La hausse des droits de scolarité peut-elle être une solution pour augmenter les ressources de l'enseignement supérieur ?


La mise à disposition de nouvelles ressources pour les établissement d’enseignement supérieur fait partie d’un des arguments majeurs en faveur d’une hausse significative des frais des scolarité. Dans quelle mesure est-ce discutable ?

Visite guidée des différents arguments mobilisés, autour d’une série de questions décomposant le problème.



L'enseignement supérieur (ES) manque-t-il vraiment de ressources ?

Bien que la quasi-totalité des acteurs pointent un réel problème de manque de ressources dans l’ES en France, la question mérite d’être posée, notamment afin d’en chercher les causes. Ce point est si crucial qu’il mobilise divers acteurs du monde politique, l’approche de l’élection présidentielle ayant donné lieu à un regain d'intérêt pour le sujet. Bruno Julliard, alors chargé de l'Education dans la campagne de François Hollande, le souligne quelques mois avant l'élection :

“Je pense que la question du financement de l’enseignement supérieur en règle générale et de l’université publique en particulier seront un des éléments importants de la campagne présidentielle.”

Bruno Julliard, adjoint au maire de Paris, décembre 2011

Ecolinks affirme que l’ES manque de moyens, mais nie que le faible recours aux fonds privés en soit la cause.

“Il faut, avant tout, souligner le relativement faible investissement dans l’enseignement supérieur en France. En comparaison avec les autres pays, notamment européens, la dépense annuelle moyenne par étudiant est faible. D’après l’OCDE, elle s’élève ainsi en France à 11568 équivalents dollars en moyenne en 2006, cette moyenne recouvrant des réalités très différentes selon les filières considérées. Ce montant atteint 12 845 équivalents dollars en Finlande, 13 016 en Allemagne, 13 244 en Belgique, 15 148 en Autriche, 15 447 au Royaume-Uni, 15 391 au Danemark et 16 991 en Suède. Le recours limité au financement privé est souvent invoqué pour expliquer la relative faiblesse de l’investissement français dans l’enseignement supérieur : si les autres pays investissent en moyenne plus, c’est parce qu’ils auraient su mobiliser des ressources privées, soit en demandant une participation accrue des étudiants et de leurs familles, soit en développant des partenariats qui leur permettent de lever des fonds complémentaires. [...] le recours à des fonds privés demeure dans la majorité des pays européens cités plus hauts un complément marginal.”

Un rapport du pôle de recherche de l’EDHEC montre que la France accuse un retard notable notamment par rapport à l’étranger.

“Alors que la part de dépenses réalisées par étudiant en pourcentage du PIB par tête se fixe à 57,2% pour les Etats-Unis, elle est d’environ vingt points inférieure pour la France. La France accuse également un retard quand on la compare aux pays nordiques (notamment le Danemark et la Suède avec respectivement 45,3% et 49,7%) mais également à l’Allemagne (40,1%) et au Royaume-Uni (42,4%).”


Est-ce vraiment d'une augmentation de budget dont l'ES a besoin ?


La question précédente amène aussi à considérer la répartition des ressources selon les filières, car s’il apparaît que le total dépensé par étudiant est dans la moyenne basse des pays de l’OCDE, il ne reflète pas la diversité des cas des filières françaises.

Les économistes MM. Flacher et Harari-Kermadec notent une injuste répartition, notamment au profit des classes préparatoires :

“Currently, per student funds are very unfairly distributed, with a clear lack of funds for Universities during the 3 rst years of Licence (L in the LMD European system). For each student in a preparatory school for the “grandes ecoles”, the French state spends 5 000 more euros than for a student at the university.”

Ecolinks juge l'écart entre les investissements annuels réalisés par l'Etat pour un élève à l'université (8 000 €) et un élève en CPGE (14 500€) injuste, vecteur d'inégalité et responsable d'une stagnation sociale. Ils considèrent également que les Grandes Ecoles tirent un avantage certain de l'attribution hétérogène des ressources issues des taxes professionnelles.

“L’intégration des CPGE à l’Université et l’entrée en Grande Ecole à Bac+3 (et non plus à Bac+2) proposées dans le premier volet de cette note devraient également œuvrer pour une meilleure répartition des fonds entre les étudiants des trois premières années d’enseignement supérieur.”

