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Les obstacles techniques
Il reste encore de nombreux obstacles techniques à franchir avant de produire une viande artificielle fidèle à la fois visuellement et gustativement à la viande traditionnelle. En effet, la viande n’est pas uniquement composée de cellules musculaires, mais contient également de la graisse, des nerfs et du sang. La viande artificielle qui a déjà pu être produite ne contient que des cellules musculaires : elle avait donc une couleur plutôt jaune (absence de sang et notamment de la molécule hème) et peu de saveur (manque de graisse). La question de l’hème pose également problème car il s’agit actuellement de soja génétiquement modifié provenant d’Amazonie et y favorisant la déforestation par sa culture [14]. La technologie doit donc encore nécessairement s’améliorer pour que la viande artificielle puisse être commercialisée à grande échelle et être acceptée par les consommateurs.
Mais la faisabilité d’une telle industrialisation est mise en question. A l’heure actuelle, la viande artificielle est produite à partir de cellules souches animales, qui dans un milieu adapté se multiplient pour finalement former des tissus musculaires. Cette méthode de production nécessite donc un milieu de culture contenant des nutriments et du sérum de veau nouveau-né qui favorisent la multiplication des cellules souches et leur différenciation en cellules musculaires. Jean-François Hocquette [13] souligne que pour développer le secteur de la viande artificielle, il faut trouver des solutions pour produire de manière industrielle ces milieux de culture tout en s’assurant que ceux-ci soient sans danger pour la santé des futurs consommateurs. De plus, il faudra également produire une grande quantité de nutriments et d’hormones de croissance nécessaires au développement des cellules. Cette production sera « probablement assurée par l’industrie pharmaceutique, et il n’est pas impossible qu’elle engendre une pollution supplémentaire : des fongicides et des antibiotiques seront notamment utilisés pour éviter la prolifération de maladies dans les incubateurs chauffés à 37°C »; d’après un scientifique que nous avons interviewé,.
La question socio-économique
Le sujet est éminemment économique et a un impact fort sur notre société. En effet, si la viande artificielle venait à s’imposer chez les consommateurs, c’est toute une part de l’industrie alimentaire qui disparaîtrait, et avec elle de nombreux producteurs, alors même que le secteur agroalimentaire connaît déjà aujourd’hui une grave crise sociale dans laquelle les petits producteurs n’arrivent pas à convenablement gagner leur vie. Derrière ces modifications importantes du paysage de l’alimentation se cachent de forts intérêts économiques contradictoires entre les start-ups de la viande artificielle et l’industrie traditionnelle de l’élevage.
Ces intérêts sont incarnés par des lobbies très influents, derrière lesquels se cachent évidemment des soutiens d’origines diverses, souvent sous forme de financement. On remarque l’influence de philanthropes comme Bill Gates qui financent les start-ups à travers sa fondation. Les fondations soutiennent également des associations : L214, association en faveur de la défense du droit des animaux et favorable à la viande artificielle, est financée à hauteur d’un million d’euros par l’organisation américaine Open Philanthropy Project qui promeut la viande in vitro. Les conflits d’intérêt sont donc également à prendre en compte dans cette controverse afin de comprendre les positions de chacun.
Le flou législatif
Afin de comprendre précisément l’impact de la viande in vitro dans notre société, une bonne appréhension des enjeux politiques et législatifs est nécessaire.
Cette lutte d’influence entre les différents acteurs se caractérise aujourd’hui dans les dernières législations américaines ou européennes s’attaquant notamment à la communication de la viande artificielle sous la pression des éleveurs [5]. Les entités en charge du débat aux Etats Unis expliquent ainsi qu’une « régulation [est] nécessaire pour à la fois encourager ces produits alimentaires innovants et maintenir les normes de santé publique les plus strictes ». La question de la régulation est primordiale car l’accès au marché de la viande in vitro passe par une approbation des autorités sanitaires et politiques.
Derrière la lutte économique évoquée dans l’article dédié à la question socio-économique, les lobbies du secteur se livrent une bataille acharnée notamment sur l’appellation de “viande” pour les produits cultivés en laboratoire. En guise d’exemple, une discussion mouvementée a eu lieu ces dernières années entre Mark Post et un dirigeant de la start-up américaine Memphis Meats sur l’appellation de leur production. Le dirigeant explique qu’il cultive des “protéines animales”, tandis que Post préfère appeler cela de la viande pour des raisons de marketing et de communication. Cette distinction entre la viande in vitro et traditionnelle n’est pas simple même pour les entreprises du secteur, ce qui rend la tâche encore plus complexe pour les législateurs. Le sujet est d’autant plus brûlant que, en l’absence de régulation, les acteurs peuvent faire comme bon leur semble.
