Une salle de maternelle. Source : flickr.com
Pendant 3 ans (septembre 2011-juin 2014), Céline Alvarez, institutrice de l'Éducation nationale, expérimente sur une classe de ZEP à Gennevilliers un mode éducatif alternatif. Basé sur des méthodes issues des neurosciences et de la pédagogie Montessori, elle déclare : “Ils étaient autonomes, ils choisissaient les activités qui les motivaient. Ils se sont rapidement fixé des objectifs que nous n'aurions jamais osé leur suggérer”. L’expérience réalisée sur une quinzaine d’élèves vise à prouver l’efficacité d’une éducation adaptée à chaque enfant. L’Education nationale décide finalement de ne pas reconduire l’expérience et Céline Alvarez démissionne de sa fonction d’institutrice. En septembre 2016, elle publie son ouvrage Les lois naturelles de l’enfant, aux éditions Les Arènes. Avant même sa sortie, l’ouvrage et a fortiori ses expérimentations se sont révélées très controversés. Avant même que le fond soit critiqué, c’est la forme de l’expérience et de son rendu qui se sont retrouvés sous les feux des projecteurs.
Lors de cette expérience, Céline Alvarez se base sur les théories éducatives fondées par Edouard Séguin et Maria Montessori, valorisées par les nouvelles découvertes dans le domaine des neurosciences. Elle entend ainsi développer le plus rapidement possible l’autonomie de l’enfant, l'aidant à s'exprimer, à se maîtriser, et l'encourageant à faire seul. La bienveillance et la reconnaissance des progrès de l’enfant sont ainsi les grands thèmes de sa pédagogie, qu’elle valide en invoquant la valorisation de la plasticité cérébrale de l’enfant, c’est à dire la faculté du cerveau à s’adapter biologiquement aux différentes phases d’apprentissage. Pour guider les enfants dans cette voie, cette institutrice a disposé d’outils pédagogiques didactiques déjà utilisés dans les écoles Montessori. La salle de classe était par exemple organisé par secteurs, correspondant aux différents types d’activités dispensés. Retenons enfin que le pilier principal de sa méthode éducative est la sécurité à l’école et lors de l’apprentissage, une règle immuable afin de prévenir de toutes formes de stress “toxiques” pour les enfants.
La publication du livre de Céline Alvarez a profité d’un élan pour les neurosciences sans précédent (voir Surmédiatisation ). “Son travail a fait l'objet d'une médiatisation intense depuis trois ans et que sa stratégie de communication était savamment orchestrée”, selon Roland Goigoux, professeur à l'université Blaise-Pascal-Clermont-II. Très critique vis-à-vis de l’institutrice, il explique ainsi l’engouement excessif pour les travaux de celle-ci. Il estime notamment que Céline Alvarez n’apporte pas ou peu de nouveautés sur la connaissance de l’éducation “C'est déjà le cas dans de nombreuses classes, même si Céline Alvarez semble l'ignorer”. En outre, il dénonce son utilisation des neurosciences comme arguments d’autorité (voir Arguments d’autorité) : “Malgré une référence constante aux neurosciences, ce livre est saturé de mysticisme et de croyance dans la bonté naturelle de l'humain”. Tout cet engouement cache, selon lui, la véritable importance des expériences de l’institutrice. L’ouvrage ne met en avant que des résultats, et empêche ainsi une véritable analyse des expériences et du contexte de ces dernières. “Il y a là une alchimie complexe, qui me semble intéressante à analyser, plutôt que de se laisser prendre par des engouements ou des aversions a priori”.
Le fond, moins controversé, soulève tout de même quelques questions fondamentales. En effet, les conditions des expériences peuvent remettre en question les résultats des expériences menées (voir L’application des théories à la salle de classe). Ces dernières étudient les succès d’une classe d’une quinzaine d’enfants, encadrée par deux enseignants (bien plus que la moyenne française). Ces deux facteurs favorisent l’émergence de résultats positifs. Unarticle du Monde (septembre 2016) relie les conditions de l’expérience à la difficulté de conclure sur un nouveau mode éducatif : “L'application résolue d'un système pédagogique cohérent par des professionnels motivés est généralement efficace. Surtout quand elle se pratique - ce qui est ici le cas - avec deux adultes en permanence dans une seule classe. Quant à révolutionner l'éducation, c'est une autre histoire, qui se déploie dans la modestie et le temps long”. Roland Goigoux critique lui aussi les conditions de l’expérience “Et aussi de s'assurer que «toutes choses sont égales par ailleurs», c'est-à-dire que les compétences de départ et les conditions sociales des élèves sont similaires”. Il souligne ici la difficulté de réaliser des expériences probantes sans s’assurer que les résultats valident bien la théorie et ne sont pas une simple conséquence des différentes origines des enfants testés.
En outre, l’étude du cas de Céline Alvarez nous permet de constater l’interaction entre l’avancée des neurosciences/les expériences menées et les pouvoirs en place (voir Un sujet politique). Dans unarticle du Monde publié en septembre 2016, l’auteur promet un succès, déjà amorcé d’ailleurs à l’ouvrage de l’institutrice “Autant de clés qui, bien que l'auteure soit appuyée dans sa démarche par des réseaux proches de la droite libérale, lui attirent la sympathie du courant de l'opinion publique motivé, à rebours de la vague autoritaire, par la recherche du bonheur à l'école”. Cependant c’est faute de soutien de la part de l’Éducation nationale que Céline Alvarez a dû arrêter ses expérimentations.