Cours "Description de Controverses" de MINES ParisTech
(old)Les causes de l’électrohypersensibilité
Les causes qui pourraient mener à une électrohypersensibilité sont multiples, et c’est en parcourant toute la littérature scientifique sur le sujet que vous pourrez voir les études qui tentent de les dévoiler.
L’appellation « électrohypersensibilité » laisse sous-entendre un lien entre une exposition aux ondes électromagnétiques et l’apparition de symptômes. Mais scientifiques et médecins sont sceptiques et nombres d’études biologiques et épidémiologiques n’aboutissent à aucun résultat. Alors qu’en est-il exactement ? L’ensemble des communautés scientifique et médicale est divisé sur la question des causes de ces troubles. Deux hypothèses majeures s’opposent : celle d’une explication physiologique de l’EHS i.e. les champs électromagnétiques auraient un effet physique sur l’organisme. L’autre hypothèse invoque des facteurs psychologiques pour expliquer la multiplicité des troubles ressentis. Au sein même de ces deux grandes lignes, des sous-hypothèses apparaissent. S’agissant d’un sujet controversé, il est évident qu’aucune théorie n’a pu être acceptée ou rejetée de manière consensuelle. Certains évoquent des causes multiples faisant intervenir les facteurs physiologiques et psychologiques. D’autres études adaptées aux nouveaux critères de définition de l’EHS doivent être menées afin de mettre à jour les données.
Répartition des thèmes abordés dans les publications (sur la base de données SCOPUS)
Analyse du graphique : Comme attendu, les grands champs de recherche concernés sont: la Médecine(43%), les sciences environnementales (11%) et la biochimie (10%). Mais quelle importance ont-ils dans ces ensembles? Sont-ils reconnus? Nous savons déjà que les articles portant sur l’EHS sont soupçonnés d’amateurisme. Nous pouvons à nouveau nous en convaincre en s’intéressant aux indices H, donnés par Scopus, sur un ensemble de documents. Pour la recherche «electromagnetic AND hypersensitivity», l’indice H est de 28 alors qu’il est de 67 pour «electromagnetic AND cancer». Rappelons que l’indice H donne une idée du nombre de citations qu’obtiendra un article portant sur ce domaine.
La première hypothèse à étudier est celle des causes environnementales c’est-à-dire l’idée selon laquelle l’électrohypersensibilité serait due à une surexposition aux ondes ou à des produits chimiques qui modifieraient l’organisme en le rendant sensible aux ondes. Mais comment ? Quels sont les facteurs qui interviennent dans l’expression des symptômes ? Dans la suite, nous tenterons de faire s’opposer les deux points de vue : les partisans de l’hypothèse psychologiques, et ceux de l’hypothèse environnementale.
Hypothèse psychologique
Hypothèse environnementale
Pour les électrohypersensibles, il est clair que leurs troubles sont d’origine environnementale : la surexposition aux ondes électromagnétiques qui nous entourent.
Les propriétés d’un champ électromagnétique (CEM) dépendent principalement de sa fréquence. En particulier, l’énergie qu’il véhicule en est proportionnelle. Au delà d’une certaine fréquence (1018 Hz), l’énergie devient suffisante pour ioniser les atomes. Cette ionisation est capable d’endommager les brins d’ADN intracellulaire et créer des cancers. Les ondes que nous côtoyons tous les jours (antennes de radio, antennes téléphoniques, WiFi etc.) sont de l’ordre du Gigahertz (109 Hz) donc ne présentent pas d’effet ionisant. L’effet thermique observé ne permet pas à lui seul d’expliquer les symptômes perçus par les électro hypersensibles.
Peu d’études portant sur la comparaison de données biologiques entre personnes électrosensibles et personnes témoins ont été menées. Parmi elles, des mesures d’hormones du stress dans le sang ont été effectuées lors d’une étude menée en double-aveugle
Démarche expérimentale utilisée en recherche médicale ou pharmaceutique : il s’agit de réduire l’influence de la subjectivité des patients. Pour étudier le lien de causalité entre ondes électromagnétiques et symptômes d’EHS, on soumet aléatoirement des patients à une exposition réelle ou factice sans qu’ils le sachent ni ceux qui les interrogent. Si ces derniers sont au courant, on appelle cela une étude en simple aveugle.
mais n’ont pas été concluantes. Deux scientifiques, O. Jonhansson et S. Gangi ont élaboré une théorie invoquant une infiltration des mastocytes et la libération d’histamine dans la peau [1]. Cette théorie, fondée sur des expériences montrant une concentration anormalement élevée en mastocytes au niveau de la peau chez des sujets électrosensibles.
dans un de ses articles [2], particulièrement sur la méthodologie employée : “Now, O. Johansson continues to strongly uphold his theory in a series of review articles in which he gathers a lot of data and articles non-related to the question, but without supplying new original data and without discussing and even quoting the works of Berg et al. and Lonne-Rahm et al. . Due to his intense activity with the self-help groups, the question arises of undertaking a replication study to clear up unquestionably the problem.” Il souligne la nécessité d’effectuer des études de réplication.
