Un homme écrit en arabe. Source : flickr.com
Les 26 et 27 juillet 2015, a eu lieu en Algérie une Conférence nationale portant sur la réforme de l’éducation, notamment en maternelle. Messeguem Nedjadi, inspecteur général du ministère de l’Education nationale, a alors annoncé en marge d’une conférence de presse au siège du ministère que désormais l’apprentissage fondamental se ferait désormais avec la darija, dialecte algérien parlé par la plupart de la population algérienne. Cette réforme s’appuie sur des travaux neuroscientifiques et aurait notamment pour objectif de faciliter l’apprentissage de la langue arabe écrite.
Des scientifiques réunis sur la question ont en effet expliqué que les premières années scolaires étaient une période de transition critique pour l’enfant. Ses premiers pas à l’école lui font appréhender un monde nouveau, le détachement de la bulle familiale, la sociabilisation. Autant de découvertes suffisantes pour le déstabiliser. L’apprentissage s’ajoute à ce panel de difficultés pour former un ensemble assez traumatisant parfois. .
C’est pourquoi dans un article de Liberté, un journal algérien, Ahmed Tessa avertit les éducateurs de la sorte “Si rien n'est fait de façon méthodique et scientifique, pendant ces trois premières années, l'élève aura des difficultés à maîtriser la langue d'enseignement et à entrer dans les autres apprentissages fondamentaux (mathématiques, physiques, histoire...)”. Il explique alors la nécessité de ne pas trop surcharger l’apprentissage des jeunes enfants en leur enseignant dans une langue à laquelle ils ne sont pas habitués, une langue qui ne leur serait pas maternelle. Le risque selon des études neuroscientifiques serait le renforcement de l’échec scolaire dès le primaire dans des domaines tels que l’apprentissage de la langue écrite mais également les mathématiques. Il remet alors en question les familles voulant un bilinguisme pour tous et ce dès les premières années, toutes proportions gardées tout de même puisque le bilinguisme “de nature” ne serait pas un problème selon lui puisque qu’il n’est pas à l’origine d’un “choc”.
Un premier noeud de controverse apparaît alors ici. Un article du journal algérien El Watan souligne l’impossible définition de l’intelligence, les discours promouvant les intelligences multiples (voir Définir l’intelligence). Car en effet, “les bilingues profitent très certainement d’une fluidité mentale plus élevée que ceux qui ne parlent qu’une seule langue” peut-on trouver dans un article du 25 décembre 2014 de Sciences et Vie. Les neurosciences ne semblent alors pas être en adéquation sur les résultats des études visant à prouver ou démanteler les théories favorables au bilinguisme. (voir L’application des théories à la salle de classe)
En outre, la réforme scolaire algérienne a fait beaucoup parler d’elle parce que d’aucuns y ont vu la fin de la langue écrite, de l’arabe scolaire. Elle a fait ressurgir de vieilles frustrations également sur l’apprentissage du français pour tous les écoliers. Une référence à l’ère coloniale est inévitable pour Ahmed Tessa “Souvenons-nous des pratiques pédagogiques de l'école coloniale. Pour imposer de façon brutale l'usage de la langue française, les autorités scolaires avaient interdit aux élèves de parler - en classe ou en récréation - l'arabe algérien, le tamazight et en France, le breton, le corse ou l'alsacien. Au finish, des échecs scolaires massifs dès le primaire ; ce qui est le cas en Algérie depuis de longues années”. Différents partis s’opposent pour défendre la langue, celle qui représente leur culture. Cette “guerre des langues”, comme Ahmed Tessa l’appelle, est en réalité une confrontation de différentes idéologies et parfois de rancunes vestiges du passé (voir Chocs culturels). Le ministère de l’éducation algérien tente alors des réformes conciliatrices entre une Algérie ouverte au monde et ayant sa place dans la mondialisation et une Algérie forte de ses convictions, de ses valeurs. Le challenge est accru par la volonté de proposer une réforme bénéfique pour l’équilibre et le développement de l’enfant.
Pour parachever ce tableau de confrontation bien fourni, cette réforme soulève des questions sociales remettant en cause la structure de l’éducation algérienne. Ahmed Tessa dénonce avec virulence les défenseurs de la langue arabe écrite, de la “Se sont-ils insurgés devant l'apartheid scolaire et linguistique généré par le changement de langue, dès l'accès à l'université ? Ils savent bien que depuis plus de trente années, la langue française détrône la langue arabe dans les filières universitaires dites prestigieuses (médecine, maths, pharmacie, architecture...)”. Il explique alors la fracture sociale créée par le système éducatif algérien qui se refuse d’accepter le français dans ses écoles et qui renforce le clivage entre les familles riches qui ont accès à la langue française et aux études supérieures avec plus de facilité que les familles pauvres. “Bourdieu parlait de l'école reproductrice des classes” finit-il.(voir Chocs culturels).
Sur cette étude du cas de la réforme de l’éducation algérienne, on peut voir à quel point la “simple recommandation de spécialistes” (selon les termes de Ahmed Tessa) peut ébranler et soulever des questions parfois longtemps enfouies, dépassant de loin la simple question des neurosciences et de leur légitimité. La place de ces dernières dans l’éducation impose la prise en compte de tout un environnement et de tout un contexte qui explique les divergences de points de vue. .