L’acceptation sociale
Se pose également la question de l’acceptabilité de la part des consommateurs. Si d’un côté les promesses éthiques et environnementales sont attirantes, les consommateurs sont aussi repoussés par certains aspects de la production industrielle de la viande artificielle. Les entreprises qui développent cette technologie essaient tant bien que mal de rassurer les consommateurs sur la qualité de leurs produits, mais des études ont montré que les consommateurs gardaient une certaine réticence vis-à-vis de la viande artificielle.
Si une certaine curiosité envers ces nouveaux produits existe, son mode de production en laboratoire va à contre sens des courants de consommation actuels qui se basent sur des produits plus naturels, c’est donc l’aspect artificiel qui a tendance à effrayer les consommateurs, qui s’interrogent sur les qualités gustatives et nutritives de la viande in vitro, et des potentiels risques qu’elle peut avoir sur leur santé [12, 15]. Une étude de l’INRA montre que 60% des français ne sont pas prêts à consommer régulièrement de la viande artificielle même si la plupart ne s’opposerait pas à y goûter [12]. Cet aspect de la controverse réunit donc principalement les industriels, les consommateurs et les chercheurs dont les études doivent servir de base au débat public sur les qualités nutritives du produit.
L’interrogation éthique
La réflexion autour de la viande in vitro inclut également un aspect éthique. La viande artificielle est présentée comme moralement plus acceptable que la viande traditionnelle car elle permet de ne plus tuer d’animaux, et est soutenue par la plupart des associations de défense des animaux et de l’environnement. Cependant, certains problèmes se posent.
Si cette nouvelle industrie venait réellement à se développer, que deviendront les exploitations et le bétail ? Les animaux d’élevage ne sont pas adaptés à la vie sauvage et leur élevage ne présenterait plus d’intérêt pour l’homme.
D’autres personnes sont fondamentalement contre ce système de production et trouvent inhumain le fait de “cultiver” de la viande à l’extérieur de l’animal: “Concrètement, il s’agit en effet de détruire l’élevage, c’est-à-dire de faire disparaître les animaux de ferme et leurs éleveurs. Autrement dit de détruire tout un pan de notre culture multi-millénaire avec les animaux, culture largement partagée, sous des formes multiples, de par le monde.”, [7].
L’incertitude environnementale
Tout d’abord, il existe un désaccord sur l’impact environnemental qu’aurait l’industrie de la viande artificielle si elle venait effectivement à se développer. Sur ce point, les start-ups concernées promettent une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’élevage qui occupe 30% des terres à l’échelle planétaire et qui est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre selon les estimations de la FAO (Food and Agriculture Organization).
Ce point de vue ne fait pas pour autant l’unanimité. Certains articles scientifiques vont en effet dans ce sens : “Cultured meat could deliver reduced water use, greenhouse gas emissions, eutrophication potential, and land use compared to conventional livestock meat production. This potential has been assessed in a number of Life Cycle Assessments, although all are based upon hypothetical models of what form cultured meat production might take. Tuomisto et al. (2011) [une autre étude sur le sujet] compared cultured meat to conventionally produced beef, sheep, pork and poultry, finding it involves approximately 78–96% less greenhouse gas emissions, 99% less land use, 82–96% less water use, and 7–45% less energy use, depending upon what meat product is it compared to (although poultry uses less energy).” [18].
D’autres études affirment que la viande artificielle pourrait avoir à la longue un impact environnemental similaire, voire même plus important que l’élevage selon le type de viande qui est produit [2]. En effet, les bovins rejettent une grande quantité de méthane dans l’atmosphère, qui est un important gaz à effet de serre. La production de viande artificielle pourrait donc permettre de réduire grandement les émissions à court terme. En revanche, le méthane ne reste dans l’atmosphère qu’une douzaine d’années, contre une centaine d’années pour le dioxyde de carbone [21]. Ainsi, sur le long terme, la viande artificielle pourrait devenir aussi polluante que l’élevage traditionnel : les différents scénarios pour la viande in vitro parlent de 2,01 à 25 kg de CO2 émis par kg de viande cellulaire, contre 1 à 5 kg de CO2 par kg de viande traditionnelle [10].
Néanmoins, les avis divergent entre les différents chercheurs, et de grands doutes subsistent quant au véritable impact environnemental de la viande artificielle, d’autant plus que beaucoup d’autres facteurs entrent en jeu comme par exemple la consommation d’eau et d’énergie de ce nouveau moyen de production. Des incubateurs chauffés en permanence à 37°C sont notamment nécessaires pour la viande in vitro [26].