Les subventions ont un effet neutre voire bénéfique pour les PMA

Résumé

Des simulations récentes montrent que la libéralisation du marché agricole ne bénéficierait pas aux PMA notamment car cela leur ferait perdre les accords préférentiels qu’ils ont avec les Etats Unis et l’Union Européenne. Un économiste indien a même démontré de façon rigoureuse que la suppression des subventions agricoles de l’Union Européenne aurait des conséquences néfastes sur les PMA. En effet, si l’Union Européenne supprime ses subventions alors le cours mondial des biens agricoles augmentera, ce qui aura un impact négatif sur les PMA étant donné que 45 d’entre eux (sur 48) sont importateurs nets de produits agricoles

La libéralisation agricole ne donnera pas les conditions nécessaires au décollage économique de l’Afrique

Ceci est une synthèse d’un article du CEPII écrit par Antoine Bouët. (lien vers la version intégrale)

Le taux de protection est dans le monde en moyenne de 20% sur les produits agricoles et seulement de 4% sur les produits industriels. La libéralisation agricole sera-t-elle bénéfique pour les pays en voie de développement?

 

La Banque mondiale pense que supprimer les subventions agricoles permettra le décollage économique des pays en voie de développement, mais sa position est à nuancer puisque ses calculs ont été fait avec un indice des droits de douanes qui ne reflète pas la réalité, et parce qu’elle n’a pas pris en compte la diversité des structures productives et des spécialisations commerciales des pays en voie de développement, ni les programme en faveur des PMA de la part des Etats Unis et de l’Union Européenne.

A l’aide du modèle MIRAGE (qui lui tient compte des critiques émises précédemment sur le modèle de la Banque Mondiale), on cherche à évaluer les effets de la libéralisation du marché agricole. On fait l’hypothèse d’une suppression des subventions à l’exportation, d’une réduction de 50 % des soutiens internes couplés à la production et de la baisse progressive des droits de douane. Les résultats des simulations nous montrent alors que ces réformes sont particulièrement bénéfiques pour les pays du Cairns (Brésil, Argentine ...), un peu moins pour les Etat Unis et l’Union Européenne et encore moins pour les PMA

 

La conclusion de l’article est que l’Afrique sub-saharienne ne trouvera pas à l’évidence dans la libéralisation agricole les conditions d’un décollage économique.

 

 

Un économiste démontre que les subventions agricoles soutiennent les PMA

Dans son article « Agricultural Liberalization and the Least developed Countries: Six Fallacies” Arvind Panagariya montre de façon rigoureuse, en s’appuyant sur des modèles micro-économiques, que si l’on supprimait les subventions agricoles dans les pays du nord, cela entrainerait une augmentation mondiale des prix des produits agricoles qui serait néfaste aux PMA étant donné que 45 d’entre eux (sur 48) sont importateurs nets de biens alimentaires. De plus, il tient compte dans ses modèles de l’initiative « Tout sauf les armes » de l’Union Européenne, qui permet aux PMA de vendre leur produit au prix du marché européen qui est supérieur à celui du marché mondiale, tout en bénéficiant toujours pour leurs importations de la faiblesse des prix mondiaux due aux subventions accordées aux agriculteurs européens. La perte de cet accord préférentiel de commerce est selon lui un élément qui montre encore que la libéralisation du marché agricole ne serait pas une bonne chose pour les PMA.

Voici l’extrait de l’article de Arvind Panagariya où il développe sa position en détail :

 Les subventions agricoles et la protection des pays développés frappent le plus les pays les moins avancés (PMA)

De toutes les erreurs que j'ai énumérés, il s'agit de la plus cruciale à démystifier non seulement parce qu'elle bénéficie d'un accord casi-universelle mais aussi parce que une bonne compréhension des effets de la libéralisation de l'agriculture des pays développés a des implications décisives pour trouver la meilleure façon d'aider les PMA dans leur quête pour le développement. L'argument derrière l'affirmation de l’erreur 2 est que la protection et les subventions accordées par les pays développés dépriment les prix mondiaux et limite l'accès aux marchés pour les PMA en ayant un impact défavorable aussi bien sur la quantité que sur la valeur de leurs exportations.

Deux points clés expliquent pourquoi cet argument est entaché de graves anomalies et est, véritablement, inexact. Tout d'abord, les protections et les subventions à la production et à l'exportation des pays développés dépriment les prix mondiaux des produits agricoles. En tant qu’importateurs, les PMA ont accès à ces prix bas. Une fois les subventions et les protections éliminés, les prix mondiaux augmenteront et blesseront les importateurs. Pour de nombreux PMA qui sont de grands importateurs de produits agricoles, les pertes pourraient alors être considérables.

Deuxièmement, en vertu de l’initiative de l'Union européenne «Tout sauf les armes (TSA), les PMA ont un droit d’accès au marché de l’UE sans quota ni franchise. Cela signifie qu'ils peuvent vendre leurs exportations à l'intérieur de l'UE à des prix maintenus artificiellement élevés pour protéger les producteurs de l'UE. En effet, les vendeurs des PMA bénéficient des mêmes protections que les producteurs de l'UE en vertu de l'initiative TSA. A quelques exceptions près, les prix internes de l'UE sont beaucoup plus intéressants que les prix que l’on est susceptible d'obtenir en l'absence de droits de douane et de subventions.

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Permettez-moi de développer ces points. Dans la colonne de gauche de la figure 1, DD et SS montrent respectivement l'offre et la demande à l’intérieur de l’UE en  un produit agricole, par exemple, le blé. Dans le panneau de droite, D*D* et S*S* montrent respectivement l'offre et la demande dans le reste du monde pour la même marchandise. En vertu du libre-échange, l'UE est un importateur de blé au prix Pf à régler. A ce prix, l'UE importe AB, qui est égal au reste de l'approvisionnement mondial des exportations A*B*.

Des subventions à la production de l'UE déplace sa courbe de l’offre vers le bas en S'S’, où la distance verticale entre les SS et S'S’ représente les subventions par unité de production. Au prix initial Pf, l’offre de l’UE est maintenant plus grande et sa demande d'importations est moins grande que AB (=A*B*). Il en résulte une offre excédentaire de blé sur le marché mondial fait plonger les prix mondiaux du blé. Le nouvel équilibre est atteint au prix Ps avec une demande de l'UE pour les importations EF, équivalant une fois encore au reste de l'approvisionnement mondial des exportations, E*F*. Le prix brut reçu par les producteurs de l'UE équivaut à Ps + EH, où EH sont les subventions par unité de production.

Il est immédiat que, les subventions à la production de l'UE, réduisent la demande de l'UE pour les importations et, par conséquent améliorent les termes de l'échange pour l’UE : le prix à l'importation du blé baisse. Du point de vue des pays exportateurs, les termes de l'échange se détériorent et laissent le reste du monde dans une situation pire qu’avant dans son ensemble. Mais il est important de se rappeler que la partie de droite de la figure 1 représente la position cumulée du reste du monde, qui comprend à la fois les exportateurs et les importateurs de blé autres que l'UE. Les effets des subventions sur ces deux groupes sont asymétriques, avec les importateurs dans une meilleure situation dans l'après subvention car ils sont alors en mesure d'acheter du blé à un prix mondial plus bas. Mais comme leurs gains ne sont pas compensés par les pertes des exportateurs, le reste du monde dans son ensemble y perd.

 

Une subvention à l'exportation est souvent peinte comme ayant la même incidence sur le reste du monde qu’une subvention à la production mais en fait, cela fonctionne différemment. Dans ce cas, c'est l'UE qui y perd dans son ensemble tandis que le reste du monde y gagne. Mais comme précédemment, le prix mondial du blé tombe de sorte que les exportateurs de blé dans le reste du monde y perdent tandis que les importateurs y trouvent des avantages, les gains de ces derniers faisant plus que compenser les pertes des premiers cette fois-ci. Ceci est illustré par la figure 2, qui suppose que l'UE est un exportateur net de blé dans l'équilibre de libre-échange.

