Le logiciel est-il une invention brevetable ?
Accueil Historique Législation Acteurs Exemples Et ailleurs ?

Historique

Le brevet d'invention

L'idée qu'il soit possible d'accorder un monopole d'exploitation sur une technique n'est pas récente. En effet, des écrits on été retrouvés qui suggèrent que six siècles avant notre ère, en pleine Antiquité, la ville de Sybaris délivrait des brevets, notamment sur les spécialités gastronomiques. On peut également lire dans les textes d'Aristote des plaintes concernant l'existence de monopoles accordés par les Cités. Cependant, au cinquième siècle, l'empereur romain Zeno met un terme aux systèmes de brevets antiques.

Vers la fin du Moyen-Âge, les inventions techniques ont commencé à se développer, sans pour autant que leurs inventeurs soient reconnus pour leur oeuvre. Cependant, on trouve quelques traces de privilèges accordés par des seigneurs à des créateurs sous forme de monopoles sur une durée limitée, proches du concept de brevets. Il se développe par la suite un système institutionnalisé de privilèges, prenant la forme de l'exclusivité des droits d'exploitation pour un temps et sur un territoire limité, sur présentation aux souverains d'une requête argumentée et à condition qu'ils jugent que cette demande est conforme aux intérêts publics. On commence à parler de "Lettres Patentes", du fait que ces écrits étaient publics ; cette formulation est à l'origine du mot anglais patent encore employé de nos jours.

C'est à Venise que naît le brevet moderne. Dès 1421, des privilèges y sont accordés sur des inventions techniques ; et en 1474 le Sénat vote une loi énonçant les principes de base du brevet :

Pour être brevetable, une invention doit alors respecter les principes suivants :

Un monopole était alors accordé à l'inventeur pour une période de 10 ans, son respect étant assuré par les autorités.

La période la plus intéressante pour notre sujet en ce qui concerne le développement des brevets moderne se situe entre le XVIème et le XVIIIème siècle, en Angleterre. On voit alors apparaître avec l'augmentation du nombre de brevets déposés des consortiums fondés exclusivement sur l'exploitation de ces droits sans aucune activité inventive. Les abus sont de plus en plus fréquents, et les Lettres Patentes délivrées par l'autorité royale souffrent d'une mauvaise réputation due au fait qu'elles sont considérées comme attribuant des monopoles abusifs.

En 1590, des monopoles avaient été attribués dans le cadre de ce système sur la vente de divers produits comme le papier ou le sel, faisant ainsi monter les prix de façon imporante et provoquant un fort mécontentement dans la bourgeoisie industrielle. Dans ce contexte, la Chambre des Communes vote en 1624 un texte intitulé Statute of Monopolies qui, pour rectifier la situation, exige que les monopoles ne soient délivrés que sur des "espèces nouvelles de fabrication" dans le royaume.

On observe ainsi pour la première fois dans l'histoire une controverse autour du concept d'objet brevetable qui s'est conclue par une définition plus stricte de l'invention brevetable par le pouvoir législatif.

Le système des brevets tel qu'il existe aujourd'hui a été créé par la suite au XIXème siècle avec la révolution industrielle.

Les brevets logiciels en Europe

L'histoire des brevets logiciels en Europe a commencé le 21 mai 1962, lorsque la première demande de brevet concernant un programme informatique a été déposée, d'abord auprès de l'Office Britannique des Brevets puis auprès d'institutions correspondantes dans d'autres pays européens, par la compagnie British Petroleum pour un "Dispositif de programmation linéaire pour la commande d'un appareil de traitement de données". Cependant, jusqu'en 1970 il n'appartenait pas au pouvoir législatif ni à la justice d'examiner les demandes de brevets, il était donc du seul ressort des Offices de juger si l'objet de la demande était ou non une invention.

Le 5 octobre 1973 a été signée la Convention sur la Délivrance de Brevets Européens, ou Convention de Munich, par différents pays d'Europe. Elle a pour but de faciliter le dépôt de brevets dans les États membres en instaurant un cadre juridique et une procédure de dépôt communes. Elle crée ainsi l'Office Européen des Brevets et lui confère le pouvoir de juger de ce qu'est une invention brevetable dans le cadre fixé par des règles qu'elle édicte. Son article 52 exclut de la brevetabilité "en tant que tel" en particulier les méthodes mathématiques ainsi que les programmes d'ordinateurs.

Le 7 octobre 1977, cette convention entre en vigueur pour les pays suivants : Belgique, République Fédérale Allemande, France, Luxembourg, Pays-Bas, Suisse et Royaume Uni. Le premier mai 1978, la Suède les rejoint. Le premier juin suivant, les premières demandes de brevets sont déposées à l'OEB. Cette Convention sur le Brevet Européen est indépendante de l'Union Européenne et sa constitution est différente : elle comprend par exemple la Suisse, le Liechtenstein et la Turquie, et Malte n'en est pas membre. La Convention est aujourd'hui en vigueur dans 31 pays.

Une conférence pour la révision de la convention sur les brevets qui avait pour but de moderniser le texte de 1973 a eu lieu en novembre 2000. Notamment, depuis 1973, le poids économique des logiciels est devenu de plus en plus important. Certains acteurs européens ont ainsi exprimé leur souhait de voir s'aligner la politique européenne des brevets sur celle des États-Unis d'Amérique et du Japon. Cependant, la conférence de 2000 n'a pas ôté les programmes d'ordinateurs de la liste des exclusions à la brevetabilité, préférant attendre une consultation au niveau des états européens.

Simultanément, les pratiques de l'OEB se sont écartées de ce qu'elles étaient à l'origine, et on estime aujourd'hui que plus de 20.000 brevets logiciels ont été déposés en Europe, malgré l'exclusion et le fait que l'OEB lui-même se soit prononcé en défaveur sa suppression.

Le 20 février 2002, la Direction Générale du Marché Intérieur a divulgué sa proposition de directive européenne sur les brevets logiciels. Cette directive, qui légalisait à postériori toutes les pratiques de l'Office Européen des Brevets en la matière, allait encore plus loin, en permettant de breveter tout processus pouvant être mis en oeuvre sur ordinateur, ce seul point suffisant à rendre le processus un "effet technique", condition indispensable à la brevetabilité.

Le Parlement européen a enterré le 6 juillet 2005 la directive sur le brevet des logiciels mettant un terme à plusieurs années de débats. Par 648 voix sur 680 votants, les députés européens ont enterré le mercredi 6 juillet , en deuxième lecture, le projet de directive sur la "brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur".