Quels sont les différents points de vue chez les économistes ?

Les travaux des économistes ne sont pas tous dans la même optique. Certains s’intéressent à un point particulier (comme l’effet du montant des droits de scolarité sur le taux d’échec à l’université) et l’étudient en s’appuyant sur des données. C’est une démarche qu’on qualifiera d’analytique. D’autres chercheurs réalisent des modèles ayant pour vocation de prévoir le comportement des étudiants à partir du montant des droits de scolarité. Enfin, un certain nombre d’économistes s’engagent clairement contre ou en faveur des frais de scolarité dans ce qu’il convient d’appeler des position papers. On a donc réparti les différents universitaires que nous avons pu lire lors de notre étude dans ces trois catégories en considérant à chaque fois le penchant dominant de leurs travaux (même si certains pourraient tout à fait figurer dans les trois catégories). Tous les économistes ne sont pas français et n’étudient pas le système français. Néanmoins, quand on évoque des travaux étrangers, cela signifie qu’ils sont repris à un moment donné dans le débat qui entoure notre controverse.


Les analystes



Répondre à une question en s’appuyant au maximum sur des données chiffrées, voilà comment on pourrait résumer le travail de ces économistes. Leurs résultats font d’ailleurs l’objet de peu de controverse, même s’il est toujours possible de discuter la fiabilité de leur donnée ou la méthodologie utilisée. Néanmoins, ces études posent des idées fortes qui sont repris ensuite dans le débat.

  • Jung Cheol Shin et Sande Milton

Publication-clé : Student response to tuition increase by academic majors : empirical grounds for cost-related tuition policy (22/07/2007)

Les deux auteurs s’intéressent aux liens entre le montant des droits de scolarité et l’orientation des élèves dans les différentes filières. Ils montrent qu’en fixant les droits de scolarité uniquement en fonction du TRI et du coût de chaque filière, les élèves issus des milieux les moins favorisés risquent de délaisser les filières les plus couteuses.

  • Pietro Garribaldi (université de Turin), Francesco Giavazzi (université Bocconi à Milan), Andera Ichino (université de Bologne) et Enrico Rettore

Publication-clé : College cost and time to complete a degree : evidence from tuition dicontinuities (2007)

Ces chercheurs se sont intéressé à l’impact d’une augmentation des droits de scolarité sur le temps pris par un étudiant pour obtenir son diplôme. Pour réaliser leur étude, ils ont annulé le biais social en étudiant des populations ayant des ressources similaires. Leur conclusion est sans appel : une augmentation de 1000€ des droits de scolarité fait baisser le taux de retard de 6,1 %.

  • Benjamin W. Cowan (School of Economic Sciences, Washington State University)

Publication-clé : Forward-Thinking Teens : The Effects of College Costs on Adolescent Risky Behavior (2011)

Cowan montre, à l'aide d'un modèle théorique et d'une approche empirique, que diminuer les droits d'inscription à l'université est corrélée à une diminution de la consommation de substances illicites chez les jeunes ainsi que du nombre de relations sexuelles. L'auteur y voit un effort des adolescents pour ajuster leur comportement à leurs attentes et ambitions. Remarquons ici qu’il y a d’une part la démonstration d’une corrélation qui repose uniquement sur une étude statistique, et d’autre part l’interprétation de l’économiste qui pourra éventuellement être contestée dans l’avenir.


Les modélistes



Dans ce groupe d’universitaires, on change de type d’étude. Comparé aux analystes qui travaillent à partir d’études statistiques, les modélistes développent un modèle mathématique propre. Deux duos d’économistes français s’affrontent dans cet exercice : La paire Robert Gary-Bobo / Alain Trannoy et la paire Hugo-Harari-Kermadec / Flacher

  • Robert Gary-Bobo et Alain Trannoy

Ils ont développé un modèle économique faisant un parallèle entre l’effet des droits de scolarité assez élevés et un système d’examens à l’entrée de l’université. Leur modèle fixe ensuite un montant optimal de droits de scolarité qui assure un optimum social (seuls les étudiants les plus talentueux et donc qui vont le mieux rentabiliser leur diplôme font le choix de rentrer dans l’ES). A coté de ce modèle très théorique (de leur propre avis), ils se sont prononcés en faveur d’un système de PARC.