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Dans la situation initiale d’équilibre de libre-échange, le prix est Pf, avec l'UE exportant AB et le reste du monde important A*B* tel que AB = A*B*. La façon dont une subvention à l'exportation fonctionne est que les producteurs ne peuvent en bénéficier que si ils exportent. Cela crée un écart entre le prix auquel ils peuvent exporter et celui auquel ils peuvent vendre sur le marché intérieur, écart équivalant à la subvention par unité. Par conséquent, dans le nouvel équilibre, le prix à l’intérieur de l'UE s'élève à Pd alors que celui dans le reste du monde tombe à Ps. Le prix dans le reste du monde sera en baisse à Ps, avec des importations en expansion à E*F*. Dans l'UE, le prix interne étant Pd, la demande sera en baisse à E le long de la courbe de demande alors que la production s'élèvera au point F, le long de la courbe d'offre. Les producteurs vendent EF (= E*F*) sur le marché mondial à Ps, mais reçoivent le même prix brut que s’ils avaient vendu sur le marché intérieur une fois que l'on ajoute la subvention à l'exportation. Comme on l'a déjà noté ci-dessus, les importateurs de blé dans le reste du monde sont mieux lotis en général et les exportateurs moins bien lotis.

Ceux qui soutiennent que la suppression des subventions à la production et à l'exportation dans les pays riches (représentés par l'UE dans les figures 1 et 2) serait bénéfique pour les pays pauvres suppose implicitement que ceux-ci sont des exportateurs de produits agricoles. Mais comme je l'ai expliqué avec force dans Panagariya (2003b, 2003c, 2004a), en réalité, un grand nombre de pays en développement et la grande majorité des PMA sont des importateurs agricoles nets. Pour réaffirmer ce point, examinons les tableaux 3 et 4, pris de Valdes et McCalla (1999), qui indiquent les importations et les exportations de divers pays en développement en ce qui concerne les produits alimentaires et agricoles.

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La Banque mondiale divise le total de 148 pays en développement en 63 pays à faibles revenus (LIC), 53 pays à moyennement faibles revenus (LMIC) et 33 pays à moyennement élevés revenus (UMIC). Sur la base de données 1995-97 sur les exportations et les importations de produits agricoles, Valdes McCalla divisent ces pays en importateurs nets de produits alimentaires (NFIM) et exportateurs nets de produits alimentaires (NFEX) les pays d'une part agricoles et importateurs nets (NAIM) et exportateurs net de produits agricoles (NAEX).

 

Selon le tableau 3, pas moins que 48 des 63 pays à faible revenu sont des importateurs nets de produits alimentaires. Même parmi les pays à revenu moyennement faible, 35 sur 52 sont des importateurs nets de produits alimentaires. Dans la mesure où les subventions sont appliquées à la production alimentaire, leur suppression ferait grimper les prix mondiaux et toucherait les revenus réels des pays importateurs.

Le tableau 4 classe les trois groupes de pays en fonction de leur position nette dans le secteur agricole dans son ensemble plutôt que dans celui de la production de nourriture. Ici plus de pays à faible revenu apparaissent comme des exportateurs - 33 par rapport à seulement 15 si l'on considère seulement les produits alimentaires. Mais la situation est plus pessimiste si nous nous concentrons sur les PMA. Au moment Valdes et McCalla ont écrit leur article, il y avait 48 PMA dans le monde. Parmi ceux-ci, plus de 45 étaient des importateurs nets de produits alimentaires et 33 importateurs agricoles nets.

Certains analystes font valoir, toutefois, que les importateurs ne doivent pas nécessairement perdre à l'augmentation des prix agricoles qui suivra le retrait des subventions à la production de l'UE (et d’autres pays développés), car beaucoup d'entre eux deviendront des exportateurs des produits dont le prix est en hausse. Mais deux arguments peuvent être proposés pour montrer que cette affirmation n’est pas convaincante. Le premier argument, abordés ci-après avec l'aide de la figure 2, est un argument probabiliste. Le second, décrit ci-dessous, est plus spécifique et tout particulièrement applicable aux pays les moins avancés.

Dans la figure 3, DD et SS désignent respectivement l'offre et la demande d'un pays en développement qui dans un premier temps importe du blé. Le prix mondial du blé en présence des subventions à la production, accordée à leurs producteurs par les pays développés, est Ps. Les pays en développement importe du blé et font un gain net de ce commerce équivalent à la zone triangulaire marquée "a". La suppression des subventions des pays développés augmente le prix au niveau indiqué par Pf. À ce prix plus élevé, les pays en développement se transforment en exportateurs de blé. Les gains du commerce sont maintenant donnés par la zone triangulaire b, qui est plus petite que la zone "a". Ainsi, le pays perd sur une base nette alors que son statut est passé d'importateur à exportateur. Ce n'est que si le prix mondial augmente suffisamment pour rendre la zone b plus grande que la zone a que le pays fera un gain net grâce à la suppression des subventions des pays développés.

