Alzheimer, une maladie ?

La définition même de la maladie d’Alzheimer pose problème. Il n’existe à ce jour aucune certitude ni sur les mécanismes à l’origine de la maladie ni sur le diagnostic lui même. Malgré des décennies d’investissement dans la recherche, aucun traitement ne s’est avéré efficace.

Ce flou pose de nombreuses questions : Comment définir Alzheimer? Comment poser un diagnostic fiable ?


 

Historique

1907 : Le psychiatre et neuro-pathologiste allemand Aloïs Alzheimer identifie la maladie en en étudiant le cas d’Auguste Deter, une patiente de 51 ans admise à l’Hôpital de Frankfort pour cause de démence. Elle présentait des troubles de la mémoire, un mutisme, une désorientation et des hallucinations. Après sa mort, Alzheimer pratiqua l’autopsie de son cerveau et décrivit deux lésions neuropathologiques présentes dans son cerveau : les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires.

1910 : Le nom de « maladie d’Alzheimer » est donné à cette pathologie. Le psychiatre et neuropathologiste tchèque Oskar Fischer et le médecin italien Gaetano Perusini, collaborateur d’Aloïs Alzheimer, ont également contribué à la découverte de la maladie. Le développement de nouveaux outils d’analyse  a permis de décrire plus précisément la pathologie et de la définir en tant qu’entité clinique.

1980 : Dans les années 80,  les chercheurs pensent avoir trouvé les constituants biologiques des deux lésions présentes dans la maladie d’Alzheimer . En 1984 George Glenner  met en évidence que la protéine bêta-amyloïde est le constituant majeur des plaques séniles. Le belge Jean-Pierre Brion découvre en 1985 la présence de protéine tau anormalement phosphorylée accumulée dans les dégénérescences neurofibrillaires.

1990 :  Dans les années 90, plusieurs gènes responsables de formes familiales précoces de la maladie (avant 60 ans) sont identifiés.

Depuis 30 ans, de nombreux progrès dans le domaine de la recherche ont été réalisés, sans pour autant arriver à une explication certaine de la maladie. On connaît de mieux en mieux les lésions en cause et leur progression dans le cerveau mais des zones d’ombre subsistent. Aucun traitement n’a été trouvé à ce jour.  Les tests diagnostiques tendent à s’affiner, grâce aux biomarqueurs précoces de la maladie et de nouveaux facteurs de risque ont été mis au jour.


 

Origine biologique de la maladie

Malgré les nombreuses années d’étude sur la maladie d’Alzheimer, l’origine, c’est-à-dire le mécanisme biologique qui cause les différents symptômes identifiés sous le nom de “maladie d’Alzheimer” reste controversée. Plusieurs hypothèses ont été évoquées pour expliquer l’apparition des symptômes. Mais aucun consensus ne s’est formé autour d’une explication réellement convaincante. D’autres chercheurs pensent que la réponse est à chercher du côté d’une combinaison des différents facteurs déjà étudiés, même si les résultats publiés dans la littérature scientifique ne permettent pas de dégager une tendance claire en faveur de cette piste.

La protéine bêta-amyloïde est historiquement le marqueur biologique lié à la maladie d’Alzheimer. Cependant aucun lien de causalité ou de corrélation directe n’a pas pu être prouvé. Naturellement présente dans le cerveau, son accumulation au niveau des synapses pourrait être pathologique. C’est l’hypothèse sur laquelle se base la définition d’Alzheimer de l’Inserm.
D'après BrightFocus Foundation
L’effet des plaques amyloïdes sur le cerveau, d’après http://lecerveau.mcgill.ca

On observe souvent à l’autopsie de patients ayant déclaré la maladie d’Alzheimer, des plaques “séniles”, des précipités de la protéine amyloïde dans le cerveau. Elles se situent au niveau de lésions dans le cerveau, ce qui peut laisser penser qu’il existe un lien entre la protéine amyloïde et les lésions pathologiques liées à Alzheimer. Ce mécanisme est désigné sous le nom de “cascade amyloïde”.

Plaques amyloïdes (en brun), Cerebral amyloid angiopathy ©CC BY-SA 3.0

Cependant, des sujets sains, n’ayant jamais eu de troubles caractéristiques de la maladie d’Alzheimer, peuvent également être porteurs de ces plaques amyloïdes. Selon Bruno Dubois, professeur à la Pitié Salpêtrière “à l’âge de 47 ans, la moitié de la population a déjà une dégénérescence neurofibrillaire. “

Comment alors définir Alzheimer ? Comment savoir si une personne ayant des lésions va vraiment développer la maladie ?

