Sources écrites
Pour étudier le débat qui entoure les biocarburants de troisième génération, nous avons tout d’abord cherché des articles de presse scientifique et profane. Nous avons fait appel à plusieurs bases de données spécialisées telles que Scopus, les Techniques de L’Ingénieur ou Lexus Nexis. Pour de plus amples détails, vous pouvez vous référez à notre bilan documentaire.
Cependant nous avons également tenu à rencontrer des personnes directement impliquées dans la controverse. C’est ainsi que nous avons rencontré Anastasia WOLFF et Laura LECURIEUX. L’une est chercheuse à Agro ParisTech et a effectué un stage au Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, l’autre travaille dans le pôle de compétitivité de Trimatec, spécialisé notamment dans le domaine des microalgues.
Premier entretien : Anastasia WOLFF, chercheuse à Agro ParisTech
Quel est le principal frein à l’expansion de la production de biocarburants de troisième génération ?
Il y a une grande diversité des espèces, qui ont toutes des caractéristiques très diverses. De plus, le secteur reste encore mal maîtrisé. Les espèces autres que la spiruline ne sont pas cultivées à grande échelle. Il n’existe pas de filière économique existante comme dans le cas de l’agriculture pour les biocarburants de première et seconde générations.
Quel est le principal atout des micro-algues pour produire des biocarburants ?
La teneur en lipides de ces micro-organismes est exceptionnellement élevée, ce qui permet par la suite de synthétiser en grande quantité et avec de très bons rendements du biodiesel et du bioéthanol. Ces taux de lipides sont très supérieurs à ceux de végétaux réputés tels que l’arachide.
Pourquoi les biocarburants de troisième génération ne sont pas encore commercialisés, dans ce cas ?
Il faut prendre en compte le fait que ces rendements sont extrapolés à partir de cultures en laboratoire, dans des conditions optimales qu’il serait très difficile de reproduire à grande échelle et à moindre frais. Il faut savoir que cette filière est très récente : en 2007, il n’y avait aucune culture de micro-algues. De nombreux paramètres supplémentaires sont à prendre en considération : coût énergétique, prix de la culture, prix des procédés mis en œuvre pour la récolte et l’extraction des substances chimiquement valorisées. Une production à échelle industrielle nécessiterait la mise en place de nouvelles infrastructures onéreuses et inédites.
Pourquoi de telles infrastructures ne sont pas mises en place, en dehors du problème du prix ?
Les milieux de cultures exigés sont très différents d’une espèce à l’autre, ce qui rend difficile une stratégie globale concernant la culture de micro-algues.
Quel est le lien avec les OGM ?
Il n’y a pas de lien intrinsèque avec les OGM, mais certains laboratoires emploient des stratégies OGM visant à modifier les gènes impliqués dans la production lipidique, qui sont connus.
La situation est-elle semblable à l’étranger ?
La situation est très différente aux Etats-Unis où une véritable stratégie nationale a été mise en place. Le département de la Défense a investi des sommes colossales (non communiquées) dans la recherche sur les biocarburants de troisième génération. Des entreprises telles que Solazyme collaborent étroitement avec l’armée. Les procédés mis en œuvre sont maîtrisés et impliquent des modifications génétiques, ce qui pose moins problème aux Etats-Unis. Certaines démonstrations de force comme le lancement de vols commerciaux entrepris par la compagnie aérienne KLM ont eu lieu aux Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Le but n’était pas la rentabilité car ces vols ont été vendus à perte, mais plutôt de démontrer la faisabilité et l’existence de la filière.
Second entretien : Laura LECURIEUX, membre du pôle de compétitivité Trimatec
A quoi servent les pôles de compétitivité ?
Les pôles de compétitivité sont des structures qui ont été mises en place par l’Etat en 2005 pour faciliter la communication entre les collectivités territoriales et les entreprises locales spécialisées dans un certain nombre de secteurs clefs, notamment touchant au développement durable. Trimatec est l’un de ces pôles de compétitivité, implanté dans le sud de la France. Le but est d’aider des entreprises, qui sont pour la plupart des PME, à se développer grâce à l’innovation. Il existe 70 autres structures semblables sur tout le territoire français, chacune ayant ses thématiques propres. Ici, il s’agit de favoriser le développement des écotechnologies, dans le cadre d’une thématique de bioénergie qui a énormément favorisé l’essor des micro-algues en France. Les membres du pôle Trimatec, à l’image de Laura Lecurieux, ont donc pour principal objectif de valoriser les micro-algues, même si leur domaine d’action s’étend aussi aux macro-algues. Il ne s’agit donc pas, comme on pourrait le penser, d’un département semblable à ceux des entreprises en Recherche et Développement.
Les études ne se font pas sous la forme d’expérimentations en laboratoire, contrairement au précédent entretien, ce qui rend ces deux expériences complémentaires ; il s’agit ici de trouver les meilleurs partenaires, qu’ils soient académiques ou industriels, ainsi que le meilleur moyen de financement public.
Comment êtes-vous financés ?
