Le théorème de Ricardo montre que, même si on multiplie les coûts de production dans l’un des deux pays, de sorte que les deux produits considérés aient des coûts de production supérieurs dans ce pays, l’avantage de la spécialisation et donc des échanges entre ces deux pays subsistes. Cette différence de productivité s’exprime désormais par un taux de change de l’unité de travail, mais en effectuant le même raisonnement que dans le théorème de Smith on arrive à la conclusion : « Quelles que soient les différences de productivité absolue, s'il existe des différences de productivité relative, il existe un taux de change, reflet des productivités absolues, qui rend les échanges bénéfiques pour les deux pays ». Ces deux théorèmes, malgré leurs hypothèses trop significatrices pour être appliquées en l’état à l’économie actuelle, démontrent, en montrant l’intérêt de la spécialisation, l’intérêt des échanges internationaux. L’augmentation du bien-être mondial passe par l’augmentation des échanges commerciaux entre les pays, et donc par la libéralisation.
A partir des années 1970 des économistes se sont intéressés aux conséquences des imperfections de marché sur le commerce international et les avantages du libre-échange. Il a alors été prouvé que les imperfections de marché anéantissaient les avantages du libéralisme, et contredisaient totalement les conclusions des théorèmes de Smith et de Ricardo. En effet, les imperfections de marché ont pour conséquence de provoquer des échanges inéquitables, conduisant à des inégalités économiques.
Pour
lutter contre ces
inégalités, les institutions et les économistes ont cherché à réduire
toutes
formes d’imperfections de marché. Les subventions agricoles sont une
forme
d’imperfection de marché. Ces subventions stimulent artificiellement
des
productions qui n’ont pas lieu d’être (voir article Des
subventions destructrices), elles font effondrer les cours
mondiaux et ferment l’accès du marché mondial aux producteurs
non-subventionnés, dont les coûts de production peuvent être cependant
moins
élevés. L’idée de supprimer les subventions agricoles vient alors
légitiment et
elle est souvent explicitée comme par exemple par Nicolas
Stern : « les pays
riches peuvent respecter leurs engagements et promouvoir
un système d’échanges ouvert qui profite aux populations des pays en
développement en réduisant les subventions agricoles, en atténuant les
distorsions des échanges associées à ces aides et en ouvrant leurs
marchés ».
Selon lui, la réduction des subventions restent une volonté générale
même si
elle est difficile à appliquer : « des dirigeants des
pays à revenus
élevés insistent pour faire de la réduction des subventions agricoles
un
élément fondamental de la réforme du commerce. Nous soutenons leurs
déclarations. Elles expriment, à notre avis, un désir réel de réduire
ces subventions
en dépit des obstacles politiques intérieurs ».
Les subventions agricoles n’ont pas comme seul effet de perturber complètement les marchés mondiaux et d’anéantir les bien faits du libéralisme, mais les économistes estiment que les politiques agricoles et commerciales des pays riches ont aussi des impacts négatifs sur les bénéfices de l’aide publique. Nicolas Stern estime que les subventions sont néfastes même pour les pays riches y ayant recours : « Les subventions … ont aussi des effets négatifs sur les pays riches: hausse des prix des denrées alimentaires, contraction de ressources pouvant être utilisée par l’État pour financer la satisfaction de besoins pressants et pressions exercées sur l’environnement par l’utilisation d’importantes quantités d’engrais».
Nicolas
Stern, l’OMC, Anderson,
l’Oxfam, l’OCDE et les
altermondialistes sont tous d’accord sur
le fait qu’ « éliminer
les subventions et ouvrir
les marchés est impératif. »
La suppression
des subventions agricoles peut apparaitre comme un principe théorique
difficile
voire impossible à appliquer si l’on remarque que les subventions
agricoles
dans les pays riches représentent plus du tiers du revenu des
agriculteurs.
