Sensibiliser pour mieux responsabiliser ?
Il est une problématique que les acteurs de la prévention du surendettement essaient aujourd’hui d’encadrer : la responsabilisation du citoyen.
C’est cette étape cruciale qui peut, à terme, nous mener à une société où le surendettement est grandement limité. De nombreuses questions subsidiaires gravitent autour de ce point crucial : comment responsabiliser sans punir inutilement, comment garantir la compétitivité des organismes bancaires français tout en limitant les risques d’accumulation de prêts, comment mettre en place des campagnes efficaces de sensibilisation pour éviter, à la source, la mise en danger des ménages ?
D’abord, parlons du but : l’Etat cherche, à travers ses lois dont la principale reste à ce jour la loi Lagarde de 2010, à faire en sorte de divulguer des messages ayant pour vocation de limiter la surconsommation, l’accumulation de prêts… (d’après [18]) La finalité est de faire comprendre au citoyen qu’il est en charge de ses propres finances. Si certains foyers restent aujourd’hui encore dans des situations précaires de surendettement “forcé” – on parle notamment du “portrait robot” d’acquittement dans les procès de la Banque de France, femme célibataire ayant plusieurs enfants à charge (selon Sebastien Plot, [17]) – celles-ci ne sont pas majoritaires. Le gros des dossiers représente des personnes négligeantes vis à vis de leurs finances et qui, malheureusement, ont pu faire des placements financiers coûteux qui les ont menés vers la spirale du surendettement.
Tous les acteurs s’alignent sur cette ligne de conduite, qui objectivement bénéficie à tout le monde : citoyens, Etat qui limite les coûts de fonctionnement de la machine administrative colossale déployée pour faire face au surendettement, banques qui diminueraient par là les risques de pertes, sans parler évidemment des associations. Néanmoins, les politiques en place pour matérialiser cette sensibilisation opposent parfois ces divers acteurs.
La publicité : aide ou intox ?
La publicité en est un exemple marsuant. En avril 2008, une directive européenne voit le jour avec comme vocation la régulation des publicités de crédit à la consommation. Celle-ci ordonne à tous les Etats membres de faire figurer de façon exhaustive, claire et concise, les informations de base nécessaires à la bonne connaissance des conditions d’emprunt. En France, la loi Lagarde de 2010 répond à cette demande européenne, en y ajoutant des éléments. Voient le jour les encarts obligatoires pour toutes les publicités de crédit à la consommation, ainsi que les messages d’alerte que l’on connait bien : « un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ». (article [18])
Revenant sur certaines prérogatives de la loi Lagarde de 2010, un projet de loi est, depuis 2018 et aujourd’hui encore, en débat (d’après Le Parisien [3] et Le Figaro [9]). Que propose-t-il ? L’allègement de la législation fixant les règles de la publicité pour les dits prêts bancaires. Deux des dispositions de ce texte font particulièrement débat dans l’hémicycle, comme ailleurs :
- La première touche aux encarts joints avec les propositions d’emprunt envoyés par mail, message ou prospectus. Ceux-ci disparaîtraient complètement. Leur rôle actuel ? Lister les conditions exactes d’un emprunt : coût réel du crédit, taux payé.
- La seconde s’attaque aux polices des publicités : au lieu de forcer les établissements bancaires à écrire en plus grosse police les engagements clairs que le consommateur contracte par son emprunt, ceux-ci devront avoir une police “au moins aussi importante”.
