Les législations européennes

 

sur l’euthanasie

 

 

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ANNEXES (suite):

 

La Croix

SOCIETE, jeudi 4 avril 2002, p. 11

Bernard Kouchner pose sept conditions à l'interruption d'une vie. EUTHANASIE. Une déclaration de principe sur l'euthanasie   sera soumise le 16 avril prochain à une vingtaine de personnalités

 GOMEZ Marianne

 Le 31 mai dernier, le ministre de la santé pensait encore que les esprits n'étaient pas mûrs. Un an et quelques actualités plus tard - modification de la loi néerlandaise (lire La Croix de mercredi), demande d'euthanasie devant les tribunaux britanniques -, Bernard Kouchner a le sentiment que les choses ont évolué. Le 16 avril prochain, il soumettra aux mêmes personnalités qu'il avait conviées voici un an (lire encadré) une sorte de code de « bonnes pratiques » à mettre en oeuvre lors de la fin de vie. « L'idée est de lancer le débat, explique-t-on au ministère, de faire adopter si possible une déclaration solennelle sur des principes généraux. » En préalable à une modification législative.

 Dans la lettre de deux pages et demie qu'il a adressée hier aux participants, le ministre, qui veut ménager ses adversaires, commence par évoquer « la grandeur des soins palliatifs ». Mais, ajoute-t-il, « celui qui se mobilise pour accompagner cet autre qui meurt sait qu'il reste certains actes insolubles. Avec les seuls soins palliatifs, on répond à presque toutes les demandes, pas à toutes », argumente-t-il. Par ailleurs, la transgression de l'interdit de tuer est « une pratique fréquente... Il n'est plus possible de l'ignorer. Il n'est pas acceptable qu'au nom de leur illégalité, des actes « d'extrême compassion » ou de « dignité retrouvée » se perpétuent dans la solitude, le secret et la clandestinité ».  

 « Compassion », « dignité », les mêmes mots qui désignent les soins palliatifs sont ici appliqués à l'euthanasie. C'est que Bernard Kouchner se refuse à opposer les deux attitudes. Suit la proposition de déclaration solennelle : « Il ne saurait y avoir de légitime assistance à l'interruption d'une vie sans le respect des sept engagements suivants : la volonté du patient doit toujours être recherchée et respectée. Si celle-ci n'est pas connue, la décision doit prendre en compte la singularité de la personne concernée, ses convictions philosophiques et religieuses. La décision d'interrompre la vie d'un autre ne peut être que collective. Elle ne peut être prise dans l'urgence. Elle doit respecter le temps d'une véritable délibération visant à clarifier les mobiles et les intentions morales de chacun. Le médecin doit assumer lui-même l'acte d'interruption de la vie et ceux qui ont participé à la délibération doivent s'engager solidairement à ses côtés. Les différents éléments de la délibération et de la décision doivent être clairement inscrits dans le dossier du malade. » Selon le ministre, « le respect de ces engagements sera la garantie pour nos concitoyens qu'ils peuvent, en situation extrême, continuer d'avoir pleinement confiance en la médecine ».

 Bernard Kouchner ne précise pas dans quels cas - souffrance intolérable, angoisse existentielle, coma, etc. - ces demandes d'euthanasie seraient recevables. Il dit simplement « qu'on ne peut plus laisser sans réponse ceux qui demandent l'arrêt des machines (...) ou (...) la mort qu'ils n'ont plus les moyens physiques de s'administrer eux-mêmes ». Que peut-il sortir de la réunion du 16 avril ? A priori, pas grand-chose. Le texte de Bernard Kouchner, qui encadre l'acte de tuer commis par un médecin, satisfera les partisans de l'euthanasie mais ne pourra en aucun cas convaincre les autres.

