Les  Politiques

Dans cette controverse, un acteur a joué un rôle prépondérant : les dirigeants politiques. En effet, de par leurs responsabilités, ils sont en charge d’arrêter les normes prudentielles et comptables, de gérer la crise et de proposer des mesures pour en sortir et pendant toute cette période il leur appartient également de communiquer auprès de leur opinion publique.

 

Dans ce cadre, il est intéressant de rappeler les choix qui ont été fait par les autorités politiques pour établir les normes prudentielles, puis d’analyser le discours qui a été tenu tout au long de la crise, pour aboutir aux suggestions de modifications des normes qui font encore l’objet d’études en mettant en évidence certaines différences d’approche qui ont pu surgir entre les dirigeants suivant les intérêts de leurs pays.

Une réglementation d’avant crise issue de décisions politiques

La règlementation Bale II mise en place en 2007 s’inscrit dans le droit fil des décisions prise lors du G7 qui réunissait les dirigeants des 7 pays les plus industrialisés à Cologne en 1999 . En effet, il était consacré notamment au « renforcement de l’architecture financière internationale ». Le communiqué final précisait qu’il fallait « améliorer la transparence et promouvoir les pratiques exemplaires »

Il est évoqué « la mise au point rapide de codes de transparence et de normes de pratiques exemplaires internationalement convenus, […] la mise en application de ces codes et de ces normes, en particulier grâce à une surveillance accrue et à la publication des résultats dans les rapports sur la transparence du FMI et la compilation des diverses normes en matière de politiques financières et économiques en même temps que des pratiques exemplaires en un ouvrage de référence général, tel un compendium de normes internationales en la matière ».  Sont ainsi explicitement évoquées des mesures concrètes pour « améliorer l’évaluation et la gestion des risques, entre autres grâce aux révisions proposées par le Comité de Bâle à l’Accord de Bâle sur le capital » 

 

Malgré ces déclarations unanimes, si le parlement européen a voté en 2006 une directive sur les ratios de fonds propres s’imposant aux états européens et à toutes ses banques, aux Etats-Unis, la mise en place de Bâle II s’est heurté à une vague de scepticisme à l'égard des bénéfices à prévoir, voire du bien-fondé, de la réforme. Aussi les dirigeants américains avaient reporté au 1er janvier 2009 la mise en application des normes pour les banques. Seules une vingtaine d’établissements sur les 10 000 banques américaines devaient vraiment appliquer la réglementation de Bâle.

 

Même perplexité auprès de certains dirigeants européens cette fois sur les normes comptables : en effet, en juillet 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie, déclarait à propos des normes IAS-IFRS : 

"il faut en finir immédiatement avec les arguties comptables incompréhensibles développées sous couvert de transparence des marchés, et revenir d'urgence aux procédures qui font la tradition et l'honneur de toute une profession".

Durant la crise financière

C’est durant la crise que les publications visant à présenter le problème à l’opinion publique deviennent plus intéressantes. Or durant cette période de forte crise, ce sont essentiellement les gouvernements qui se sont exprimés. Pour des raisons de commodité et de fidélité des propos retranscrits, on s’intéressera essentiellement aux propos tenus en France, mais ils étaient assez similaires dans la plupart des pays européens et aux Etats Unis.

Il est manifeste que les acteurs politiques, comme la plupart des acteurs, n’ont pas pris conscience immédiatement de la gravité de la crise qui pointait dès l’été 2007. Noel AMMENC, professeur de finance à l’EDHEC, affirme :

« Du point de vue de la régulation de la gestion d'actifs, l'analyse des dirigeants européens, notamment français et allemands, dans l'été 2007 n'a pas été à la hauteur des enjeux de la crise financière.

En désignant les hedge funds, puis les ventes à découvert comme responsables de la déstabilisation des marchés, les dirigeants politiques et les régulateurs de marchés ont retardé la prise de conscience quant à la gravité de la crise et la faillite du système de régulation. »

C’est au cours de l’année 2008, que les dirigeants politiques commencent réellement à réagir, notamment après le mois de septembre 2008 où différents pays sont amenés à prendre des mesures drastiques pour sauver leur système bancaire.

