L’agriculture, un secteur particulier

Nécessité des subventions et d’organiser le marché des produits agricoles


Résumé

Dans cette partie nous montrons qu’il est important de subventionner les produits agricoles afin d’assurer la stabilité des prix et permettre aux agriculteurs de réaliser les investissements nécessaires à leur activité. Les subventions sont aussi un moyen de tenir compte des extériorités positives de l’agriculture comme l’indépendance alimentaire, la qualité de alimentation et l’aménagement du territoire.

 La nécessité d’organiser le marché agricole pour les économistes

    Pourquoi alors que la concurrence est bonne pour le citoyen protège-t-on les paysans d’une forme de concurrence avec les subventions agricoles ? C’est parce que la concurrence est bonne à condition qu’il n’y ait pas d’imperfection de marché, sinon les économistes s’accorderont pour dire qu’il faut organiser le marché.

    Un libéral reconnaitra que pour que le marché agricole puisse être parfait, il faut des mécanismes pour se couvrir contre les risques de variations des prix des matières agricoles. En effet, on ne peut pas faire les investissements lourds qui sont nécessaires à la culture de la terre (tracteurs, irrigations) si l’on ne connaît pas les revenus que cela rapportera et c’est pourquoi on a besoin de certaines garanties quant aux prix futurs des produits agricoles. Chaque année, un paysan doit se dire « qu’est-ce que je vais semer ? », s’il a le nez collé sur les prix de l’année précédente, et si tous les paysans font de même, alors on va avoir une forte variation des prix des matières agricoles. Pour savoir ce qu’il doit semer, un paysan doit se fixer sur les prix futurs ; c’est pourquoi il doit exister un marché à terme auquel doit avoir accès tous les agriculteurs. Ce marché existe mais est très imparfait et les paysans n’en n’ont pas l’habitude, il ne permet donc pas d’assurer les prix à terme pour tous les paysans. Ainsi si on considère que l’autosuffisance alimentaire est souhaitable, on doit stabiliser les prix pour permettre les investissements nécessaires à l’agriculture et c’est pourquoi on a recours aux subventions agricoles.

De nombreux agronomes et économistes pensent ainsi qu’il faut protéger l’agriculture car les marchés à terme sont imparfaits et parce que les paysans ne sont pas des traders !

 

Assurer l’indépendance alimentaire

     Garantir les approvisionnements alimentaires d'une population est le plus ancien objectif d'une politique systématique de soutien du secteur agricole. Sous cet angle, la question de la sécurité alimentaire a conduit, en 1945, à la création de la Food and Agricultural Organisation (FAO) par l'Organisation des Nations unies. Cette vision est aussi particulièrement prégnante dans la conception de la politique agricole commune (PAC) : à partir de 1962, l'Europe vise son autosuffisance alimentaire.

 

    Pour garantir les approvisionnements d'une population, on peut imaginer différentes organisations de la production et des échanges. La vision mondialiste (celle de la Banque mondiale, par exemple) accorde à l'échange international et au jeu des avantages comparatifs un rôle essentiel, les pays déficitaires non-solvables pouvant avoir recours à l'aide alimentaire. Une vision plus nationaliste (celle de la FAO ou de l'Union européenne) insiste sur le risque systématique d'une rupture des approvisionnements et sur la nécessité de l'autosuffisance.

 

    À côté du risque de rupture complète des approvisionnements alimentaires, un pays dépendant est exposé à la possibilité d'une rupture partielle de ceux-ci et d'une manipulation des prix mondiaux par les pays exportateurs. Un pays ou un cartel de pays exportateurs peut disposer d'un tel pouvoir lorsque, d'une part, la fraction de la production mondiale contrôlée par le cartel est importante, d'autre part, lorsque la demande mondiale pour ce bien et l'offre extérieure au cartel réagissent peu aux augmentations de prix. Or, une forte concentration de la production agricole mondiale existe pour certains produits (maïs, riz, soja) et, à court terme au moins, la demande et l'offre de denrées agricoles sont fortement rigides. Ceci pourrait justifier une intervention publique pour soutenir une production locale garantissant l'approvisionnement des consommateurs nationaux.

