Comment identifier les cas à risque ?

Prévention du surendettement : comment identifier les cas à risque ?

La première étape pour agir contre le surendettement est l’identification de cas à risque. En effet, il faut pouvoir identifier les ménages qui ont des difficultés financières pouvant mener avec le temps à une situation de surendettement pour prévenir mieux en amont.

Pour identifier ce genre de situation, il faut que les acteurs impliqués sachent définir cette situation, tels que les associations de consommateurs, mais aussi la Banque de France et donc l’Etat. Mais surtout et avant tout, la personne qui a des difficultés doit s’identifier en tant que tel pour agir en conséquence. Sans cette prise de conscience, le particulier ne peut pas lancer les démarches nécessaires, et combattre cette situation, comme le font remarquer de nombreuses associations de défense des droits des consommateurs.  

Et pourtant chaque ménage représente un cas très précis et un profil financier particulier car dépendant de multiples paramètres sociaux. En effet, la composition du foyer et l’activité et le profil de consommation de chaque personne de ce foyer transforment drastiquement les revenus, les charges et donc le profil du ménage. Par exemple, on ne peut pas analyser de la même manière un ménage ayant un revenu de 1000€ lorsque ce ménage est composé d’un homme célibataire, ou bien d’un père de famille ayant trois enfants.

Sans cette prise de conscience, le particulier ne peut pas lancer les démarches nécessaires, et combattre cette situation.
  • Prendre conscience de sa situation 
Les personnes surendettées sont souvent celles qui sont à l’écart socialement.

Comme dit précédemment, il est crucial que le consommateur prenne conscience de ses difficultés financières car c’est à lui d’entamer les démarches nécessaire pour éviter de se retrouver dans une situation de surendettement. Le particulier se rendant compte de la difficulté de sa situation peut ensuite s’informer sur les démarches à suivre. Par exemple, la Banque de France conseille le ménage à travers un rapport sur les démarches à suivre ([22] Rapport de la Banque de France). Cependant, dans la plupart des cas, selon Jean-Paul Lerner, le président de l’association CRESUS chargée d’accompagner les personnes surendettées, la prévention est trop peu efficace ou développée car les cas se présentant aux associations qualifiées ou aux travailleurs sociaux sont déjà surendettés : la démarche est, selon eux, trop tardive pour prévenir efficacement.
De plus, selon Jean-Paul Lerner, dans son mot du président du rapport d’activité de 2018 de Crésus ([20]),  les personnes surendettées sont souvent celles qui sont à l’écart socialement et qui font face à des difficultés face aux nombreux procédés administratifs récemment numérisés, ce qui les aide peu à se renseigner assez sur comment prévenir une telle situation. 

Peut-on identifier les facteurs et les parcours qui mènent à une situation de surendettement ?

  • Identifier les parcours menant au surendettement

En décembre 2014, la Banque de France publie un rapport ( [19] Etude des parcours menant a surendettement ) qui étudie les parcours type menant au surendettement sous les ordres du Ministère de l’Economie et des Finances. Ce rapport analyse différents ménages en amont des dépôts de dossier auprès de la commission de surendettement, afin de réaliser une typologie de parcours menant au surendettement. Le rapport conclut qu’il existe 5 type de profils différents : 

  1. « la perte ou dégradation d’emploi » (23% des cas), qui déséquilibre les revenus et donc le budget du ménage en question. Généralement, ce choc dégrade rapidement les finances du ménage.
  2. « Les budgets contraints » (17% des cas), qui désignent les ménages en situation de travail précaire ou en inactivité. La dégradation est dans ce cas souvent plus progressive et ponctuée par une mauvaise gestion du budget
  3. « les recours banalisés au crédit » (14% des cas), où le ménage possède une situation relativement stable mais a des dépenses trop importantes, menant à des recours aux emprunts lors d’imprévus, ou d’étapes importantes dans la vie.
  4. Les cas liés à « l’entraide générationnelle » (5% des cas), qui correspond aux personnes âgées (65 ans et plus) qui a des difficultés financières après avoir aidé un membre de leur famille.
  5. Les cas liés à « la conjonction d’évènements de vie conséquents » (41% des cas), sont les plus confus. Souvent, le ménage subit des évènements professionnels ou personnels qui ont fragilisés leurs finances.

La Banque de France identifie des facteurs pouvant mener à une situation de surendettement à partir de cet échantillon : une mauvaise implication dans la gestion du budget du foyer, une absence d’épargne de précaution, un usage inadapté du crédit et mal informé, une manque de prise de conscience due à une fragilisation progressive des finances. La Banque de France appuie beaucoup sur un facteur fragilisant majeur : le manque de réaction des ménages, ce qui nous mène directement à la question de la sensibilisation de ces ménages. 
Du côté des associations, comme Jean-Paul Lerner le décrit, ces dernières reçoivent les personnes se sentant en difficulté financière et analyse leur budget, leurs revenus et leurs charges, leur consommation, leur situation personnelle, à partir de ces informations, l’association détecte si le ménage risque de tomber dans le surendettement ou non. Elle les conseille ensuite au mieux pour éviter de fragiliser encore plus leur situation, en leur montrant comment mieux gérer son budget par exemple. 

Un outil de détection en amont : le Fichier Positif

Son rôle est de répertorier l’ensemble des emprunts de personnes ciblées comme étant à risque.