Attention cependant à ne pas étendre le cas des classes préparatoires à celui des Grandes Ecoles. En ce qui concerne le financement, considérons pour preuve le cas de l’Ecole des Mines de Paris :
Celles qui sont le plus subventionnées, ce sont les classes préparatoires, c'est acquis (14 000€). Pour les écoles, ça n'est pas vrai. Il y a eu un conflit il y a quelques années et on en a tiré la conclusion qu'on passait sous la fac, on a fait l'argumentaire. Et on y parvient grâce aux contrats privés. On est beaucoup moins subventionné qu'avant. [..] Attention aux chiffres, ça n'est pas vrai que toutes les grandes écoles coûtent cher. “

Nicolas Cheimanoff, directeur des études de MINES ParisTech, mars 2012



Dans quelle mesure les fonds nécessaires pourraient-ils venir d’une augmentation des frais de scolarité ?


Aujourd’hui la part provenant des ménages dans le financement de l’enseignement supérieur est de l’ordre de quelques pour cent, tandis qu’il atteint une part non négligeable (30 ou 40 %) dans les pays qui ont fait le choix de pratiquer des frais de scolarité élevés comme le Chili ou les Etats-Unis. Là où certains y voient une tentative de masquer le désengagement public, d’autres pensent que c’est une solution exploitable dans le but de trouver de nouvelles ressources pour l’ES.

“Les débats dans chaque pays incorporent de fortes spécificités culturelles, politiques et socio-économiques.”

Vincent Carpentier, Effort public et financement universitaire au Royaume-Unis, en France et aux Etats-Unis

Cette remarque se vérifie avec ici une spécificité française concernant la notion de service public. En voici un exemple avec ici Marc Champesme qui, bien que reconnaissant la nécessité pour l’ES de recourir à des fonds supplémentaires, précise que cela ne doit pas passer par une augmentation des frais de scolarité. On à ici affaire à une opposition idéologique, au-delà d’un discours économique.

"Alors nous on est absolument opposés à toute augmentation des frais d'inscriptions, on est favorables à la gratuité complète. Pour nous ça passera déjà de manière immédiate par une diminution des frais d'inscription, pour aller vers la gratuité. C'est d'ailleurs un principe constitutionnel, la gratuité, il y a un passage dans le préambule de la Constitution qui dit : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation
professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »”

Marc Champesme, directeur du SNESUP, janvier 2012

En marge des voix qui s’élèvent contre une hausse des frais de scolarité pour des raisons valeurs et de notion de service public accessible à tous, d’autres prétendent que de toute manière l’apport provenant d’une hausse ne serait pas nécessairement significatif.

Philippe Hurteau et Eric Martin, chercheurs à l'IRIS soulignent le fait qu’on n’améliore en aucun cas la situation.
“Une hausse des frais de scolarité ne pourrait qu’exacerber ces problèmes, sans pour autant régler la « crise » du sous-financement institutionnel”.

La dimension économique est présentée ici par des chercheurs de l’EDHEC, car s’il est décidé d’augmenter les frais de scolarité, il faut encore choisir de combien ils le seront, et considérer si l’apport provenant de cette augmentation sera suffisant :

“Il faut tout d’abord souligner à quel point cette solution semble insuffisante à résoudre le manque de ressources financières des universités. Les droits d’inscription contribuent actuellement pour environ 3% au financement de l’enseignement supérieur. La hausse de ces frais ne pourrait donc constituer une solution qu’à la condition de les augmenter drastiquement et resterait néanmoins marginale : à supposer par exemple que l’on multiplie par dix ( !), cela ne constituera jamais globalement que 30% du financement de l’enseignement supérieur. Les établissements d’enseignement supérieur ayant tenté de jouer sur ce levier ont, pour certains, mis en place une dispense de paiement pour les étudiants issus de familles à revenus modestes. Cependant, l’impact positif de la hausse des frais d’inscription sur les ressources financières est conditionné à la présence d’un nombre suffisant d’étudiants issus de familles aisées dans un établissement donné. Cette solution est donc largement insuffisante à résoudre le problème du financement de l’enseignement supérieur.”

Cette réflexion est d’autant plus importante que l’ampleur de l’augmentation est donc de ce fait vue différemment selon que l’on se place du point de vue de l’établissement ou de l’étudiant. Par exemple, si un triplement des frais de scolarité peut représenter une augmentation notable pour l’étudiant, pour un établissement comme l’Ecole des Mines de Paris, Nicolas Cheimanoff précise que “tripler ne serait pas significatif. Si on augmente à hauteur du coût réel de la scolarité, on arrive à des frais de type nord américains ou anglais

Mais dans cette logique il semblerait qu’il faille faire payer ceux qui jouissent des formations rémunératrices de l’enseignement supérieur.

