Libéralisation et subventions



Résumé

Les modèles de Smith et de Ricardo ont montré que la libéralisation des marchés pouvait conduire à l’augmentation du bien-être mondial. Ce processus nécessite cependant l’absence d’imperfections de marché. Les barrières douanières et les subventions agricoles produisent des imperfections de marché notables, à ce titre elles anéantissent les bienfaits de la libéralisation. Les organisations mondiales et certains économistes jugent donc que la suppression des subventions est indispensable pour l’augmentation du bien-être mondial. Cette théorie a été mise en pratique avec succès en Nouvelle-Zélande avec la suppression des subventions pour les éleveurs de mouton.

Anderson estime que les gains d’une libéralisation totale des marchés mondiaux, ce qui signifie la suppression de toutes sortes de barrières douanières et de subventions, pourrait augmenter le bien-être mondial d’environ 300 milliards de dollars par an jusqu’en 2015. Une telle réforme aurait aussi pour conséquence des gains de productivité, participant à l’augmentation du bien-être mondial.

             La théorie des avantages absolus de Smith, permet de mettre en évidence l’intérêt qu’ont deux pays distincts à échanger une partie de leur production. En introduisant une unité de travail, on peut chiffrer dans cette même unité le coût de tel ou tel produit. Deux pays distincts n’ont forcément pas les mêmes coûts de production. Ainsi si le pays A produit une unité de textile pour 5 unités de travail et une unité de blé pour 10 unités de travail, et que le pays B produit une unité de textile pour 10 unités de travail et une unité de blé pour 5 unités de travail, il apparait facilement, en considérant le coût du travail identique dans les deux pays, que ces deux pays ont intérêt à se spécialiser dans la production où ils jouissent d’un avantage, et à échanger. Supposons, pour simplifier, que les pays A et B se soient entièrement spécialisés, A dans la production de textile et B dans la production de blé. Pour la même production d'une unité de textile et une de blé par pays, le pays A aura produit les deux unités de textiles pour 10 unités de travail et B le blé nécessaire pour la même quantité de travail. Suite à l’échange entre les deux pays d’une unité de blé contre une unité de textile, chaque pays aura un excédent de 5 unités de travail, qui pourront être transformées en loisir, d’où l’augmentation de bien-être dans les deux pays. Cette simplification du théorème de Smith permet de montrer l’intérêt des échanges internationaux.

Le théorème de Ricardo montre que, même si on multiplie les coûts de production dans l’un des deux pays, de sorte que les deux produits considérés aient des coûts de production supérieurs dans ce pays, l’avantage de la spécialisation et donc des échanges entre ces deux pays subsistes. Cette différence de productivité s’exprime désormais par un taux de change de l’unité de travail, mais en effectuant le même raisonnement que dans le théorème de Smith on arrive à la conclusion : « Quelles que soient les différences de productivité absolue, s'il existe des différences de productivité relative, il existe un taux de change, reflet des productivités absolues, qui rend les échanges bénéfiques pour les deux pays ». Ces deux théorèmes, malgré leurs hypothèses trop significatrices pour être appliquées en l’état à l’économie actuelle, démontrent, en montrant l’intérêt de la spécialisation, l’intérêt des échanges internationaux. L’augmentation du bien-être mondial passe par l’augmentation des échanges commerciaux entre les pays, et donc par la libéralisation.

           

            A partir des années 1970 des économistes se sont intéressés aux conséquences des imperfections de marché sur le commerce international et les avantages du libre-échange. Il a alors été prouvé que les imperfections de marché anéantissaient les avantages du libéralisme, et contredisaient totalement les conclusions des théorèmes de Smith et de Ricardo. En effet, les imperfections de marché ont pour conséquence de provoquer des échanges inéquitables, conduisant à des inégalités économiques.

Pour lutter contre ces inégalités, les institutions et les économistes ont cherché à réduire toutes formes d’imperfections de marché. Les subventions agricoles sont une forme d’imperfection de marché. Ces subventions stimulent artificiellement des productions qui n’ont pas lieu d’être (voir article Des subventions destructrices), elles font effondrer les cours mondiaux et ferment l’accès du marché mondial aux producteurs non-subventionnés, dont les coûts de production peuvent être cependant moins élevés. L’idée de supprimer les subventions agricoles vient alors légitiment et elle est souvent explicitée comme par exemple par Nicolas Stern : « les pays riches peuvent respecter leurs engagements et promouvoir un système d’échanges ouvert qui profite aux populations des pays en développement en réduisant les subventions agricoles, en atténuant les distorsions des échanges associées à ces aides et en ouvrant leurs marchés ». Selon lui, la réduction des subventions restent une volonté générale même si elle est difficile à appliquer : « des dirigeants des pays à revenus élevés insistent pour faire de la réduction des subventions agricoles un élément fondamental de la réforme du commerce. Nous soutenons leurs déclarations. Elles expriment, à notre avis, un désir réel de réduire ces subventions en dépit des obstacles politiques intérieurs ».