- Enfin, cette loi a pour ambition d’abroger l’interdiction actuelle de faire figurer dans les publicités l’existence d’une franchise de paiement de loyer ou d’échéances de prêt dans un délai de 3 mois. (article [18])
La loi de 2010 est en effet décriée par les partisans du projet pour le manque de compétitivité auxquels les établissements français font face par rapport à leurs homologues européens à cause de ces articles décrits comme des « surtranspositions des directives européennes ». Ces règles sont décrites comme trop lourdes et limitant la créativité des établissements bancaires français qui se voient parfois même contraints d’abandonner la publicité pour certains produits alors que leurs concurrents européens font fleurir des publicités bien plus attrayantes. Dans un marché à développement rapide comme celui-ci, ces problèmes sont jugés par la commission en charge de ce projet comme un réel manque à gagner pour les entreprises françaises, qui font pression depuis longtemps pour la révision de ces règles. Enfin, les rapports d’inspection de la commission évaluant cette proposition de loi indiquent formellement qu’il s’agit bien pour la loi Lagarde de 2010 de “sur-transpositions” des directives européennes, qui n’allaient pas si loin dans les obligations vis-à-vis de ces outils de communication. En outre, celle-ci déclare qu’aucune information ne serait retirée des publicités : celles présentes dans l’encart se retrouvent de toute façon 2 autres fois ailleurs dans les messages de prospection. Par ailleurs, les attaques ironiques font foison sur la corrélation dite douteuse entre l’évaluation du risque par les consommateurs et la divulgation de ces informations. (article [18])
Pourtant, les associations (UFC-Que Choisir, AfUB) , elles, se lèvent en coeur pour faire face à ce projet. Retour en arrière sur les politiques de sensibilisation, mise en péril des foyers les plus fragiles, avantage donné à des établissements toujours plus souverains : les critiques sont pléthores pour déplorer cette loi qui est considérée comme une régression majeure dans le domaine de la prévention. L’abandon de ces prérogatives au nom d’une concurrence idéalisée et d’un libéralisme auquel on passe tout fatiguent ces associations. (Le Parisien [3])
L’issue est encore incertaine, le projet faisant actuellement la navette entre le Sénat et l’Assemblée Nationale. Cependant, la politique française vis à vis du surendettement est aujourd’hui respectée en Europe pour ses résultats satisfaisants, et Jean-Paul Lerner, de l’association CRESUS, nous confie dans une interview qu’il ne croit pas au passage de cette loi.
Autre problème majeur auquel les institutions font face aujourd’hui : ce qu’on appelle le non recours au droit. Deux caractéristiques peuvent permettre d’expliquer ce fait étonnant :
- Engorgées par les trop nombreux dossiers à traiter, les institutions sont souvent inopérantes.
- En manque d’information, de (encore trop) nombreux foyers n’ont pas véritablement connaissance de la situation précaire dans laquelle ils se trouvent et ne font donc tout simplement jamais appel à des aides de l’Etat ou d’associations.
Ce problème soulève la question de l’efficacité du dispositif de sensibilisation mis en place par l’Etat, ainsi que de la réalité des chiffres avancés aujourd’hui par les spécialistes : en définitive, y’a-t-il réellement une diminution du nombre de dossiers déposés en France ?
Le non recours au droit
Il faut donc que les acteurs impliqués sachent définir cette situation, tels que les associations de consommateurs, mais aussi la Banque de France et donc l’Etat. Mais avant tout, la personne surendettée doit s’identifier en tant que tel pour agir en conséquence. Sans cette prise de conscience, le particulier ne peut pas lancer les démarches nécessaires, et combattre cette situation.
Fait étonnant également : le statut d’auto-entrepreneur est aujourd’hui encore en marge et passe à travers les mailles du traitement des dossiers de surendettement. Ainsi, ont été répertorié, depuis quelques années, des cas de personnes qui, face à la précarité de leurs finances et se voyant impuissantes face à cela du fait de l’inefficacité des institutions, prennent ce statut d’auto-entrepreneur afin de contourner la loi. Parfois taxées de “mauvaise foi”, on peut raisonnablement se demander à qui revient la responsabilité de cette tendance dangereuse. Les associations de consommateur s’indignent depuis longtemps face à cette incohérence de la loi Lagarde (selon Sebastien Plot [17]). Celle-ci résulte en fait du statut même d’entrepreneur individuel. Si celui-ci simplifie la vie dans de nombreux cas grâce à un régime de fiscalité allégé, il implique aussi que les finances de l’entreprise créée par le particulier sont confondues avec les siennes propres. Et l’Etat n’a pas pour vocation de traiter des problèmes du secteur privé, c’est pourquoi les auto-entrepreneurs ne sont pas pris en compte dans les politiques de prévention du surendettement mais doivent se tourner vers le tribunal de commerce. ([23])
En tout état de cause, cette problématique n’a pas encore trouvé de réponse univoque de la part de l’Etat, dont le positionnement reste trouble sur ces points.
Sources
[3] Cassel, B., (19/11/2018). Surendettement : ce projet de loi qui fait polémique. Le Parisien. En ligne :
http://www.leparisien.fr/economie/surendettement-ce-projet-de-loi-qui-fait-polemique-19-11-2018-7946139.php
[9] Maligorne, C., (20/11/2018). Crédit à la consommation : un projet de loi fustigé par les associations. Le Figaro économie. En ligne :
[17] Plot, S., (2013). Le consommateur au crible de la commission de surendettement : Régime de visibilité, régime de crédibilité et régime de normalité de la dette du particulier. Actes de la recherche en en sciences sociales, 199, 88-101
[18] Projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français (2018). En ligne :
[23] Page billet de Banque qui analyse le statut d’auto-entrepreneur par rapport aux commissions de surendettement :