Ainsi en France, Nicolas Sarkozy, président de la République, expose aux français la situation du pays face à la crise dans un discours à Toulon en septembre 2008. Il évoque alors les problème des normes prudentielles et comptables, et adopte une posture keynésienne  :

«La crise devrait amener à une restructuration de grande ampleur de tout le secteur bancaire mondial. Compte tenu de ce qui vient de se passer et de l’importance de l’enjeu pour l’avenir de notre économie, il va de soi qu’en France, l’Etat y jouera un rôle actif.»

L'Etat, plutôt que le marché en somme.

Il promet dans ce même discours de rechercher les coupables, sans pour autant les mentionner :

« Les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement. L’impunité serait immorale. On ne peut pas se contenter de faire payer les actionnaires, les clients et les salariés les plus modestes en exonérant les principaux responsables

Un mois plus tard, l’Élysée semble avoir trouvé les coupables. Nicolas Sarkozy déclare en effet le 21 octobre 2008, que « la dictature des normes comptables américaines n’est plus tolérable. Ce n’est pas admissible […] Le mark-to-market a tout déstabilisé […] La Commission européenne va se pencher sur cette question des normes comptables et nous la soutenons dans cette démarche. »

Le ton est moins cinglant, mais tout aussi critique dans le rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée Nationale, présenté par MM. Dominique Baert et Gaël Yanno députés, en date du 10 novembre 2008 et relatif aux enjeux des nouvelles normes comptables :

« En effet, à l’inverse des normes comptables françaises, qui prennent en compte, entre autres, les besoins de l’État et des créanciers, les normes IFRS ont été élaborées à la seule fin de satisfaire les besoins d’informations financières des investisseurs […] De plus, comment mener une politique économique, si des agrégats comme la valeur ajoutée sont ignorés par le référentiel comptable ? Les créanciers ne peuvent être que troublés par le principe « substance over form », qui dissocie droit de propriété et inscription à l’actif d’un bien. Enfin, que dire des dirigeants, dont la performance, telle qu’elle apparaît dans les comptes, ne résulte pas de leurs seules décisions, mais de l’évolution de la valeur des actifs de l’entreprise ? […]

Cette « subjectivité » inévitable de la « juste valeur » risque ainsi d’altérer la fiabilité des comptes, alors même que les normes IFRS avaient pour objectif de restaurer la confiance des investisseurs dans les états financiers. Ainsi présentée, il est aisé de comprendre dans quelle mesure la « juste valeur » s’oppose à l’un des principes fondamentaux du droit comptable français qu’est la prudence (article L. 123-20 du code de commerce). »

 

La critique des autorités politiques françaises sur l’impact de la réglementation apparait partagée, même si c’est sous une forme moins virulente, par les autres pays.

Le 15 novembre 2008, à Washington, se réunissent pour la première fois les dirigeants des 19 pays et de l’Union européenne, représentant plus de 90 % du produit mondial brut. La crise est bien entendu au centre des discussions.

    pays membres du G20

     pays participants en tant que membre de l'Union européenne

D'après le communiqué final, la crise financière de 2008 résulterait d'un manque de coopération économique, « de problèmes d'évaluation des risques, de normes comptables peu adaptées et disparates, et de déficiences quant à la surveillance des marchés ». Affirmant leur volonté de jeter les bases d’une nouvelle régulation financière internationale, les dirigeants du G20 ont approuvé une liste de mesures "à haute priorité" permettant d’améliorer la supervision du système financier. Il s’agit notamment

-        une remise à plat des aspects de la régulation qui exacerbent les crises ;

-        une amélioration de la transparence et les systèmes comptables au niveau notamment de l'IASB et leur harmonisation;

Notons cependant que certains observateurs se sont interrogés sur le point de savoir si les normes comptables n’ont pas été utilisées comme bouc-émissaire par la sphère politique. C’est la question, qui a été posée à Jean-Luc Decornoy, président du directoire de KPMG, et sa réponse est sans équivoque : « on s’est trop attaqué aux conséquences de la crise, sans s’attaquer aux causes, et cela a été accentué par l’effet procyclique des normes IFRS…. » 

Ainsi durant la crise, le message qui est ressorti était essentiellement un message critique vis à vis des normes comptables, qui aurait eu tendance à être utilisées présentées comme bouc-émissaire par la classe politique.

Après la crise financière, la crise économique

La crise financière se transforme en 2009 en une crise économique profonde.