 

 Les personnalités invitées à débattre de la proposition du ministre sont des philosophes - Paul Ricoeur, Luc Ferry, Anne Fagot-Largeau -, les représentants de quatre religions - le cardinal Lustiger, le Dr Boubakeur, le rabbin Sitruk et le pasteur Collange -, le professeur Didier Sicard, président du comité consultatif national d'éthique, Alain Bacquet, président de la Commission consultative nationale des droits de l'homme, Bernard Hoerni, président du Conseil national de l'ordre des médecins, ainsi que des médecins réanimateurs, des associations (dont l'Association pour le droit de mourir dans la dignité et la société française de soins palliatifs) et des hommes politiques.

 

 

 

 

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Le Monde

Société, mercredi 17 avril 2002, p. 13

 M. Kouchner fait un pas en faveur de l'euthanasie

 NAU JEAN YVES

 A LA VEILLE de son départ du ministère de la Santé, Bernard Kouchner a pris mardi 16 avril une nouvelle initiative pour faciliter l'euthanasie. S'exprimant dans le cadre d'une journée « Fin de vie » réunissant au ministère une cinquantaine de personnalités confrontées, pour des raisons professionnelles, philosophiques ou religieuses à la question de l'euthanasie, M. Kouchner a lancé un appel en faveur d'une évolution des pratiques, sous plusieurs conditions.

 Rappelant que la France est désormais dotée d'une loi qui affirme le droit d'accès de chacun aux soins palliatifs, quand il le souhaite, là où il le souhaite - y compris à son domicile -, M. Kouchner a indiqué qu'un premier plan triennal, lancé en 1999, avait permis de créer plus d'une centaine d'équipes de soins palliatifs et qu'il avait décidé d'un deuxième plan triennal afin de poursuivre l'effort entrepris ( Le Monde du 22 février). Pour autant, le ministre estime que le développement de l'offre de soins palliatifs ne permettra pas de régler l'ensemble des questions de la fin de vie auxquelles sont directement confrontés les médecins et les infirmières.

 « Il nous faut notamment tenir compte des personnes placées en réanimation et qui ne peuvent plus exprimer leur volonté ; il faut aussi évoquer la question délicate de ceux qui expriment leur volonté de choisir leur mort dans la dignité , a déclaré au Monde M. Kouchner. Sans que l'on s'engage d'ores et déjà dans une légalisation des pratiques, je propose aujourd'hui un engagement solennel, parce qu'il n'est plus acceptable qu'au nom de leur illégalité, des actes que je qualifie d'« extrême compassion « ou de « dignité retrouvée », se perpétuent dans la solitude, le secret et la clandestinité. »

 En pratique, le ministre délégué à la Santé propose une série de sept engagements qui, s'il n'étaient pas respectés, ne permettraient pas de parler de « légitime assistance à l'interruption d'une vie ». Parmi ces engagements figurent notamment la recherche et le respect de la volonté du patient. Si elle n'est pas connue, la décision « doit prendre en compte la singularité de la personne concernée, sa personnalité, ses convictions philosophiques et religieuses ». La décision « d'interrompre la vie d'un autre » ne peut d'ailleurs être que collective. « Le médecin doit assumer lui-même l'acte d'interruption de la vie, et ceux qui ont participé à la délibération doivent s'engager solidairement à ses côtés », ajoute M. Kouchner, qui souhaite que « les différents éléments de la délibération et de la décision soient clairement inscrits dans le dossier du malade ». Selon lui, seul le respect de ces engagements sera la garantie pour les Français de pouvoir, en situation extrême, « continuer à avoir pleinement confiance en la médecine ».

 

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TÉMOIGNAGE :

MICHELLE LAMENSCH, médecin généraliste en Belgique

 

Supprimer la souffrance extrême de quelqu'un, quitte à raccourcir sa vie, ce n'est pas tout à fait la même chose que pratiquer l'euthanasie. Nous considérons que cela fait partie du traitement médical adéquat. De ce point de vue-là, je ne suis pas sûr que la nouvelle loi changera grand-chose à notre pratique. Les généralistes rentrent très mal dans cette loi faite pour les cancéreux terminaux souffrant de douleurs insupportables. Il doit en être de même pour les responsables des soins intensifs en hôpital.

