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Mark Schar est un ancien juge de l'OEB, qui a discuté dans un article du Journal of World Intellectual Property de 1998 intitulé What is technical ? la définition du caractère technique auquel devraient satisfaire selon cette institution les inventions brevetables.
Selon lui, aujourd'hui le caractère technique des inventions est discuté au cas par cas par des comissions d'appel internes (le Technical Board of Appeal, dont Mark Schar a été membre) selon la définition fixée par la Convention de Munich. Il propose pour régler les difficultés inhérentes à ce mode de fonctionnement que toute solution à un problème qui soit susceptible d'être réalisée et reproduite soit considérée comme technique et donc brevetable. Ceci permettrait d'éviter tout flou en matière de brevetabilité et notamment de supprimer des textes des traités la liste exhaustive des objets non brevetables.
Il attribue la notion d'inventions techniques au fait que les lois classiques de protection par brevets s'appliquaient à des invetions susceptibles d'application industrielle, des objets manufacturés ou de méthodes de fabrication. Par exemple, la Cour Fédérale Allemande distinguait en matière de brevets une invention, c'est-à-dire un concept, de son implémentation physique (par le processus d'objectivation), et demandait que l'idée d'origine comporte également des éléments techniques, soit selon la doctrine classique mette en oeuvre des "forces de la nature".
Cependant, bien que rappelant que le caractère technique est indispensable pour poser des limites à la brevetabilité et notamment éviter que n'importe quelle idée puisse être couverte par un brevet, il déplore le fait que la convention ait employé sans plus de précisions un terme dont les interprétations peuvent être multiples suivant le contexte, ainsi que le caractère hétéroclite de la liste d'exceptions, énoncées sans justification, à la brevetabilité : c'est en effet la pratique de l'Office qui a conduit à penser que ce type de brevets était refusé en fonction du caractère non technique, et non strictement le texte législatif.
Il pose alors un certain nombre de questions qu'il est possible de résumer en les points suivants :
Selon les lois traditionnelles de la brevetabilité, une activité technique est une solution à un problème par la mise en oeuvre des "forces de la nature". Ce terme, issu de l'allemand Naturkräfte, est une notion epistémologique développée notamment par Descartes, Kant et Popper qui est sensée définir une limite entre le monde de la matière et celui de l'esprit. Selon Mark Schar cependant ces limites sont devenues plus floues, voir obsolètes, et nécessitent d'être redéfinies en ce qui concerne le droit des brevets.
Selon lui, l'idée de "forces de la nature" implique une opposition qui n'a plus lieu d'être entre l'homme et la nature qui l'entoure. Elle réfère également pour la physique moderne aux quatres forces fondamentales (gravité, électromagnétisme, intéractions nucléaires forte et faible). Pour Mark Schar, tout événement prenant place dans l'univers est lié à une combinaison de ces intéractions, et il est donc impossible d'attribuer un critère de technicité en se fondant sur ce concept.
Il évoque ensuite la possibilité selon laquelle ces concepts pourraient renvoyer à la notion d'effet physique, elle-même employée dans les documents récents de l'OEB comme celui couvrant les inventions mises en oeuvre par ordinateur. Pour lui, l'effet physique désignerait cependant simplement le fait que la découverte puisse être mise en application. Il introduit alors la distinction classique entre science et technique, affirmant que si la science est pensée, elle n'est pas brevetable, alors que la technique étant action, elle l'est. C'est de ce processus de pensée que découle la définition de la technicité donnée par Mark Schar.
Elle a cependant été critiquée pour le caractère extrêmement large de la définition qu'elle propose : ainsi, selon la FFII, la simple application d'un théorème mathématique dans un calcul effectué par un ordinateur devient brevetable comme application de la science pour répondre à un problème, ce qui équivaut dans les faits à pouvoir protéger par brevet les théorèmes mathématiques.
Jan Eilhard est un doctorant au CERNA (Centre d'Économie Industrielle) à l'École des Mines de Paris. Il possède un master en économie spécialisé dans l'économie des réseaux et de l'information de l'Université de Maastricht aux Pays-Bas. Sa thèse a pour sujet les intéractions entre le monde de l'Open Source et l'industrie informatique propriétaire. A ce titre, nous l'avons interrogé sur la notion d'invention relativement au brevet et à l'économie des technologies de l'information.
Contrairement aux textes sur les "inventions mises en oeuvre par ordinateur" de l'OEB et aux positions de la FFII, Jan Eilhard pense que l'opposition entre les inventions techniques, mettant en oeuvre des moyens physiques, et les innovations dans le domaine du logiciel, n'a pas lieu d'être aujourd'hui.
Il confirme ainsi qu'aujourd'hui matériel et logiciel peuvent fréquemment avoir les mêmes fonctions et qu'il serait difficile de concevoir une séparation fondée sur le principe de la technicité au sens de la mise en jeu de forces physiques. Il ne voit pas quel rôle aurait à jouer cette différence dans la brevetabilité et ne pense pas que sa suppression des textes soit problématique.
Cependant, il constate qu'aujourd'hui la majorité des brevets qui sont déposés sur des logiciels dans le monde concernent non pas des fonctionnalités présente dans des logiciels vendus en tant que produits mais des conceptions de programmes embarqués dans des machines industrielles, allant du robot à l'appareil de mesure ; ces brevets protègeraient donc bien en fait des inventions classiquement brevetables et non pas des concepts abstraits de l'informatique.
Sur le plan économique, il affirme comme nous avons pu le lire par ailleurs que la principale différence entre l'édition logicielle et l'industrie classique est que le logiciel a un coût de réplication nul une fois que l'investissement de départ a été réalisé pour son développement. Cependant, là où la FFII affirme que, alors que les inventions techniques sont très côuteuses à développer en raison de l'appareillage physique qu'elles requièrent, les inventions du domaine du logiciel n'entraîne que très peu de coûts lorsqu'elles n'ont pas encore été mises en application, il affirme qu'au moment où l'invention est prête à être breveté, de l'argent a été dépensé dans les mêmes proportions dans les deux cas.
Ainsi pour Jan Eilhard le logiciel semble pouvoir être considéré comme une invention à condition de respecter les autres critères déjà présents dans les textes : nouveauté, non évidence, application.
Il concède cependant que la structure du marché du logiciel est, du fait des coûts de réplication nulle, très différente de celle des autres industries ; par conséquent il ne porte pas de jugement à l'heure actuelle sur le caractère bénéfique des brevets logiciels, en Europe ou aux États-Unis. Pour lui, la principale différence est actuellement qu'alors que les brevets industriels se sont développés au cours de l'histoire et on pu, comme nous l'avons observé à travers notre historique, surmonter des crises en trouvant de nouvelles adaptations, les brevets logiciels n'ont qu'une vingtaine d'années et en sont encore à leurs balbutiements ; on ne pourra donc éventuellement pas avoir avant plusieurs dizaines d'années la preuve de leur bénéfice ou de leur non-efficacité.