Pour autant, la mise en cause des règles prudentielles et comptables par les autorités politiques perdure. Dans sa conférence de presse à l’issue du sommet du G20 qui vient de se tenir à Londres (avril 2009), Nicolas Sarkozy déclare :

« Sur les normes comptables et prudentielles, les avancées sont nombreuses. Nous nous sommes mis d'accord sur une déclaration qui prévoit de revoir les principes comptables quand la référence de marché n'a pas de sens et pour les placements à long terme. En vérité, c'est la remise en cause de la notion de "fair value", qui était la bible jusqu'à présent.

Des systèmes de mise en réserve des résultats : les banques devront constituer des provisions en période de croissance pour ne pas avoir à durcir les exigences quand précisément on a besoin de crédit pour l'économie. C'est tout le débat sur la procyclicité. »

Au fil des mois, la question de la modification des règles comptables ne s’arrête pas. Regardons un article paru dans la Tribune et daté du 20 octobre 2009 intitulé « la France reprend les armes contre la « juste valeur ».

« Bien qu'il soit accusé d’avoir aggravé la crise financière, ce mode d'évaluation des actifs au prix de marché pourrait voir son champ d’application élargi par la réforme de la comptabilité des instruments financiers qui doit être bouclé fin octobre par I'IASB. Une perspective inacceptable pour Christine Lagarde qui a de nouveau écrit vendredi à la Commission Européenne pour l’appeler à accentuer sa pression sur l’IASB. »

Plus récemment, en avril 2004, la Commission Européenne, par la voix de son Commissaire au marché intérieur et aux services financiers, dit envisager de modifier la composition de l’IASB, l’organisme international qui définit les normes comptables. En effet, celui-ci se refusant depuis des semaines à assouplir comme demandé par Bruxelles sa position, Michel BARNIER a tout simplement proposé d’en modifier la composition, afin qu’en soient membres plus de représentants des régulateurs mondiaux, des banques et des entreprises. Il a précisé que le projet d’augmentation de l’IASB était prématuré, les deux questions étant liées…

Ces éléments attestent, en tout cas, de la ferme volonté de la classe politique d’imposer sa vision des réglementations aux régulateurs.

Une unanimité durable ?

En prônant l’arrêt de l’autorégulation et en invitant les régulateurs à mettre en place une réglementation plus efficace et moins procyclique, les dirigeants politiques des différents pays sont apparus comme un acteur globalement unanime et cohérent dans ses déclarations. Ils ont également prôné un rôle accru de la puissance publique dans le contrôle de la sphère financière.

Mais au-delà de cette unanimité sur le rôle des pouvoirs publics, il apparait cependant que ces acteurs (classe politique et économistes) développent aujourd’hui des opinions divergentes sur les modalités que doivent revêtir ces interventions.

Par exemple, la pression pour faire évoluer les normes comptables est un peu moins vivace aux Etats-Unis qu’en Europe. En effet, le mode de fonctionnement des banques américaines qui sont souvent de simples intermédiaires dans l’octroi de crédits, les recédant immédiatement sous forme de titrisation « au marché », les rend un peu moins sensible à « la valeur de marché », et donc leur gouvernement moins enclin à réclamer des réformes sur ce point.

De plus, la mise en place de critères prudentiels renforcés pour les banques aura un impact sur leur capacité à distribuer du crédit à l’économie. Les banquiers ont assurés, à la réunion de l'Institut international de la finance (IIF) de Vienne en juin 2010, que la mise en place de Bâle 3, dans sa préfiguration actuelle, pénalisera la croissance mondiale de 3,1 points d’ici à 2015 et sera la cause de 9,7 millions d'emplois en moins dans la zone euro, aux Etats-Unis et au Japon. Sans reprendre pour argent content ces déclarations, il est incontestable qu'à trop "punir" les banques, on pourrait affecter l'économie mondiale.

Dès à présent, on apprend par la voix du secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, que les Etats-Unis envisagent de mettre en application seulement en 2011 « une partie » de la règlementation Bâle II et sans préciser laquelle. Parallèlement le gouvernement des Etats-Unis met en œuvre pour les banques un ratio limitant l’effet de levier, ratio se rapprochant plus de Bâle I dans sa construction et sa philosophie que de Bâle II ou Bâle III.

Il est déjà manifeste, que, quand le pic de la crise sera passé, les égoïsmes nationaux sont susceptibles de reprendre le pas et la cohésion affichée par les dirigeants politiques pendant la crise risque d’être mise à mal.

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