interrogés et des experts sont auditionnés. Les deux parties s'expriment et au terme des débats, un rapport est produit. Il pourra être le point de départ d'une nouvelle loi.

L'importance des lobbies

Puisque tous les parties peuvent débattre librement, les groupes de pression sont une réalité. "Quel industriel ne défendrait pas un produit dont l'interdiction menacerait la prospérité de son entreprise ?" fait remarquer Gilles Garnier. Les lobbies ont donc eu une influence certaine lors des débats sur le bisphénol A et ont pu retarder la mise en vigueur de la loi visant à l'interdire par exemple. "Il est certain que le lobby industriel est plus fort que celui des consommateurs ou des syndicats" renchérit M. Garnier. Néanmoins, "il ne faut pas tomber dans un manichéisme péremptoire en ignorant que les intérêts des industries peuvent rejoindre ceux des populations" nuance le parlementaire. L'argument de l'emploi a en effet été utilisé pendant les débats. La suppression du bisphénol A d'ici 2015 va contraindre la majorité des entreprises à revoir toutes leurs lignes de production, à changer de fournisseur et des licenciements pourraient être la conséquence de tous ces investissements nouveaux et non planifiés. Dans ce cas précis, industries et opinion publique peuvent chacun contester une loi visant à interdire le BPA.

Que dire des réglementations européennes et françaises ?

Le fonctionnement de l'Union Européenne vis-à-vis de la France est celui de la subsidiarité. Toutefois, le domaine de la santé étant très singulier, il est plus complexe à réglementer. Ainsi, pour tous ses médicaments, La France redemande de nouvelles études après aval de la Commission Européenne. Mais passées ces théories, "on observe un brouillard complexe de divers organismes liés à la régulation : HAS (Haute Autorité de la Santé), ANSES (Agence Nationale de SEcurité Sanitaire), ANSM (Agence Nationale de la Sécurité du Médicament), etc." observe Gilles Garnier. "Toutes ces agences ont tendance à se marcher sur les pieds lors de l'émergence de controverses sanitaires" ajoute-t-il. Enfin, un dernier problème lié à la double autorité franco-européenne est celui des lobbies. Alors qu'ils sont "plutôt bien cadrés en France, ils ont pignon sur rue à Bruxelles" précise le parlementaire. Institutionnalisés à l'échelle européenne, les lobbies ont ainsi un certain poids sur les décisions les plus importantes de la Commission Européenne selon Gilles Garnier. La volonté de l'État français de proposer aussi ses propres réglementations peut donc être un premier moyen de les filtrer.

Le vrai problème : la nécessité risquée de transparence

"La problématique cruciale, c'est d'arriver à répondre à la peur du risque sans céder à la précipitation" tient à rappeler M. Garnier. À partir du moment où le parlementaire est la caisse de résonance de l'opinion publique, il doit la protéger de manière optimale même si "une société sans risques n'existe pas". "En centres de vacances, il arrive moins de dix accidents par an, c'est 800 fois moins qu'en appartements. Pourtant, les gens continuent d'argumenter sur le manque de sécurité de ces lieux de villégiature !" ironise-t-il enfin. M. Garnier ajoute que ce manque de recul stigmatise un point clé de la controverse : le manque de temps. "On demande aux journalistes et aux élus d'avoir une réaction immédiate sur un problème qui demande du recul" nous explique-t-il, entraînant une "précipitation dans le travail parlementaire". Cette précipitation est provoquée par une pression de "l'opinion publique" qui demande toujours plus de précaution, ce qui génère une "contre-précaution" due à l'empressement avec lequel a été traité le problème. En bref, à vouloir aller trop vite, les risques s'accroissent quand bien même le but premier était de les minimiser. Dans le cas du bisphénol A, c'est bien sûr la commercialisation des substituts qui pose problème : ces derniers devront être testés avant d'être mis sur le marché sans quoi la controverse sanitaire ne fera que s'essaimer.

Le projet de loi voté au parlement

En décembre dernier, le Sénat a validé en deuxième lecture le texte de l'Assemblée Nationale visant à interdire le bisphénol A dans les contenants alimentaires. Sa date d'application a été fixée à janvier 2015 afin de donner le temps aux industriels de s'adapter et de proposer des substituts fiables. Ce dernier rappelle clairement en en-tête que les populations à risques sont principalement les enfants en bas âge du fait de leur vulnérabilité accrue aux perturbateurs endocriniens. Cependant, le paragraphe visant à protéger les femmes enceintes et leur foetus en supprimant les dispositifs médicaux contenant du BPA a été retiré. Selon Gilles Garnier, "il est déplorable que l'on n'aille pas au bout des choses". Néanmoins, bien que ce retrait soit une erreur à ses yeux, il rappelle aussi qu'une interdiction n'est pas si aisée. Dans ce cas précis, il induit une possible pénurie de matériel médical d'importance cruciale. Ainsi, dans les faits, certaines évidences sanitaires doivent être relayées au second plan pour permettre au système de continuer à fonctionner.