Dans cet article, Marc-Vergnes recense plusieurs études portant sur l’analyse des réponses du système nerveux à une sollicitation électromagnétique. Un premier type d’étude consiste à appliquer un faible courant électrique sur l’avant-bras d’une personne et d’en augmenter linéairement l’intensité jusqu’à ce que le courant soit perçu. La comparaison du seuil de sensibilité entre différents groupes de personnes illustre des différences entre des groupes d’hypersensibles et des personnes témoins. D’autres études répliquées reposent sur la stimulation magnétique trans-crânienne c’est-à-dire la capacité d’un fort champ magnétique (1-2 Tesla) statique à induire un courant électrique dans les tissus cérébraux. Lorsqu’il est appliqué au cortex préfrontal, il peut engendrer un réflexe moteur.
Appliqué en aveugle, les résultats de l’étude ont montré que électrosensibles on non, les personnes détectent de manière similaire le stimulus magnétique et présentent le réflexe. En revanche, les électrosensibles présentent un taux de « fausse alarme » plus important dans les conditions factices : des mesures d’excitabilité corticale ont montré qu’elle était légèrement différente chez les EHS. Enfin, l’étude d’électrocardiogrammes et d’images par résonnance magnétique du cerveau montrent de légères anomalies du système nerveux chez les électrohypersensibles : « In summary, transcranial magnetic stimulation, spectral analysis of ECG recordings, and functional brain MRI have recently provided a body of data supporting the hypothesis that EHS subjects suffer from slight functional abnormalities of the nervous systems. This opens new prospects of investigation which deserve to be further studied by means of concerted programs involving clinically well-characterized EHS subjects, but also other methods of functional investigation.”
Dans l’optique de la continuité de la recherche, le docteur Marc-Vergnes dirige actuellement une étude de trois ans à l’Inserm-Université de Toulouse en partant de l’hypothèse d’un dysfonctionnement sensitif central ou périphérique chez les électrosensibles. « À Toulouse, nous allons tester si les électrosensibles présentent également une hypersensibilité au niveau de leur cerveau, notamment des aires corticales, au moment où on les soumet à l’action d’un champ électromagnétique ».
Les multiples hypothèses selon lesquelles il y aurait une réelle cause physique à l’électrohypersensibilité doivent donc être creusées et vérifiées par des études nouvelles et répliquées. Car cette hypothèse souffre des résultats d’un bon nombre d’études par provocation menées en double-aveugle qui montrent que les personnes affirmant être électrohypersensibles ne sont pas capables de détecter le présence d’un champ électromagnétique, pas plus que n’importe qui. Min Kyung Kwon affirme en conclusion de son étude [3] « In conclusion, there is no indication that EHS subjects perceive EMFs emitted from WCDMA mobile phones better than non-EHS subjects. » L’OMS statue également: « la majorité de ces études indique que les individus se plaignant d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques sont incapables de détecter plus précisément une exposition à des CEM que des individus ordinaires. Des études bien contrôlées et menées en double-aveugle ont montré que ces symptômes n’étaient pas corrélés avec l’exposition aux CEM. »
Dès lors, de nombreuses autres hypothèses sont émises en particulier celle selon laquelle l’électrohypersensibilité aurait une origine psychologique. Loin de considérer tous les électrosensibles comme des fous illuminés qui vont se cacher dans des grottes [4], « il existe aussi certains éléments indiquant que ces symptômes peuvent être dus à des maladies psychiatriques préexistantes, ainsi qu’à des réactions de stress résultant de la crainte inspirée par les éventuels effets sur la santé des CEM, plutôt que de l’exposition aux CEM elle- même» selon l’OMS. Yannick Barthe, sociologue au CNRS que nous avons rencontré nous a expliqué qu’une des principales hypothèses est que l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques serait une nouvelle expression d’une maladie psychosomatique. Ces manifestations seraient alors la traduction d’un mal-être social plus large dont les nouvelles technologies constituent aujourd’hui le principal bouc émissaire. Il est par exemple tout à fait possible que les troubles subis et attribués aux ondes électromagnétiques par les personnes électrohypersensibles soient en fait les symptômes d’une autre maladie.