 
Le médecin qui témoigne ici anonymement distingue sa pratique de la réflexion sur l'euthanasie, menée avec le patient et son entourage pour abréger activement une vie en ayant recours à une injection de produit. Fallait-il une loi sur l'euthanasie ? Dans certains cas, pour certaines maladies incurables, répond notre praticien, on pourra peut-être s'en servir dans un cadre rassurant. Mais dans beaucoup de situations, je ne suis pas sûr que cette loi changera fondamentalement les choses Elle consacre le principe d'autodétermination du malade. C'est là son grand mérite, Elle maintient heureusement l'interdit de la mort et fait de l'euthanasie une exception, Mais, en médecine générale, sa praticabilité sera extrêmement difficile.

 
Le généraliste explique pourquoi. Parce qu'on est à la maison, chez le patient. Parce qu'on est seul, insuffisamment équipé : il faut faire une commande spéciale de médicaments. Psychologiquement, c'est également très lourd à porter, culpabilisant vis-à-vis de la famille. Même quand l'euthanasie est souhaitée et qu'elle est « bien » faite, la charge émotionnelle est trop forte. Moi, je me refuse à pratiquer l'euthanasie à domicile. Comme beaucoup de mes confrères généralistes, j'hospitalise toujours mon patient. Dès le début du traitement, je le préviens. Je me sens plus à l'aise en étant « extérieur », en étant celui qui peut en parler plutôt que celui qui agit. Mais je n'abandonne pas mon patient, je reste présent à ses côtés.

 
Vis-à-vis des proches, poursuit le médecin, mon intervention sera plus simple, plus positive, également, quand je les reverrai dans mon cabinet. Vous savez, quand quelqu'un meurt « trop vite », même quand la mort est naturelle, la question vient toujours : « Est-ce qu'on a accéléré ? Y a-t-il eu quelque chose ? ».

 
La loi pose notamment comme conditions à l'acte euthanasique la volonté réitérée du malade, débarrassée de toute pression extérieure. Le médecin évoque, lui, la pression exercée sur le praticien. La pression, ça commence avec le regard Nous pouvons nous sentir mal à l'aise avec certains patients, ou leur entourage, qui nous demandent l'euthanasie. Et quand on n'y accède pas, c'est comme si on était incompétent Cette pression latente, maintenant que la loi arrive, est exprimée de plus en plus violemment, surtout en présence de déments. On nous dit parfois : vous devez faire quelque chose, c'est votre devoir de médecin Mais quand la personne est partie, la charge de culpabilité reste Et qu'en est-il, pratiquement, de la volonté du malade ? En soins palliatifs, ce que les malades demandent ce n'est pas des soins palliatifs, c'est de la vie, même s'il y a eu une demande d'euthanasie. Ma dernière patiente me disait : « Ma vie ne vaut plus rien ! » Et puis, un mariage s'est mis en route dans sa famille. Elle voulait tenir jusque-là La conscience du malade sous médicament peut évidemment être altérée par une dépression. Il désinvestit alors de sa vie. Le médecin doit connaître son histoire Cette dépression peut être extrêmement envahissante. Le médecin peut être pris par la noirceur du tableau Le danger est alors qu'il cède à l'empathie et se laisse embarquer dans la dépression de son malade.


La loi exclut de l'euthanasie les patients atteints de troubles psychiatriques. Ce n'est pas compris dans le public mais, vis-à-vis de certains patients déments graves, ce public considère que le médecin a presque un « devoir d'euthanasie » Ce sont ces situations de démence, où les demandes d'euthanasie sont les plus fréquentes, qui posent le plus de problèmes aux médecins généralistes ! On se sent presque coupable de continuer à soigner A un moment donné, certains déments graves ont des troubles de déglutition. Perfusion, sonde gastrique ou pas ? La question se pose au médecin. Si on ne fait rien, tout se passe comme si on laissait mourir la personne de faim et de soif. Il suffit qu'un membre de l'équipe soignante ne soit pas d'accord et dénonce Si on laisse mourir naturellement, il faut être sûr de l'avis du patient quand il était conscient et de celui de la famille. Je pense qu'il ne faut pas poser d'actes inutiles.