Il existe plusieurs projets de R&D menés en collaboration avec des entreprises travaillant en laboratoire à la production de micro-algues, ce qui permet notamment à ces « petites entreprises » de se financer grâce à l’Etat. Le but est partiellement de se rapprocher du modèle américain, qui est marqué par une proximité nettement plus importante entre l’Etat et les entreprises de biocarburants de troisième génération. Cette collaboration s’est beaucoup développée en France dans les années 2007 à 2011, même si on ne peut pas encore parler de « stratégie nationale », en ce qui concerne les biocarburants de troisième génération issus de micro-algues. Contrairement à la France, les USA ont une vraie stratégie gouvernementale qui pousse de grandes entreprises à investir beaucoup dans ce secteur. Les USA ont pour objectif principal dans cette affaire l’autonomie énergétique, ce qui explique partiellement la grande différence d’investissement économique.
Quel est le désavantage majeur de cette filière ?
C’est son manque de structuration qui pénalise le plus cette filière dans son essor. Arrive ensuite le manque de visibilité qui s’explique par le fait que la filière soit extrêmement récente.
Comment décririez-vous le contexte économique dans lequel sont inscrites les microalgues ?
Les micro-algues sont apparues comme une ressource intéressante grâce aux points forts qu’elle présente en termes de rendement, par rapport à la plupart des autres biocarburants. De plus, l’essor économique d’un tel secteur ne peut en aucun cas être freiné par le débat portant sur l’exploitation de terres arables pour produire des biodiesels ou des biocarburants. Il s’agit au contraire de cultiver des surfaces marines ou océaniques. La productivité y est nettement plus importante (facteur variant de 1,5 à 7 selon les indicateurs) que sur les végétaux terrestres, tout simplement parce que le taux de lipides est gigantesque.
Malgré ceci, l’extraction des lipides, c’est-à-dire des huiles, demeure très onéreuse. Ceci remet en cause la rentabilité économique du procédé dans sa globalité, d’où la nécessité d’utiliser d’autres avantages majeurs que peuvent présenter les espèces de micro-algues. D’où le rôle de Trimatec, qui tente au quotidien de promouvoir ces espèces pour que des investissements soient trouver pour mettre en œuvre des recherches qui pourraient permettre à terme, de découvrir d’autres propriétés intéressantes des micro-algues.
Qu’en est-il de l’aspect écologique ?
Les micro-algues présentent l’avantage de consommer le gaz à effet de serre qu’est le dioxyde de carbone, et de traiter, dans le cas de certaines espèces, les eaux usées (cf. Couplages de la production algale avec divers secteurs). L’autre grand problème concerne l’acceptabilité sociale. En effet, les cultures sont localisées sur l’espace côtier, ce qui peut poser problème, notamment pour intégrer les centres au paysage du littoral. Certaines associations de locaux et d’écologistes s’élèvent contre ces recherches pour cette raison car cela peut pénaliser les autres secteurs économiques tels que le tourisme, même si, du point de vue des profanes, cette ambition est charitable puisqu’elle aide des PME à se développer, crée des emplois favorisant l’innovation, et contribue à dynamiser la région.
Travaillez-vous au couplage de la production algale avec divers secteurs, est-ce intéressant ?
Les couplages avec d’autres secteurs de production sont exploités par Trimatec, car ils sont très intéressants économiquement, notamment avec la production de fruits de mer, prisés dans le domaine de l’alimentaire et des cosmétiques. Trimatec essaie également de s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays, malgré le fait que l’agriculture locale (région PACA, ne s’y prête pas forcément. C’est ainsi que des études sont menées sur la manière dont le Japon traite certains des effluents de ses fermes viticoles.
Ces techniques sont dites techniques de phytoremédiation et elles exploitent les propriétés de certaines espèces végétales qui peuvent être des strates herbacées, des plantes, des arbustes, des arbres, des algues, à interagir avec des composés chimiques organiques ou minéraux pour dépolluer un terrain contaminé in situ. Le plus souvent, ce sont les micro-organismes de la rhizosphère qui dégradent les composés organiques. Il arrive que les produits issus de la dégradation, qui peuvent ou non être accumulés par le végétal, soient plus dangereux que le polluant d’origine, auquel cas l’opération perd tout son intérêt. La biomasse produite peut contenir le polluant (tiges, feuilles) et doit être traitée de façon adéquate, ce qui revient souvent à récolter les végétaux pour les incinérer. La phytoremédiation peut utiliser cinq catégories de procédés pour dépolluer un sol contaminé. Ces procédés ont fait l’objet d’études approfondies par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie et par d’autres pôles de compétitivité que Trimatec.
Que pensez-vous de la visibilité actuelle dans ce domaine ?
Cependant, il faut noter que les connaissances et la visibilité dans ce domaine sont limitées. En effet, une grande partie de cette biodiversité reste encore à explorer, du fait de sa richesse incommensurable. L’un des enjeux majeurs de demain sera donc de trouver « une bonne espèce de micro-algues », mais ce n’est pas le rôle de Trimatec, mais plutôt celui des centres de recherche, qu’ils soient industriels ou étatiques. Il est d’autant plus difficile d’avoir de la visibilité sur le sujet que beaucoup de domaines différents entrent en jeu, et du fait que la valorisation des micro-algues fait appel à des compétences très différentes, il est difficile de centraliser ces connaissances.