Pourtant ce principe a été appliqué avec succès en Nouvelle-Zélande, où
les
éleveurs de moutons se sont vus privés de toutes subventions à partir
de 1984. La
suppression des subventions a conduit à une augmentation notables des
revenus
des éleveurs de moutons, et a été un franc succès comme le montre cet
article
de Maurice P. Mac Tigue, ancien ministre néo-zélandais.
« Laissez-moi
vous donner un exemple. A l'époque, en 1984, les aides gouvernementales
représentaient quelques 44 % des revenus des éleveurs de moutons en
Nouvelle
Zélande. Le principal débouché de cet élevage est la viande d'agneau.
L'agneau
se vendait 12,50 dollars la bête sur le marché mondial. L'Etat donnait
en sus
aux éleveurs le même montant : 12,50 dollars par bête. Et bien, nous
avons supprimé
en un an toutes les aides gouvernementales aux éleveurs de moutons.
Vous
imaginez que ceux-ci n'étaient pas très heureux ! Pourtant, après avoir
accepté
comme une nouvelle donne qu'ils ne devaient plus s'attendre à recevoir
de
subventions gouvernementales, ils ont constitué un groupe d'études
chargé de
réfléchir aux moyens de gagner 30 dollars par agneau. La conclusion de
ces
réflexions a été que cela serait difficile, mais pas impossible.
Néanmoins, il
fallait que le produit mis sur le marché soit conçu différemment, il
allait
falloir modifier les processus de production, il fallait prospecter de
nouveaux
marchés. En deux ans, c'est à dire vers 1989, ce qu'ils mettaient
maintenant
sur le marché, équivalant à un agneau, se vendait 30 dollars au lieu de
12,50
initialement. D'évolution en évolution, ce chiffre d'affaire par agneau
est
passé, deux ans après, à 42 dollars ; en 1994 il passait à 74 dollars,
puis
vers 1999 il atteignait les 115 dollars. La leçon à tirer est claire :
les
éleveurs de moutons de Nouvelle Zélande sont allés à la recherche de
nouveaux
marchés et ils ont trouvé des clients qui acceptaient de payer plus
cher leurs
produits. Ainsi, si vous allez dans les meilleurs restaurants, aux
Etats-Unis,
et si vous commandez de l'agneau de Nouvelle Zélande, vous le paierez
aujourd'hui entre 35 et 60 dollars la livre.
Comme on
pouvait s'y attendre, quand nous avons décidé de supprimer les aides
gouvernementales aux éleveurs, beaucoup ont prédit qu'il en résulterait
un
exode massif de ceux-ci. Pourtant, cela n'a pas été le cas. Je donnerai
un seul
exemple pour illustrer mon propos : n'ont cessé leur exploitation que
0,75 %
des exploitations consacrées à l'élevage du mouton ! Et, clairement,
ceux qui
les exploitaient n'étaient pas à leur place dans cette activité. En
outre,
certains prévoyaient la disparition d'un grand nombre d'exploitations
familiales au profit d'entreprises de type capitaliste. Finalement,
c'est le
contraire qui s'est produit : les exploitations de type capitaliste ont
reculé,
et celles de type familial sont devenues plus nombreuses. La raison en
est
probablement que les exploitations familiales peuvent se permettre une
rentabilité moins forte que des entreprises de type capitaliste. En
définitive,
il est arrivé ce qui pouvait arriver de mieux. Cela a démontré une
chose : si
les gens n'ont d'autre choix que de faire preuve de créativité et
d'esprit
d'innovation, ils trouveront par eux-mêmes des solutions. »
Sources :
- Réduire
l'Etat à ses justes proportions :
Par Maurice P. Mac Tigue, ancien ministre néo-zélandais
- Cours d’initiation à l’économie 2005-2006 de Pierre-Noël Giraud (Ecole des Mines de Paris)
-
Déclaration
de Nicholas Stern, Premier Vice-président, Économie du
développement, et
Économiste en chef de la Banque mondiale
(cf. Des Subventions Destructrices)
- Rapport sur le développement dans le monde 2008, Banque Mondiale