 

La qualité et l’innocuité des produits alimentaires

     Les lobbies agricoles justifient leur demande de protection par le fait que l'agriculture nationale serait garante de la qualité et de l'innocuité de l'alimentation. Dans l'opinion courante d'ailleurs (du moins jusqu'à récemment), la production locale est gage de qualité et d'innocuité ; à l'opposé, les produits étrangers inquiètent. La succession d' « affaires européennes » (encéphalopathie spongiforme bovine, dioxine, peste porcine, fièvre aphteuse…) devrait écorner sérieusement ce sentiment. Il n'y a en tout cas aucune raison de penser que des instruments protectionnistes au sens classique du terme (droits de douane, quotas ou subventions), c'est-à-dire des instruments qui ne font que discriminer producteurs nationaux et producteurs étrangers, sont appropriés pour garantir la qualité et l'innocuité des produits offerts sur le marché national. La solution réside davantage dans l'instauration de réglementations précises et justifiées sur le plan scientifique et dans le contrôle strict de leur respect par tous. Le libre-échange (au sens classique) peut alors rester la politique de référence, si la baisse des tarifs et des subventions est accompagnée de mesures spécifiques : introduction de réglementations (labels, certification d'origine), harmonisation des spécifications techniques, voire standard minimum de qualité.

 

Une externalité positive : l’aménagement du territoire

     Une justification d'un soutien à l'agriculture provient aussi de la reconnaissance de la « multifonctionnalité » de cette activité. L'agriculture ne produit pas seulement des biens, elle produit aussi des services territoriaux et environnementaux. L'entretien des paysages ruraux, la préservation des ressources et l'occupation équilibrée de l'espace constituent des services de nature publique qui justifient clairement un financement du secteur agricole par la collectivité. La demande collective pour les services territoriaux et environnementaux ne peut en effet être satisfaite dans le cadre d'une activité dont la rémunération proviendrait uniquement de la valorisation sur les marchés mondiaux des biens agricoles produits. Dès lors, les instruments à mettre en œuvre pour rémunérer ces services doivent être spécifiques et découplés de la rémunération des produits agricoles. Pour que l'activité agricole améliore le bien public environnemental, un système doit être conçu, combinant des subventions et des rémunérations, mais aussi des pénalités décourageant les pollutions (en France, l'agriculture est responsable de 65 % de la pollution azotée, de 20 % des émissions de phosphore, de 90 % des émissions d'ammoniac). Ainsi, depuis juillet 1999, les contrats territoriaux d'exploitation (CTE) sont apparus en France.  Ils lient l'État et l'agriculteur ; une zone rurale est définie et doit être l'objet d'un entretien contre le versement d'une aide forfaitaire, indépendante du niveau de la production et des ventes de l'exploitant. Celui-ci s'engage aussi sur une réduction de l'utilisation d'engrais et sur une certaine qualité de production.

 

Des défenseurs des PMA qui militent pour le versement de subventions aux agriculteurs africains


Dans un communiqué du 30 Avril 2008, le CCFD et le ROPA défendent les bienfaits des subventions et tentent d’alerter l’opinion publique pour qu’il y en ait aussi pour les agriculteurs africains.

 

« Contrairement aux opinions exprimées à Accra les subventions agricoles n’ont jamais été aussi pertinentes !

Lors de l’ouverture de la XIIe CNUCED, dimanche 20 avril, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon appelait « les nations les plus riches à repenser leurs programmes démodés de subventions agricoles », tandis que le Président du Brésil Lula da Silva accusait le protectionnisme des pays développés et « leurs subventions massives qui fonctionnent comme une drogue sur leurs propres producteurs ».

En tant qu’organisations engagées dans la lutte contre la faim et pour le développement agricole, le CCFD et le ROPPA, dénoncent les attaques à l’encontre des subventions aux producteurs et de la protection des marchés. Ils rappellent la nécessitée de l’intervention publique pour atteindre l’objectif de souveraineté alimentaire dans un pays ou une région.

L’Union européenne a pu atteindre son autonomie alimentaire grâce à la Politique agricole commune construite autour d’un marché commun protégé et de subventions à la production.  A l’inverse, les politiques publiques en Afrique ont négligé le soutien aux producteurs. Il est plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre aujourd'hui une politique d’investissement et d’organisation de la production et des échanges agricoles.»


Sources :
 

Pierre-Noël Girraud,  2005-2006  Initiation à l’économie 

 

Antoine Bouët, 2002  La fin de l’exception agricole 

 

CCFD, 2008  Les subventions agricoles n’ont jamais été aussi pertinentes 



Ecole des Mines de Paris - Etude de controverses 2007