“Dans ce cadre, il faudrait pouvoir mettre à contribution ceux qui reçoivent beaucoup de la collectivité et en retire un bénéfice individuel important tout au long de leur vie. Etant donné le risque qui pèse sur la valorisation des carrières, il apparait dangereux de faire reposer cette contribution uniquement sur la mise en place de droits d’inscription : une certaine dose de mutualisation des risques apparait nécessaire.”
Cette mutualisation interviendrait grâce à la mise en place d’un PARC à la française, et de ce point de vue, le principal attrait de ce dispositif est économique : il permet de dégager des ressources supplémentaires en préservant une certaine équité.”

P. Courtioux et S. Gregoir, Pôle de recherche en économie de l’EDHEC,Tarification de l’éducation postsecondaire ou gratuité scolaire

L’OCDE, organisme internationale d’étude économique, reprend cette idée à son compte en précisant que si la hausse est accompagnée d’un système de prêt démocratisé, la réforme n’aurait pas d’effet sur “l’efficience”.
“En procédant simultanément à un relèvement des droits de scolarité et à un élargissement des dispositifs de prêts aux étudiants, on pourrait contribuer à la réalisation des objectifs d’équité sans compromettre l’efficience. Un plus large accès aux prêts aux étudiants, même sans élément de subvention, pourrait être particulièrement important pour les jeunes issus de milieux défavorisés."

OCDE, note AEF 29/11/2001

Le désengagement de l’Etat est une crainte lorsque l’on parle de hausse des frais de scolarité, cependant, les augmenter est une des possibilités envisagées pour jouir de nouvelles ressources.
“Pour nous, l’enseignement supérieur, l’éducation, la recherche sont des priorités de l’Etat et il est absolument hors de question d’envisager un désengagement de l’Etat qui soit inversement proportionnel à une augmentation des frais de scolarité. Les droits de scolarité sont un des éléments à prendre en compte dans la diversification des ressources. Ils ne sont absolument pas un élément qui a vocation à se substituer au financement public.”

Maylis Brandou, chargée d'études à l’Institut Montaigne

Pour Richard Descoings, le recours aux frais de scolarité est une nécessité pour l'enseignement supérieur de haut niveau en France, car l’Etat n’est pas à même d’augmenter significativement les ressources allouées aux établissements comme Science Po.
“La question est « avons-nous d'autres sources de financement [que les frais de scolarité] qui assurent le niveau idéal permettant de donner aux étudiants les meilleurs professeurs, les meilleures conditions d'étude, les meilleures conditions de mobilité internationale et les meilleures conditions d'insertion professionnelle ? ». Si la réponse est oui, pourquoi nous embêterions-nous à prendre des mesures impopulaires ?”

Richard Descoings, ancien directeur de Science Po, février 2012

Le positionnement est similaire pour Nicolas Cheimanoff : l’Etat n’est plus à même de suivre la croissance des établissements, le recours aux fonds privés est inéluctable, même si dans le cas de l'Ecole des Mines, il fait plutôt allusion aux fonds provenant des entreprises.
“L’Ecole se développe, elle a une croissance normale donc comme on crée de nouvelles activités, on a besoin de croître, et aujourd'hui ça n'est pas l’Etat qui soutient cette croissance depuis plus de 15 ans, il n'en a plus les moyens [...] La dotation est passée de 80 a 40% en 30 ans, elle est stable corrigée de l'inflation, or l’Ecole a presque triplée, en nombre de personnes, en budget... et c'est bien normal ! Ce n'est pas un reproche à l’Etat. Le système est en croissance et on arrive au bout des capacités de financement d'un Etat, on a déjà beaucoup de chance que l’Etat ait conservé ses dotations. [...] Non seulement un désengagement de l’Etat ne me dérangerait pas, mais en plus je ne vois pas d'autre avenir pour l'enseignement supérieur de haut niveau en France.”

Nicolas Cheimanoff

Alors que les contraintes budgétaires de l’Etat l’empêchent de dépenser bien plus dans l’ES, la part des frais de scolarité est infime dans le coût total.
“L’étudiant ne paie que 2% du coût de sa scolarité. C’est quand même très faible et on peut se demander si c’est très bien que cela soit aussi faible.”

Alain Trannoy, économiste de l’EHESS, janvier 2012

Par contre, la recherche de ressources nouvelles dans l’enseignement supérieur ne doit pas constituer une fin en soi pour les établissements. La course aux fonds est devenue telle aux Etats-Unis qu’on peut craindre pour la stabilité de l’ES, vis-à-vis des étudiants étrangers.
“Le nombre d’étudiants étrangers a fortement augmenté depuis le début des années 1970 de 8% à 15% et tend à devenir aux États-Unis et au Royaume-Uni une variable d’adaptation et de ressources. On observe des tensions entre la volonté de générer des revenus externes et le risque d’exclure les étudiants nationaux.”

Vincent Carpentier


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