Les subventions agricoles n’ont pas comme seul effet de perturber complètement les marchés mondiaux et  d’anéantir les bien faits du libéralisme, mais les économistes estiment que les politiques agricoles et commerciales des pays riches ont aussi des impacts négatifs sur les bénéfices de l’aide publique. Nicolas Stern estime que les subventions sont néfastes même pour les pays riches y ayant recours : « Les subventions … ont aussi des effets négatifs sur les pays riches: hausse des prix des denrées alimentaires, contraction de ressources pouvant être utilisée par l’État pour financer la satisfaction de besoins pressants et pressions exercées sur l’environnement par l’utilisation d’importantes quantités d’engrais».

Nicolas Stern, l’OMC, Anderson, l’Oxfam, l’OCDE et les altermondialistes sont tous d’accord sur le fait qu’ « éliminer les subventions et ouvrir les marchés est impératif. »

 

La suppression des subventions agricoles peut apparaitre comme un principe théorique difficile voire impossible à appliquer si l’on remarque que les subventions agricoles dans les pays riches représentent plus du tiers du revenu des agriculteurs. Pourtant ce principe a été appliqué avec succès en Nouvelle-Zélande, où les éleveurs de moutons se sont vus privés de toutes subventions à partir de 1984. La suppression des subventions a conduit à une augmentation notables des revenus des éleveurs de moutons, et a été un franc succès comme le montre cet article de Maurice P. Mac Tigue, ancien ministre néo-zélandais.

« Laissez-moi vous donner un exemple. A l'époque, en 1984, les aides gouvernementales représentaient quelques 44 % des revenus des éleveurs de moutons en Nouvelle Zélande. Le principal débouché de cet élevage est la viande d'agneau. L'agneau se vendait 12,50 dollars la bête sur le marché mondial. L'Etat donnait en sus aux éleveurs le même montant : 12,50 dollars par bête. Et bien, nous avons supprimé en un an toutes les aides gouvernementales aux éleveurs de moutons. Vous imaginez que ceux-ci n'étaient pas très heureux ! Pourtant, après avoir accepté comme une nouvelle donne qu'ils ne devaient plus s'attendre à recevoir de subventions gouvernementales, ils ont constitué un groupe d'études chargé de réfléchir aux moyens de gagner 30 dollars par agneau. La conclusion de ces réflexions a été que cela serait difficile, mais pas impossible. Néanmoins, il fallait que le produit mis sur le marché soit conçu différemment, il allait falloir modifier les processus de production, il fallait prospecter de nouveaux marchés. En deux ans, c'est à dire vers 1989, ce qu'ils mettaient maintenant sur le marché, équivalant à un agneau, se vendait 30 dollars au lieu de 12,50 initialement. D'évolution en évolution, ce chiffre d'affaire par agneau est passé, deux ans après, à 42 dollars ; en 1994 il passait à 74 dollars, puis vers 1999 il atteignait les 115 dollars. La leçon à tirer est claire : les éleveurs de moutons de Nouvelle Zélande sont allés à la recherche de nouveaux marchés et ils ont trouvé des clients qui acceptaient de payer plus cher leurs produits. Ainsi, si vous allez dans les meilleurs restaurants, aux Etats-Unis, et si vous commandez de l'agneau de Nouvelle Zélande, vous le paierez aujourd'hui entre 35 et 60 dollars la livre.

 

    Comme on pouvait s'y attendre, quand nous avons décidé de supprimer les aides gouvernementales aux éleveurs, beaucoup ont prédit qu'il en résulterait un exode massif de ceux-ci. Pourtant, cela n'a pas été le cas. Je donnerai un seul exemple pour illustrer mon propos : n'ont cessé leur exploitation que 0,75 % des exploitations consacrées à l'élevage du mouton ! Et, clairement, ceux qui les exploitaient n'étaient pas à leur place dans cette activité. En outre, certains prévoyaient la disparition d'un grand nombre d'exploitations familiales au profit d'entreprises de type capitaliste. Finalement, c'est le contraire qui s'est produit : les exploitations de type capitaliste ont reculé, et celles de type familial sont devenues plus nombreuses. La raison en est probablement que les exploitations familiales peuvent se permettre une rentabilité moins forte que des entreprises de type capitaliste. En définitive, il est arrivé ce qui pouvait arriver de mieux. Cela a démontré une chose : si les gens n'ont d'autre choix que de faire preuve de créativité et d'esprit d'innovation, ils trouveront par eux-mêmes des solutions. »
Fahayek.org

 

Sources :

 

- Réduire l'Etat à ses justes proportions : la Nouvelle Zélande

   Par Maurice P. Mac Tigue, ancien ministre néo-zélandais

- Cours d’initiation à l’économie 2005-2006 de Pierre-Noël Giraud (Ecole des Mines  de Paris)

- Déclaration de Nicholas Stern, Premier Vice-président, Économie du développement, et Économiste en chef de la Banque mondiale (cf. Des Subventions Destructrices)

- Rapport sur le développement dans le monde 2008, Banque Mondiale




Ecole des Mines de Paris - Etude de controverses 2007