Nous avons donc, au cours de notre étude des transitions démocratiques non violentes récentes, développé deux instruments permettant à l'analyste amateur de percevoir plus aisément la profondeur des questions sous-jacentes aux articles souvent polémiques rédigés sur ce sujet.
D'un côté, notre étude sur la controverse secouant les hautes sphères des sciences politiques à propos de la « transitologie », et nos analyses, facilités grâce à ce nouvel éclairage, de sujets dont la surface est souvent polémique, ajoute un arrière-plan, un contexte intéressant aux rumeurs et aux débats subjectifs animant les sites internet et les journaux, et permet de sentir où se situe l'essence de ces polémiques.
D'un autre côté, la grille de lecture que nous avons mise au point permet de situer l'article lu parmi l'ensemble des thèmes abordables à partir du sujet des transitions démocratiques. Elle permet à l'analyste l'utilisant de savoir quels sont les réels enjeux cachés derrière certains arguments objectifs d'acteurs, ou certaines descriptions subjectives contenues dans certains articles. Ce sont d'ailleurs en utilisant ces outils que nous avons réussis à cerner certains enjeux internes aux polémiques tournant autour des révolutions non violentes. Les analyses que nous en avont tirées peuvent être considérées comme des expérimentations de cette méthode de travail que nous proposont.
Riches de l'enseignement, nous avons déduit du chemin que nous avons construit pour modéliser la polémique agitant les débats journalistiques, que, dans le cas des révolutions non violentes récentes, les théoriciens passeraient par des ONG lorsqu'ils tentaient d'expérimenter concrètement leurs théories sur les révolutions non violentes. Ils nous restaient alors à analyser notre propre modélisation afin d'en comprendre les logiques sous-jacentes.
Des indices nous ont entre autres permis de comprendre l'origine de ces théoriciens de la non violence : ils semblent en fait être les successeurs aux transitologues et aux critiques de la transitologie dans le même temps. Ils semblent en effet être un fruit du débat ayant secoué les hautes sphères des sciences politiques dont l'étude préliminaire que nous avions effectué nous a ici servi d'éclairage. Ils correspondent à une sorte d'hybride entre transitologie et critiques : ils gardent le même objectif que leurs prédecesseurs mais ne partent pas des mêmes axiomes. Ils utilisent alors les ONG et les organisations locales pour communiquer leurs théories à la foule qui devient, dans cette nouvelle transitologie, l'élément-clé de la réussite de la transition démocratique.
Ces analyses nous permettent à présent de mieux comprendre l'essence-même des polémiques.
Par conséquent, à l'aide de ces deux instruments que sont la grille de lecture et l'étude de la controverse autour de la transitologie, et à partir des analyses que l'on a pu tirer des articles journalistiques une fois éclairés par ces deux instruments, nous avons les moyens d'atteindre plus facilement et plus rapidement le coeur des polémiques. En prenant un article quelconque, nous pouvons le classer dans la grille et y appliquer notre second outil de lecture pour y discerner ce qui se cache derrière le rideau de rumeurs. Ainsi, dans la cadre de la question de la manipulation qui fut le point de départ qui nous amena à nous lancer sur le sujet des transitions démocratiques non violentes, nous avons pu constater qu'un auteur craignant qu'il y ait une possible manipulation, critique en fait d'un point de vue éthique les processus amenant les transitologues à parvenir à une expérimentation de leurs théories.
Y a-t-il eu manipulation ? Avant de répondre à cette question, il faut comprendre les idées sous-jacentes à cette question et à sa formulation, et c'est que nous avons tenter de faire pour arriver finalement à la conclusion que nous venons de rappeler. A la lumière de cette réflexion effectuée dans les deux dernières parties de l'onglet questionnement, cette question ne paraît pas, comme on aurait pu le penser au début, lier à des faits : il y a eu des meneurs de foule, il y a eu des spectacles et une gestion de la nourriture... Ceci a été prouvé par des faits (images, vidéos, etc...) La question de la manipulation revient surtout à la question du choix : qui a fait le choix de la transition démocratique ? Le gouvernement américain ou les ukrainiens ?
Comment sortir de ce problème de poule et d'oeuf ? La solution que nous proposons ici est la suite de la réflexion précédente déduite de notre étude, réflexion agrémentée de l'analyse suivante : le simple fait de poser la question « qui a fait le choix » suppose que ce « qui » existe et a priori est unique. Or, cette simple hypothèse est déjà un jugement, et non le résultat d'une recherche de faits (recherche de faits qui n'est pas à notre portée). De même, l'opposition entre « manipulation » extérieure et mobilisation spontanée est un jugement. Ainsi, une sortie possible à notre problème, dans le cadre le plus objectif possible, est de ne pas considérer ces deux visions comme opposés mais comme pouvant être coordonnées, puisque leurs objectifs et intérêts semblent en accord, selon les mêmes personnes qui les faisaient s'opposer. Il y a donc une contradiction intrinsèque à cette polémique.
Nous souhaiterions enfin conclure par un jugement de notre part, ou du moins un avis, une idée sur cette polémique, idée qui nous a été inspirée par notre travail de longue haleine autour des révolutions non violentes : quitte à juger les transitions démocratiques d'un point de vue éthique, il serait selon nous préférable de se poser la vraie question de la validité d'une transition : la démocratie survivra-t-elle dans un pays qui vient de l'acquérir par l'intermédiaire d'une transition démocratique non violente ?
Le tout n'est en fait pas dans la transition mais plutôt dans la consolidation : c'est dans la consolidation que se joue le destin d'un peuple, la transition ne montrant que l'ambition de celui-ci, ambition qu'il convient de rendre réelle dans la mesure du possible. A nouveau, nous nous retrouvons face à la dualité Pourquoi-Comment : les personnes qui s'obstinent à réfléchir à l'idée de manipulation ne pense qu'au « Pourquoi » de la nouvelle démocratie dans le pays ; à l'inverse, ceux qui se penchent sur la manière de faire se consolider la démocratie sont orientés vers le « Comment » : Comment faire que la démocratie perdure ? Et c'est sûrement cette question qui la plus essentielle de toutes quand on veut aider à la démocratisation d'un pays par le peuple.