Les paramètres précédemment décrits sont très subjectifs car ils caractérisent l’intérêt que l’homme porte au milieu où des pertes sont à compenser. Les paramètres caractérisant, cette fois, la zone biogéographique elle-même, sont plus objectifs. Le code de l’environnement demande de tenir compte de deux catégories de paramètres : les fonctions écologiques du milieu, ainsi que ses services écosystémiques. Les acteurs du projet d’aménagement devant choisir les paramètres caractérisant la zone biogéographique sont en désaccord sur deux points : ce que sont les « fonctions écologiques », et le choix entre fonctions écologiques et services écosystémiques pour caractériser le milieu.
Parallèlement, la loi demande « la préservation des continuités écologiques » . Les acteurs du projet d’aménagement sont en désaccord quand à la nécessité de tenir compte de la continuité de certains paramètres à la frontière entre la zone où des pertes doivent être compensées et l’extérieur. La question qui se pose alors est : faut-il tenir compte de ces paramètres ?
Comment interpréter l’expression « fonctions écologiques » ?
La loi suggère la prise en compte « des fonctions écologiques affectées » pour caractériser la nature, notion hautement polysémique.
Dans le projet aéroportuaire de Notre-Dame des Landes, « Les Naturalistes en Lutte » – groupement d’associations de protection de l’environnement – souligne que les « prospections [concernant la population de chauves-souris] n’ont pas été réalisées en hiver » , là où biotope – bureau d’étude chargé de l’évaluation des impacts résiduels du projet – soutient la qualité de ses résultats. En fait en hiver les chauves-souris hibernent : elles n’ont donc pas de rôle dans les processus d’interaction entre les composantes de l’écosystème à ce moment de l’année. En revanche elles jouent toujours un rôle dans le fonctionnement de l’écosystème puisqu’à la fin de l’hiver leur hibernation prendra fin.
Les deux acteurs se réfèrent pour caractériser les chauves-souris à leur fonction écologique, ainsi que le demande le législateur. Cependant, comme le souligne , l’expression fonction écologique peut avoir quatre définitions :
- Elle peut désigner les processus d’interaction entre les composantes de l’écosystème ;
- Aussi bien que l’ensemble des processus ou interactions permettant de caractériser l’évolution de l’écosystème.
- Elle peut également faire référence au rôle d’un organisme dans le fonctionnement d’un écosystème ;
- Ou de façon plus générale aux services écosystémiques rendus par l’écosystème.
Le choix, explicite ou implicite, de l’une de ces définitions de l’expression « fonction écologique » détermine le choix des paramètres caractérisant la zone biogéographique où des pertes doivent être compensées. Ce choix est alors à l’origine d’un désaccord entre les acteurs du projet d’aménagement participant au choix des paramètres, comme le montre l’exemple des chauves-souris.
Le bureau d’étude doit-il caractériser le lieu par des fonctions écologique ou par des services écosystémiques ?
La loi suggère la prise en compte « des fonctions écologiques affectées » pour caractériser la nature, tout en soulignant l’importance de « la sauvegarde des services [écosystémiques] » .
Les Naturalistes en Lutte, association de protection de l’environnement intervenant dans le projet aéroportuaire de Notre-Dame des Landes, considèrent dans uniquement les fonctions écologiques pour caractériser le milieu à compenser. C’est également en général le cas des bureaux d’étude, comme le souligne un socio-économiste travaillant à l’Agence Française pour la Biodiversité : « Pour l’instant on ne parle pas […] de compenser les services » .
Au contraire, lorsque dans l’exemple précédent les riverains du projet d’Aménagement Ferroviaire au Nord de Toulouse demandent la prise en compte des nuisances sonores, ils souhaitent que le calcul de la compensation soit fait par le biais de services écosystémiques.
Service écosystémique : Bien fait direct ou indirect que l’homme retire de la nature. Les écosystèmes et plus généralement la biodiversité soutiennent et procurent de nombreux services dits services écologiques ou services écosystémiques, qu’on classe parfois comme bien commun et/ou bien public, souvent vitaux ou utiles pour l’être humain, les autres espèces et les activités économiques. Ces services regroupent les services d’auto-entretient, les services d’approvisionnement, les services de régulation et les services culturels.
La double demande de la loi (caractériser par des fonctions écologiques et des services écosystémiques) génère une controverse. En effet, les services écosystémiques – dont la définition est donnée ci-dessus – incluent les fonctions écologiques, mais également les paramètre caractérisant les interactions homme-lieu. Les acteurs choisissent entre fonction écologique et service écosystémique selon leur intérêt. A intérêts divergents choix différents et donc désaccord.
Résumé
Le choix des paramètres caractérisant la zone biogéographique où la compensation doit être effectuée fait débat pour deux raisons :
- Plusieurs définitions des « fonctions écologiques » d’un milieu existent. Ainsi lorsqu’on détermine les paramètres à partir des « fonctions écologiques » du milieu, les acteurs se réfèrent souvent à des définitions différentes, ce qui conduit à des désaccords de fond ;
- Le code de l’environnement prévoit une caractérisation par des « fonctions écologiques » de la zone à compenser ainsi que le maintien des « services écosystémiques » de la zone. Face à ce choix il résulte le même débat que précédemment.
Faut-il tenir compte des paramètres caractéristiques de la continuité écologique du milieu avec l’extérieur ?
Lorsqu’ils choisissent quels paramètres caractérisent la zone biogéographique où la compensation doit être effectuée, les acteurs du projet d’aménagement sont en désaccord quant à la nécessité de tenir compte de la continuité de certains paramètres à la frontière entre la zone où des pertes doivent être compensées et l’extérieur.
Le rapport de l’enquête publique menée dans le cadre du projet d’Aménagement Ferroviaire au Nord de Toulouse souligne l’inscription du projet dans « un environnement contraint [comportant] en particulier […] la zone NATURA 2000 « de la vallée de la Garonne de Moissac à Muret » » . Le projet lui-même ne se situe pas dans la zone Natura 2000 ; pour autant cette zone protégée se situe à sa frontière, ce qui implique une continuité écologique entre le lieu ou la biodiversité est dégradée par le projet et la zone Natura. Pour l’économiste et militante écologiste Geneviève Azam, cette proximité est un problème :
Les éléments de la biodiversité ne sont pas isolables. Les écosystèmes sont des chaînes que l’on ne peut briser sans occasionner des pertes irréversibles.
Geneviève Azam, interviewée par
Pourtant l’étude d’impact présentée aux autorités par le maître d’ouvrage du projet d’Aménagement Ferroviaire au Nord de Toulouse affirme que le projet « n’aura pas d’impact notable sur la zone Natura 2000 de la vallée de la Garonne », ainsi que le rapporte .
Résumé
La nécessite de conserver une continuité écologique ne fait pas l’unanimité car :
- il n’y a pas de consensus scientifique à ce sujet ;
- tenir compte de la continuité écologique représente un surcoût important pour le projet de compensation.
Les deux points précédents conduisent à une opposition frontale entre les associations de protection de l’environnement et les écologues, tenants de la continuité ainsi que les bureaux d’étude, opposants à la nécessité de la continuité écologique.