Cette question a poussé les chercheurs et les médecins à trouver une autre explication à ces plaques.

Selon une étude (4. Kumar DKV. Amyloid-peptide protects against microbial infection in mouse and worm models of Alzheimers disease. Science Translational Medicine 2016 ; 8: 340ra72)  américaine de 2016 les protéines amyloïdes seraient des acteurs de l’immunité du cerveau. En recoupant cette hypothèse avec la maladie d’Alzheimer, ils avancent que les plaques séniles n’apparaissent que dans les stades tardifs de la maladie d’Alzheimer, lorsque le cerveau a tenté de lutter contre les lésions qui l’endommagent. Ainsi, les patients jeunes ne présentent pas encore ces plaques. Et les personnes âgées ont naturellement ces plaques car le cerveau a lutté contre des lésions – causées ou non par la maladie d’Alzheimer.

La protéine tau est une autre protéine suspectée d’être liée au développement d’Alzheimer. Elle  a une fonction essentielle au niveau des axones des neurones : stabiliser les microtubules qui y sont présents. Toutefois, certains chercheurs comme le professeur Baulieu, pensent qu’une concentration anormalement forte de la protéine tau pourrait favoriser l’apparition de la maladie d’Alzheimer.

Cette hypothèse vient de l’observation par autopsie des cerveaux de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer. Comme dans le cas d’autres maladies neurodégénératives, on observe des lésions dans les zones du cerveau où la protéine tau se manifeste, ainsi que des agrégats précipités de cette protéine. A cela s’ajoute une concentration plus élevée que la moyenne de la protéine tau dans le cerveau.

Cependant, il reste à trouver ce qui pourrait causer l’augmentation de la concentration en protéine tau, de même qu’une corrélation forte entre cette augmentation et l’arrivée d’Alzheimer.


 

Le vieillissement normal

D’autres chercheurs et médecins comme Alain Jean, auteur de “La vieillesse n’est pas une maladie” et  médecin en hôpital gériatrique réfutent l’idée selon laquelle Alzheimer serait une maladie. Ils pensent que ce qu’on appelle “maladie d’Alzheimer” n’est qu’une conséquence du vieillissement normal. Elle n’aurait ainsi qu’une existence fictive, certains individus présentant simplement des marques de vieillissement plus avancées que d’autres. Plusieurs ouvrages polémiques allant dans ce sens ont été publiés ces dernières années. Dans leur livre “Le mythe de la maladie d’Alzheimer” Peter J. Whitehouse et Daniel George, appuient sur le fait que la frontière entre la vieillesse et la maladie d’Alzheimer n’est pas claire. Pour eux il faut changer notre façon d’appréhender les troubles cognitifs qui peuvent atteindre plus ou moins gravement les personnes âgées en tenant compte de la complexité du vieillissement cérébral de ses infinies nuances au lieu de le réduire à quelques pathologies.

Ils évoquent en faveur de cette hypothèse que les fameuses plaques amyloïdes qu’on utilise pour valider post-mortem le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ne sont pas un marqueur spécifique. En effet, ces plaques, aussi appelées “plaques séniles” semblent être liées uniquement à l’âge et au vieillissement normal. De fait, il est difficile de distinguer la perte d’autonomie liée à l’âge par rapport aux conséquences d’un éventuel dérèglement biologique indépendant.

Toutefois, cette hypothèse se voit opposer les arguments de l’Alzheimer chez les sujets jeunes. En effet, les symptômes peuvent se déclarer chez des patients ayant moins de 60 ans, même s’ils ne représentent qu’une partie faible des patients atteints (1%). Si ces symptômes étaient uniquement liés au vieillissement et au déclin cérébral associés, ils ne devraient pas pouvoir se déclarer si tôt.

D’autre part, dans les pays développés, la population vieillit et il y a de plus en plus de personnes ayant plus de 60 ans, en termes de pourcentages de la population totale. Ces populations seraient donc de plus en plus vulnérables face à la Alzheimer. Or les données montrent que l’incidence de la maladie d’Alzheimer n’a pas augmenté dans les mêmes proportions.

Il semble donc que la maladie d’Alzheimer ne soit pas uniquement un marqueur de vieillesse.