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En fait, l’histoire complète et réaliste du point de vue des PMA est encore plus pessimiste. Pour de nombreux produits, en vertu de libre-échange, l'UE serait un importateur. Pourtant, grâce à une combinaison de subventions à l’exportation et à la production d'une part, et à la mise en place de barrière douanières d'autre part, on maintiendrait un régime dans lequel l’UE finit par être exportateur du produit.

Ainsi, figure 4, laissez DD être la courbe de demande de l’UE et SS sa courbe d'offre de blé. Par hypothèse, en vertu de libre-échange, l'UE serait importateur avec pour prix à payer Pf dans l'esprit de la figure 1. Mais une subvention à l'exportation combinée à une taxe à l’importation et l'UE se transforme en un exportateur de ce produit. Plus précisément, supposons que cela donne une subvention à l'exportation égale à PtPs par unité, complété par une taxe à l’importation identique ou supérieur. Ces mesures poussent le prix pour l’extérieures (le monde) à baisser jusqu’à PS (depuis que l'UE est un grand exportateur sur le marché mondial, l'expansion de ses exportations a déprimé les prix mondiaux) et le prix intérieur à monter jusqu'à Pt.

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Si nous commençons maintenant avecr les subventions à l'exportation et les taxes à l’importation à l'équilibre initialement et si on envisage leur retrait, les résultats seront semblables à ceux obtenus dans les figures 1 et 2. Même ici, les importateurs y perdront à cause de la hausse des prix et les exportateurs en profiteront. Les principales complications que nous n'avons pas présenté à ce jour et qu’on devrait maintenant prendre en considération sont que, dans la mesure où les PMA sont concernés, en vertu de l'initiative TSA, ils sont actuellement autorisés à exporter vers l'UE à ses prix intérieurs, c'est-à-dire PT. Et ceux qui importent le produit à l'acheter au moindre prix Ps du monde. Lorsque les subventions et les tarifs sont éliminés, dans l'UE et dans le monde le prix convergent à Pf, qui est inférieure à Pt que les PMA exportateurs reçoivent et supérieur à Ps que les PMA importateurs payaient auparavant. Aussi bien les PMA importateur qu’exportateur sont touchés par la libéralisation

L'affirmation que les importateurs de produits agricoles peuvent bénéficier de la suppression des droits de douane et des subventions en devenant exportateurs peut maintenant être considéré comme ayant aucune base logique dans le cas des PMA. En vertu de l'initiative TSA, les PMA importateurs ont le droit d’exporter le produit au prix Pt si ils le veulent plutôt que de l’importer. Si ils ne sont pas en mesure d'exporter à ce prix, ils ne sont certainement pas capables d'exporter au prix plus bas du libre-échange Pf. Pas besoin de dire que l'analyse de la figure 4 est facilement modifiable afin d'y inclure une subvention à la production. Tout ce qui est nécessaire c’est d’interpréter SS comme la courbe d'offre tenant compte de la subvention à la production (comme S'S’ à la figure 1) et PF comme le prix mondial avec la subvention à la production, mais sans aucune autre intervention.

En fait, le danger que les PMA perdent de la libéralisation des pays développés est encore plus important que celui suggéré par l'analyse fondée sur les chiffres 1-4 ci-dessus. La raison en est que, en prévision de la libéralisation dans le cadre du cycle de Doha, la politique des pays développés est d'ores et déjà de remonter les barrières à l’importation sous la forme de mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS). Ce processus augmentera dans le monde de l'après-Doha. Et dans la mesure où les PMA sont bien plus désavantagées que leurs homologues du groupe du Cairns et que les pays développés à surmonter ces obstacles techniques très sophistiqués, ils risquent même de perdre certains des accès aux marchés qu’ils ont déjà.

                       

 


Ecole des Mines de Paris - Etude de controverses 2007