 

La loi, conclut le médecin, a le mérite d'ouvrir un débat sur une réalité. Elle pose un cadre sur une partie de cette réalité. Mais elle nous enferme aussi dans ce cadre et, sous certains de ses aspects, elle nous irrite !

 

 

 

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La Croix

POLITIQUE, mardi 16 avril 2002, p. 8

 Election présidentielle 2002. Les candidats ne veulent pas d'une loi. « La Croix » a demandé aux 16 candidats à l'élection présidentielle s'il fallait légiférer sur l'euthanasie. Le « non » est largement majoritaire mais les arguments diffèrent

 GOMEZ Marianne

 Il y a les « oui », les « peut-être » et les « non ». A l'exception des trois candidats de l'extrême gauche et de Jean Saint-Josse (Chasse, pêche, nature et traditions), tous les prétendants au poste suprême ont répondu à la question posée par La Croix : « Faut-il légiférer sur l'euthanasie ? » Sur les 12 réponses, six formulent un « non » catégorique, trois un « oui » ou un « peut-être » et trois proposent une alternative à l'intervention du législateur.

 Premier constat : tous les candidats de droite, à l'exception de Corinne Lepage (CAP 21), sont formellement opposés à l'idée de légiférer sur l'euthanasie. « Je n'y suis pas favorable », déclare ainsi le président sortant Jacques Chirac (RPR) qui propose de « privilégier les soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie » et de faire de leur développement une « priorité ». Opposé aussi, mais par idéologie libérale, Alain Madelin (Démocratie libérale), pour qui « l'euthanasie et l'acharnement thérapeutique relèvent de la conscience des médecins et des familles ».

 Majoritairement, le refus d'une loi sur l'euthanasie s'affirme comme une position de principe. « La protection de la personne humaine est un impératif à respecter sans condition », répond ainsi Christine Boutin (UDF dissidente). François Bayrou (UDF) développe : « Respecter la vie humaine, même lorsqu'elle s'achève, c'est dire qu'il y a en nous quelque chose de plus grand que nous. » Et, dans la foulée, il souhaite « renforcer notre politique en matière de soins palliatifs ». Enfin les deux candidats de l'extrême droite, Bruno Mégret (MNR) et Jean-Marie Le Pen (Front national), se déclarent dans les mêmes termes « pour le respect de la vie de la conception jusqu'à la mort naturelle » et demandent que le médecin « ne précipite pas la mort ».

 A l'inverse, Noël Mamère (Verts) se prononce en faveur d'une loi, sans plus de précision, de même que Christiane Taubira (PRG), pour qui « la dignité de la condition humaine peut justifier le recours à l'euthanasie, à certaines conditions qui devront être définies et respectées avec la plus grande rigueur ». Moins déterminée, Corinne Lepage (CAP 21) se contente d'un « peut-être », assorti de cette précision : « En tout cas, il faut permettre de mourir dans la dignité. »

 Restent ceux qui développent une autre approche. A commencer par Lionel Jospin, qui repousse tout projet législatif parce qu'une « telle idée heurte les convictions profondes de certains de nos concitoyens ». Il propose une autre démarche, à savoir « un large débat public » pour réfléchir « sur le fait qu'en situation d'extrême souffrance, alors qu'il n'y a plus d'espoir thérapeutique, une équipe médicale puisse respecter la volonté affirmée d'un patient de mourir ». Jean-Pierre Chevènement (Pôle républicain), sans répondre directement à la question posée, estime « nécessaire de garantir, autant qu'il est possible, la maîtrise par les intéressés eux-mêmes de la manière dont leur existence trouvera son terme ». Comment ? Par « un encadrement très étroit, l'intervention notamment d'un comité d'éthique médicale », pour « garantir que le droit de mourir dans la dignité ne soit pas dévoyé ».

 Quant à Robert Hue (PC), il choisit de botter en touche : « Aucune décision ne peut être prise sans que le Comité national d'éthique ait exprimé une position sur ce problème. » Ce ne sera pas la première fois que l'on renvoie aux Sages le soin d'éclairer la lanterne politique...

 M. G.

 

 

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