Un modèle contraceptif français remis en cause

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D’un point de vue sociologique, ne pas prendre la pilule était souvent mal perçu du point de vue des médecins comme de la société jusqu’aux années 2000. La pilule serait sur-représentée devant les autres moyens de contraception, tels que le stérilet ou les implants. En réalité, derrière le scandale de la pilule se cache la question plus profonde de la rigidité du paysage contraceptif français.

Un symbole de progrès déchu ?

En France et depuis sa légalisation, la pilule a toujours été un symbole de la libération sexuelle de la femme. La question était à l’époque tellement sensible (remettant en cause la natalité en France), et défendue à bras le corps par certaines femmes que la loi Neuwirth avait été votée à la main à l’Assemblée !

Depuis, alors que certains pays (notamment en Amérique latine ou en Asie) les femmes privilégient d’autres méthodes comme le stérilet ou la stérilisation, en France la pilule s’est imposée et a supplanté tous les autres moyens de contraception. Mais aujourd’hui, un nombre croissant de femmes se détourne de la pilule, pour des raisons  très variées. Les femmes le font le plus souvent à cause des contraintes intrinsèques de la pilule, dont très souvent la prise quotidienne. Mais de nombreuses raisons plus minoritaires ont émergé, souvent conjuguées à de nouvelles problématiques contemporaines : souci d’indépendance du corps médical, rejet des médicaments par choix de vie plus écologique, changement d’étape dans sa vie, opposition aux laboratoires pharmaceutiques, religion (la contraception est mal perçue dans certains milieux catholiques et interdite dans l’islam par exemple).

Un partage de responsabilité contraceptive inégal

Un autre problème soulevé dès les années 60 est le partage de la responsabilité contraceptive dans le couple. En effet, certaines femmes disent arrêter la pilule car leurs partenaires ne mettent pas de préservatif si elles la prennent. Elle désirent que ceux-ci soient également impliqués dans la contraception. Cela illustre une des conséquences de la pilule : les hommes sont beaucoup moins préoccupés par la maîtrise de la fertilité de leur couple que les femmes, qui sont les premières concernées. Peu d’entre eux connaissent le mode de contraception utilisé par leur partenaire. Contrairement à la femme, la contraception masculine est majoritairement assurée par l’utilisation de préservatif. Par ailleurs, la volonté du partage de la responsabilité contraceptive n’est pas unanime chez les femmes : si certaines souhaitent une égalité dans la contraception, d’autres préfèrent assumer la charge seule afin d’en avoir la maîtrise totale. De nouvelles méthodes permettent le développement de ces idées, telles que la vasectomie (injection d’un gel bloquant les spermatozoïdes) ou la pilule masculine. Pour autant, le manque de confiance de leurs partenaires ou le souci de liberté de la femme s’opposent parfois au déplacement de la responsabilité de la fertilité dans le couple. Cette position était en revanche défendue par les politiques, mais aussi par certains membres du Planning Familial.

Un modèle contraceptif très médicalisé centré sur la pilule

La majorité des femmes assumant la contraception seule, les instances politiques et les féministes du Planning Familial ont érigé la pilule en symbole dès sa légalisation en 1967, afin que les femmes l’utilisent. Cela a ainsi construit et immobilisé le modèle contraceptif français autour de la pilule. Par peur d’une explosion des grossesses non désirées et de l’IVG, les médias et les politiques français ont toujours cherché à minimiser les risques, certes faibles, de la pilule. En parallèle, dans la sphère scientifique le problème se posait dès les années 80 dans les pays où elle était légale ! On comprend également qu’il était mal perçu par la société et le corps médical de ne pas prendre la pilule, dans un souci de ne pas faire exploser les avortements.

Cependant, c’est le rôle du corps médical d’informer sur les contre-indications de la pilule. En effet, si aujourd’hui on va chez le gynécologue, c’est parce qu’il connaît tout ce qu’il faut savoir sur son utilisation et sur les contre-indications pour tel ou tel moyen de contraception. Il est également le relais privilégié pour guider les patientes afin de choisir la contraception qui leur conviendra le mieux au cours des différentes étapes de leur vie.

Mais, d’après nos entretiens, ce quasi-monopole des gynécologues empêche en partie de penser un modèle plus positif de la contraception. Celle-ci est souvent associée à la question de l’avortement et du taux d’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) en France. En effet, certaines femmes préfèrent se passer de pilule quitte à avoir recours à l’IVG . Par ailleurs, dans les années 1970 et encore aujourd’hui, l’avortement renvoie plus à une situation de détresse, et donc à un problème de santé, qu’à un droit des femmes à disposer de leur corps. Par souci démographique, les décideurs publics surveillent le taux d’IVG, dont on craignait l’explosion si les femmes abandonnaient la pilule, mais cette augmentation n’a finalement pas eu lieu. Ainsi, par confusion commune avec l’avortement, la contraception est encore vue aujourd’hui du point de vue de la moralité et de l’efficacité.

Des méthodes alternatives reléguées au second plan

En particulier, cela explique pourquoi les méthodes non médicalisées (méthode de la température, des dates, …) ne sont pas mises en avant par les médecins et les autres organismes de santé. Leur efficacité reste très faible devant celle des méthodes médicalisées. Cela dit, elles sont de plus en plus utilisées chez les 18-24 ans, souvent par souci financier.

De même pour les autres méthodes hormonales et médicalisées, jusqu’aux années 2000. On observe une forte croissance du stérilet et une croissance des implants et patchs, qui souffraient auparavant d’une mauvaise presse, en particulier le stérilet (avec le scandale du Dalkon Shield dans les années 1980). Cependant ces méthodes ont aussi leurs défauts intrinsèques. Le stérilet est un agent métallique étranger dans le corps,  ce qui peut impliquer des rejets, tandis que la stérilisation a l’inconvénient d’être définitive.

Enfin, les méthodes contraceptives pour hommes restent pour le moins marginales en France. Cela s’explique d’une part par un manque d’information, d’autre part par un manque d’intérêt de leur part. 

Ce souci d’efficacité montre pourquoi, malgré les divers scandales et évolutions des moeurs, la pilule reste encore aujourd’hui le moyen de contraception le plus utilisé en France, et ce en dépit d’une forte baisse de leur consommation depuis 2012.

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