Effet de levier

Le recours massif des établissements financiers à l’effet de levier de la dette est aujourd’hui reconnu comme une des causes de la crise financière. Et il s’avère que les normes prudentielles n’ont pas permis de limiter ce recours excessif à l’endettement.

En effet, la recherche par les établissements de crédit d’une plus grande rentabilité pour leur actionnaire les ont conduit à emprunter de façon importante sur les marchés. Cette pratique, parfois caricaturée sous l'appellation de « capitalisme sans capital », conduit à privilégier le financement par la dette des opérations financières. Pour expliquer cette optimisation de la rentabilité des fonds propres, quitte à la simplifier outrancièrement, on peut dire que le même bénéfice (en réalité amputé des frais financiers dus à la dette supplémentaire), rapporté à moins de capitaux propres, augmente, voire double, la rentabilité de ceux utilisés. C'est l'« effet de levier financier ». On peut le définir par la proportion dette / fonds propres.

Ce graphique reprend les caractéristiques principales de cet effet de levier :

Cette recherche de la rentabilité par un accroissement de la dette, conjuguée à une liquidité très importante sur les marchés, a fait oublier aux acteurs, que l’accroissement de l’effet de levier augmentait de façon importante le risque d’insolvabilité en cas de retournement de marché, ce qui s’est déroulé, alors que les ratios prudentiels ne détectaient rien.

C’est ce phénomène qu’explique Michel Aglietta, dans Crise :

« Ce risque [de crédit], pourtant très réel, n’apparaît nullement dans les variables que l’on mesure selon des règles comptables considérées comme les bonnes normes. Comme les risques sont cachés, on franchit sans s’en rendre compte le seuil du coussin de liquidités qui devraient garantir une stabilité et une sécurité financières. Au fur et à mesure que les banques d’investissement cherchent à prêter de l’argent aux investisseurs qui veulent acquérir des actifs, elles réduisent la proportion de leur capital au passif. [...] Dans une période dite d’expansion, les banques ont ainsi tout intérêt à prêter beaucoup, et donc à s’endetter beaucoup. Ainsi, le levier de crédit conduit-il à tous les excès sans que personne ne perçoive le danger de l’emballement. Le levier de crédit a permis de nourrir une dynamique d’achat et donc une hausse des actifs, notamment des actifs immobiliers, sur une durée sans précédent et tout à fait insolite. On a pu le constater, si le levier de crédit a pu jouer un rôle accélérateur comme il ne l’avait jamais fait auparavant, c’est en raison des développements étonnants de l’ingénierie financière. […] Elles ont fabriqué un cocktail explosif en réunissant dans un même modèle trois éléments sophistiqués. »

Ces trois éléments, exposés plus loin, sont les normes comptables, les normes prudentielles et les produits dérivés appliqués au crédit, ces dernièrs (ou CDS) ne nous intéressant pas dans ce développement.


La caractéristique de cette crise repose donc, selon Aglietta, sur les excès de l’ingénierie financière et la confiance accordée aux modèles mathématiques de suivi des risques : la valorisation au prix de marché, qui lient la valeur des actifs à la tyrannie du court terme ; les CDS (dérivés de crédit) qui couvrent les risques bilanciels, libère du capital économique, permet la distribution de nouveaux prêts et accroit ainsi considérablement l’effet de levier des banques ; l’utilisation d’un modèle de valorisation des risques ; le recours à des agences de notation de crédit, juges et parties, distributrices de notes d’investissement ; et cerise sur le gâteau, le recours à des agences de rehaussement de crédit, proposant d’assurer le risque de la variation dans le temps des crédits assurés, et assure ainsi le fondement aux excès d’opérations de titrisation.

Les normes, et plus généralement les pratiques en vigueur, sont ici accusées d’avoir été complètement contre productives. En effet, la raison d’être de ces normes était de favoriser la transparence, or c’est tout le contraire qui s’est produit dans la mesure où elles ont permis la création de ce « cocktail explosif » qu’évoque Michel Aglietta. Cependant, personne ne se rendait vraiment compte du danger bien réel de ces mélanges malgré la présence de normes sensées les analyser précisément.

Dès lors, l’effet de levier de l’endettement a été possible conduisant les banques aux difficultés que l’on connait. C’est pourquoi les autorités américaines envisagent de mettre en œuvre un ratio spécifique tendant à limiter l’effet de levier possible pour les établissements financiers.