Selon Fabrice Gzil, responsable du pôle Études et Recherche de la Fondation Médéric Alzheimer, il n’est pas utile de parler de maladie d’Alzheimer après 80 ans. En effet le vieillissement normal s’accompagne de nombre de pathologies qui s’ajoutent à une potentielle maladie d’Alzheimer, chercher à savoir si les troubles cognitifs sont du vieillissement ou une « vraie » maladie d’Alzheimer devient complexe et inutile.

Les personnes atteintes à un âge plus avancé sont donc moins prises en charge pour la maladie d’Alzheimer.

« Prévalence et traitement de la maladie d’Alzheimer en France en 2004. Distribution par tranche d’âge », Rapport sur la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées, par Mme Cécile GALLEZ, Députée, 2005


 

Quel diagnostic?

Une question essentielle se pose alors. Comment alors diagnostiquer la maladie alors même qu’on n’en connaît pas précisément la cause ? Aujourd’hui différentes méthodes de diagnostic, plus ou moins fiables sont utilisées. En 2014, l’Inserm en partenariat avec l’APHP et l’équipe du Professeur Dubois a publié une nouvelle grille de critère pour établir un diagnostic plus fiable liée notament aux concentrations en protéine amyloide et tau. Selon eux « 36% de leurs patients inclus dans un essai thérapeutique sur la base d’anciens critères cliniques n’avaient pas la maladie d’Alzheimer ». Différents examen existent pour obtenir le diagnostic d’Alzheimer.

  • Questionnaire cognitif
Questionnaire cognitif, Science Photo Library

Lors de la consultation, le médecin note les troubles rapportés notre amie et lui soumet différents questionnaires afin de mesurer précisément ses capacités cognitives.
De ces tests est tirée une note qui reflète le degré de dégradation des capacités de Jeanine.

  • Ponction lombaire

La ponction lombaire consiste à prélever du liquide céphalo-rachidien dans la moelle épinière. On évalue ainsi la concentration dans le cerveau  des diverses protéines impliquées dans la maladie d’Alzheimer, la protéine tau et la protéine amyloïde.

Mais les médecins hésitent avant de prescrire ce test car la méthode est très invasive et douloureuse pour le patient. De plus, l’efficacité de la ponction lombaire dans le diagnostic n’est pas suffisamment élevée pour justifier son utilisation systématique

  • Imagerie par résonance magnétique

L’IRM est une technique de diagnostic relativement répandue. Elle permet de détecter l’activité du cerveau, et en particulier de localiser les zones actives dans le cerveau, en mesurant l’irrigation sanguine du cortex.

Or on sait que l’hippocampe est entre autres une zone clef du processus de mémorisation et de nombreuses autres facultés cognitives.

Donc on observe en pratique clinique l’activité de l’hippocampe d’un patient chez qui on soupçonne une maladie d’Alzheimer.

Une atrophie de la zone étudiée ou bien une activité trop faible est alors un indice pour le diagnostic d’Alzheimer. Mais la fiabilité de ce test est contesté car de nombreux autres facteurs peuvent entrer en jeu et perturber l’afflux sanguin.

  • Scintigraphie cérébrale

La scintigraphie repose sur des traceurs bio-chimiques qui ciblent spécifiquement certaines molécules, comme par exemple la molécule d’amyloïde, et qui sont facilement détectables par une technique d’imagerie cérébrale.

On peut ainsi voir les concentrations d’amyloïde dans le cerveau du patient, et on peut repérer la présence de plaques d’amyloïde.

Étant donné la spécificité du marqueur et la nécessité d’un équipement adapté, la scintigraphie cérébrale est une méthode de diagnostic très coûteuse et donc peu répandue.

  • Test génétique

Alzheimer n’est pas, en général, une maladie héréditaire, mais les chercheurs soupçonnent l’existence de gènes de prédisposition dont la présence pourrait favoriser l’apparition de la maladie. L’origine génétique est reconnue dans le cas de maladie d’Alzheimer chez des personnes jeunes (dès 50 ans).

Ces mécanismes sont relativement; mais ces patients ne représentent qu’une partie infime des malades atteints d’Alzheimer.

L’avantage d’un tel diagnostic s’il en existait un serait le fait de pouvoir faire des prédiction médicale bien avant l’apparition des symptômes.

  • Analyse sanguine

Les chercheurs ont l’espoir de trouver une méthode d’analyse sanguine qui pourrait remplacer la ponction lombaire, jugée trop invasive. L’idée serait de détecter une variation de la concentration en protéines tau et amyloïde dans le liquide céphalo-rachidien à partir d’une prise de sang. Si les recherches dans ce domaine aboutissent, les médecins auraient accès à un test relativement fiable et facile à mettre en œuvre.