Tout comme la plupart des linguistes demande de ne pas s’en tenir à des considérations théoriques, et réclament une évaluation pratique de l’efficacité des méthodes d’apprentissage de la lecture, les scientifiques sont conscients du manque cruel de recherches menées sur l’apprentissage de la lecture en langue française. Des résultats rendant compte de l’impact des différentes pratiques effectivement mises en œuvre sont les seuls à pouvoir orienter de manière objective la pédagogie. Ainsi, M. Foucambert, à l’origine de la méthode idéovisuelle, estime tout de même nécessaire d’étudier plus avant l’approche par voie directe, tout comme certains neuroscientifiques ne veulent pas rejeter les méthodes analytiques sans des études comparatives significatives.
Il faut néanmoins noter que des deux côtés, des théories subsistent sans pour autant être appuyées par des recherches précises. Par exemple, Kenneth Goodman a mis au point un modèle de « lecture par devinettes », en s’appuyant sur de simples observations et sans citer de résultats scientifiques solides, ce qui a été remarqué dans la communauté scientifique. De même, Eveline Charmeux justifie ses propos sur la méthode globale par des études qu’elle a elle-même menées, sur seulement quelques classes expérimentales et selon un protocole assez flou. Elle refuse de considérer les recherches récentes qui mettent en question ses résultats.
Pour Goodman, qui a jeté les toutes premières bases des méthodes analytiques, la lecture est dépendante de la compréhension. En effet, selon son modèle, la lecture est une vaste devinette, lors de laquelle le lecteur utilise le contexte pour « faire des paris » sur le mot qui va suivre. La méthode qu’il a développée correspond à une approche dite « whole language ». Selon cette approche, l’élève apprenti lecteur est capable d’anticiper un mot lorsqu’il ne le reconnaît pas par voie directe. Il considère que la stratégie de décodage est uniquement une voie de dépannage exceptionnelle, lorsque l’anticipation ne mène à rien.
Cette thèse est décriée par des scientifiques qui ont remarqué que tous les enfants utilisent des stratégies de décodage, même si c’est à des degrés divers . Ils allèguent que toutes les recherches montrent que les enfants procèdent instinctivement et naturellement par décodage.
Parmi les élèves soumis à l’approche « whole-language », les mauvais lecteurs sont ceux qui ont le plus recours à des stratégies d’anticipation, mais, contrairement à ce que prétend Goodman, ils sont incapables d’anticiper les mots inconnus. Pour certains chercheurs, l’approche analytique conviendrait mieux à une écriture plus logographique, comme l’anglais. Or, même les pays anglophones l’ont abandonnée !
La plupart des tenants de la méthode analytique accuse la méthode syllabique de détourner l’apprenti lecteur du sens du texte. L’approche analytique, à l’inverse, puisqu’elle suppose une reconnaissance rapide des mots connus par la voie directe, ainsi qu’une stratégie d’anticipation des mots inconnus fondée sur le contexte.
Au contraire, pour une grande partie des chercheurs en psychologie, la seule compétence à développer lors de l’apprentissage de la lecture est l’identification des mots , puisqu’elle sous-tend la compréhension. Une fois le mot reconnu, on peut lui associer son sens, et ainsi comprendre le texte. A ceux qui, comme évoqué précédemment, accusent la méthode synthétique d’éloigner l’élève du sens, des chercheurs tels que M. Gombert affirment que ce n’est pas tant le décodage qui éloigne du sens mais plutôt le fait qu’on y consacre toute son attention. Cela se résout par la suite lors de l’automatisation du processus de décodage.
Néanmoins, d’autres scientifiques, s’ils concèdent le fait que l’automatisation du processus de décodage soulage le lecteur et lui permet de se concentrer sur le sens, rappellent aussi que la familiarité avec le sens facilite le décodage. Ils estiment donc faux de dire que le décodage précède la compréhension dans l’ordre des acquisitions. Ce qui est alors généralement pratiqué est une conjugaison de l’entraînement au décodage et l’élaboration du sens à partir de tâches plus complexes.
Malgré leurs divergences, concernant notamment l’approche analytique, les neuroscientifiques et grammairiens critiquent unanimement la méthode Lire avec Léo et Léa mise au point par des orthophonistes, et prise comme modèle par de Robien. Ainsi, Eveline Charmeux et des chercheurs déplore des textes incohérents, constitués d’une simple juxtaposition de phrases sans rapport les unes avec les autres. Par exemple « Mamie a fumé. Léa a lu. Mamie a lavé. Léo a filé. Léa a avalé. Léo a vu. ». Beaucoup de mots qui comptent parmi les plus courants de la langue française sont absent de la majorité des leçons, parce qu’ils présentent des irrégularités et une certaine complexité phonologique. Ainsi, le verbe « être » conjugué au présent ne se rencontre pas avant le deuxième trimestre, et les mots tels que « bateau » sont prohibés. Les termes sont choisis pour leur correspondance avec les graphèmes et phonèmes étudiés, en dépit du vocabulaire de l’enfant : « Léa sort le cheval. Faro le mord. Le cheval a mal. Il remue puis il rue. Léa lui parle fort. Faro file. » Ce qui est proposé à l’enfant est une langue postiche, uniquement conçue pour la syllabation. Or, une des exigences du programme est de travailler le déchiffrage autant que la compréhension. Ce dernier enseignement n’est manifestement pas assuré par cette méthode. Comment comprendre qu’elle soit autant mise en avant par Gilles de Robien, alors que son contenu semble contraire au programme ?
Un autre point de critique est lié à l’esthétique même du manuel, avec les voyelles et consonnes écrites de couleurs différentes, ce qui constitue un obstacle à une lecture aisée. Selon certains neuroscientifiques et médecins, il vaut mieux que les textes soient imprimés en noir sur fond blanc, afin de faciliter la prise d’informations visuelle et pour éviter que l’activité de l’hémisphère cérébrale gauche ne soit altérée par une sollicitation de l’hémisphère droit, dû à la présence de couleurs et d’images.
Enfin, la pédagogie conseillée aux enseignants par le manuel est la suivante : « N’abordez une nouvelle leçon que lorsque la précédente est bien assimilée. ». Or, comme le rappelle notamment Eveline Charmeux, les recherches en psychologie des apprentissages, de même que l’expérience empirique personnelle, montrent que les savoirs ne « s’empilent » pas les uns après les autres, mais s’organisent les uns par rapport aux autres, et il est fréquent que des leçons ultérieures permettent de comprendre et d’assimiler les leçons précédentes .
Lire avec Léo et Léa semble donc cristalliser les critiques des linguistes ainsi que des scientifiques, unanimes quant à sa non-conformité aux programmes en vigueur.