  • Hugo Harari kermadec et David Flacher

Ils ont repris le modèle de Robert Gary Bobo en remettant en question certaines hypothèses. Ils ont notamment

fait l’hypothèse supplémentaire d’une différence de perception qu’ont les étudiants de leur talent en fonction de leur milieu d’origine. Leur modélisation a alors abouti à des résultats différents des ceux des deux économistes précédents : les droits de scolarité assurant l’optimum social défini précédemment devrait être inférieur à ce qui était prévu pour tenir compte du biais social.

Voir le sous-nœud : les droits de scolarité, un outil de sélection efficace ?


Les engagés



Ces économistes (Sandrine Garcia est en réalité une sociologue) prennent position dans des « position papers » et expriment clairement leur point de vue. Contrairement aux analystes ou aux modélistes, ils abordent souvent des questions plus globales (quel financement pour l’ES français) même si la question des droits de scolarité est toujours primordial.

Les partisans des PARC

  • Pierre Courtioux, Stéphane Grégoir (Edhec)

Publication-clé : Les Propositions de l’EDHEC pour réformer l’enseignement supérieur : les contrats de formation supérieure

Ces deux chercheurs de l’Edhec partent de l’exemple australien et du constat d’un sous-financement de l’ES français pour se prononcer en faveur d’une augmentation des droits de scolarité dans l’ES français couplée à l’introduction des PARC

  • Eric Maurin (directeur de recherche à l’EHESS)

Se demandant comment augmenter les ressources de l’ES tout respectant les exigences de justice sociale et d’accessibilité, Eric Maurin propose également l’introduction des PARC qui ont déjà fait en partie leurs preuves au Royaume Uni et en Australie.

Les opposants aux PARC et à une augmentation des droits de scolarité

  • Ecolinks (groupe d'économistes, enseignants et chercheurs de gauche)

Publication-clé: Structure et financement de l'enseignement supérieur en France: EcoLinks réinvente le système

Ce groupe de chercheurs qui travaillent sur de nombreux sujets économiques différents, a un avis différent des deux précédents :

« La gratuité d’accès aux études supérieures est donc le moyen le plus efficace pour inciter une majorité de bacheliers à poursuivre leur formation. Les frais d’inscription minimes et forfaitaires tels qu’ils existent actuellement dans la plupart des cursus universitaires français sont donc un élément du système à garder. »

  • Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin (Institut de recherche et d’informations socio-économique (IRIS))

Publication-clé : Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ?

L’augmentation des droits de scolarité au Québec n’est pas passé inaperçu dans le débat français. On retiendra la contribution de ces deux économistes de l’IRIS qui déclarent notamment :

« S’il y avait volonté politique, la gratuité scolaire pourrait être instaurée sans trop de difficultés à tous les niveaux d’enseignement »

  • Annie Vinokur (Professeur émérite en sciences économiques à l’université paris X)

Publication-clé : La querelle des droits d'inscription - Quel financement pour sauver le service public à l'Université ?

Elle déclare notamment :

« aucun système de prêts ouvert aux étudiants dépourvus de garanties collatérales ne peut s’autofinancer, quelles qu’en soient les modalités. »

« Pour respecter l’égalité de traitement, le barème des droits doit être unique sur tout le territoire, géographique mais aussi disciplinaire (pour éviter une orientation des étudiants en fonction du coût).»

Elle serait pour des droits de scolarité dépendant des revenus du foyer familiale afin d’assurer l’accessibilité de tous à l’ES.

  • Sandrine Garcia

Publication-clé : Payer plus pour étudier mieux ? Les vertus pédagogiques de l’investissement économique

Sandrine Garcia se distingue car elle n’est pas économiste mais Maître de conférences en sociologie à l'université Paris Dauphine, laboratoire IRISES. Néanmoins, elle remets en cause bon nombre d'analyses économiques concernant l'ES. En particulier, elle conteste l'analyse considérant l'université "comme une organisation productive comme les autres, la relation pédagogique étant pensée comme une relation entre un prestataire de service et un usager/client."

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