La Banque de France rapporte que 181 123 dossiers de surendettement ont été déposés en 2017, et plus de 166.000 cas recevables pour un montant de quelque 7,2 milliards d’euros de dettes. Pour remédier à ce phénomène, une « solution » est proposé : le fichier positif.

Avant tout, qu’est-ce qu’un “fichier positif” ? C’est un outil de prévention dont le rôle est de répertorier l’ensemble des emprunts de personnes ciblées comme étant à risque, afin que les établissements bancaires qui auraient pour vocation de prêter de l’argent à ces personnes le fassent en toute connaissance de cause.  

Le terme « fichier positif » naît en 1989 ([4]), lorsque les établissements financiers spécialisés dans le prêt aux particuliers ont affirmé qu’il était nécessaire de savoir si un emprunteur potentiel n’avait pas déjà emprunté sans rembourser dans un autre établissement. Ils veulent alors constituer un fichier des « mauvais payeurs », ce qu’on appelle alors fichier négatif car il retracerait les incidents de paiement ou de remboursement, à l’inverse du fichier positif qui retracerait les encours de crédits accordés. 

Elle est initialement prévue pour être un des grandes mesures qui constituent la loi Lagarde de 2011, elle est finalement exclue du texte final. De même, cette mesure est aussi proposée pour la loi Hamon de 2014, mais après 6 mois d’étude, le CCSF (Comité Consultatif du Secteur Financier) rend un rapport qui souligne l’impossibilité de mettre en place un tel projet. Pourtant, ce projet n’a jamais vraiment été abandonné, et continue à être débattue ([11]). D’après un article de Le Monde ([4]), le projet est d’ailleurs toujours porté par l’association Crésus qui affirme que la présence d’un fichier positif est essentiel pour la protection des consommateurs. De même, en 2017, la Cour des Comptes conseille de mettre en place de tels fichiers, sous le contrôle de la Banque de France. Malgré ses nombreux défenseurs, le projet est loin d’être concrétisé aujourd’hui ; pour cause, nombre de problèmes étaient soulevés par cette proposition([4]).  

Avant tout, les associations de consommateurs comme UFC-Que choisir, craignent une recrudescence de prêts et une hausse de leur valeur par des banques pensant avoir cerné la solvabilité des foyers concernés grâce à cet outil, comme le décrit l’article de Résiliation Loi Hamon ([11]). Pour autant, ces organismes rappellent que la simple connaissance des prêts déjà contractés ne permet pas de juger en totalité la capacité d’un foyer à rembourser ses dettes. Parmi les indicateurs qu’il faut également considérer, on peut compter les charges ainsi que les dettes. 

ce projet pourrait représenter une menace pour la liberté individuelle et familiale.

Autre problème majeur : le coût ! Estimé en 2014 lors de la loi Hamon à 15 millions d’euros pour sa mise en place, puis 30 millions par an pour son fonctionnement il n’est pas évident que l’investissement en vaille la chandelle, selon le site Résiliation Loi Hamon ([11]). Le surendettement touche en effet jusqu’à 200 000 foyers tous les ans, et le système des fichiers positifs environ 25 millions de citoyens. Ceci met en doute l’efficacité réelle de ce type de solutions.   

Enfin, entre protection des consommateurs et protection des libertés, le débat autour de la liberté individuelle et du libre-arbitre de chaque consommateur est au coeur du projet. Créer un répertoire de l’ensemble des personnes ayant contracté plusieurs prêts à l’échelle de la France impliquerait un risque pour le CNIL, protecteur des données personnelles, aussi bien pour la constitution que pour le respect de la vie privée et l’accès à ces données sensibles ([4]).  

En revanche, l’accumulation de divers crédits dans des établissements bancaires différents est un phénomène qui n’est pas encore réglé et qui pose véritablement problème. Il est nécessaire, pour beaucoup, d’y mettre fin. Une autre proposition voit alors le jour : celle d’un fichier d’alerte. Mais la différence n’est pas claire et les associations s’insurgent contre cette entourloupe.  

Ces débats aboutissent finalement à l’abandon clair et net de ce dispositif qui a été rejeté par le parlement au cours de l’année 2019. 

Sources

[4] Cazenave, F., (25/06/15). Surendettement : le fichier positif définitivement enterré. Le Monde. En ligne :

https://www.lemonde.fr/economie/article/2015/06/25/surendettement-le-fichier-positif-definitivement-enterre_4661824_3234.html

[8] Kessler, D., (10/01/1989). À consommer avec modération ? Le Monde

[11] (31/07/17). Fichier positif : la Cour des comptes veut dresser la liste des surendettés. Résiliation Loi Hamon. En ligne :

https://resiliation-loihamon.com/actualite-assurance/fichier-positif-surendettes

[19] Raoult-Texier, B., (2016). Rapport de la banque de France, Étude des parcours menant au surendettement. En ligne :

https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2016/10/12/etude-parcours-menant-au-surendettement_2015.pdf

[20] Rapport d’activité 2018 de CRESUS. En ligne :

https://www.cresus-iledefrance.org/wp-content/uploads/2019/04/Crésus-%C3%8Ele-de-France-Rapport-dactivité-2018.pdf

[22] Rapport de la banque de France (2017), Guide du surendettement. En ligne :

https://particuliers.banque-france.fr/sites/default/files/guide-surendettement.pdf

Site officiel de la banque de France :

https://www.banque-france.fr