Pour le professeur Choudat qui dirige actuellement une étude à l’hôpital Cochin, l’idée d’une exposition envahissante des ondes peut provoquer des angoisses et entrainer une attitude d’éviction voire un changement de comportement. S’appuyant sur les conclusions de l’OMS et sur celles du rapport de l’AFSSET (ancien Anses) cette étude ne suppose pas de lien de causalité entre les ondes électromagnétiques et les symptômes. Les patients se voient tout de même remettre un dosimètre portatif pour mesurer leur exposition.
Dans son article, le docteur Marc-Vergnes tire les conclusions des études par provocation. Elles mettent en évidence l’effet nocebo, pendant de l’effet placebo : de nombreux patients ressentent les symptômes alors qu’il n’y a pas de réelle exposition. La peur de la douleur provoque la douleur en quelque sorte. “On the basis of 46 blind or double-blind provocation studies involving 1175 EHS subjects, the authors state that no robust evidence could be found to support the hypothesis that exposure to EMF is responsible for triggering symptoms in these subjects. Again, they underline the role of the nocebo effect in triggering acute symptoms in EHS sufferers.”
Pour les électrosensibles, cette explication psychologique n’est pas acceptable. Ils ont l’impression d’être déconsidérés, pris pour des fous et suspectent que ce discrédit soit organisé par le lobby des télécommunications pour assurer leurs bénéfices. Par exemple, l’étude Cochin-Choudat est boycottée [5] par plusieurs associations d’électrohypersensibles qui dénoncent un parti pris du professeur et le fait qu’il ait été choisi par le gouvernement pour mener cette étude.
Dans tous les cas, c’est aussi cette controverse qui suscite l’intérêt du public.
Intérêt du public pour l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques
Ce graphe est extrait de notre annexe : Y a-t-il corrélation entre les pics d’EHS déclarés et la sortie de nouvelles technologies de communication (apparition du Wifi, de la 3G…)?, qui corroborerait l’hypothèse du « mal du siècle ».
Enfin certains scientifiques tentent de dépasser cette opposition entre cause environnementale et cause psychologique en montrant qu’il y a en fait un lien entre les deux. C’est en particulier le cas de Marc-Vergnes qui conclut son article en expliquant que les problèmes psychologiques rencontrés chez certains électrohypersensibles sont en accord avec les observations d’anomalies du système nerveux : “In summary, here again, recent well-designed studies, mainly based on quantitative assessment of the functional symptoms, provides a set of convergent findings which suggests that EHS subjects suffer from psychic, and infrequently psychiatric, abnormalities. These are consistent with the above discussed results of the functional tests. This upholds the hypothesis that neuropsychic factors are involved in triggering and/or influencing EHS, but without excluding an influence of other factors, such as biochemical and/or biophysical ones.” D’autres [5] n’excluent pas l’intervention d’autres facteurs dans un processus plus complexe: “Although a possible effect of exposure cannot yet be ruled out because of methodological obstacles in research primarily regarding exposure assessment and study design , more recent approaches stress the importance of looking into the interaction of environmental, biological, psychological and social pathways.”
Enfin l’hypothèse la plus novatrice, celle qui révolutionnerait la médecine environnementale, avance que l’électrohypersensibilité entre dans le cadre plus général des phénomènes d’hypersensibilité à d’autres expositions comme les produits chimiques et qui, s’il est prouvé que certaines personnes peuvent être plus sensibles que d’autres à certains produits, remettrait alors en cause toute la régulation actuelle.
L’origine profonde de l’EHS (psychologique ou physique) est donc encore elle-même controversée, et les causes de la maladie ne sont pas du tout certaines à l’heure actuelle. Néanmoins, plusieurs tentatives de traitements et des moyens de préventions existent.
[1] S. Gangi, O. Johansson, A theoretical model based upon mast cells and histamine to explain the recently proclaimed sensitivity to electric and/or magnetic fields in humans, Med. Hypotheses 54 (2000) 663–671. O. Johansson, et al., Skin changes in patients claiming to suffer from “screen dermatitis”: a two-case open-field provocation study, Exp. Dermatol. 3 (1994) 234–238.
O. Johansson, P.Y. Liu, “Electrosensitivity”, “electrosupersensibility” and “screen dermatitis”: preliminary observations from on-going studies, in: D. Simunic (Ed.), Proceedings of the COST 244: Biomedical Effects of Electromagnetic Fields, Workshop on Electromagnetic Hypersensibility, Brussels/Graz EU/EC, DG XIII, pp. 52–57.
[2] Electromagnetic hypersensitivity: The opinion of an observer neurologist, Comptes Rendus Physique Volume 11, Issue 9-10, November 2010, Pages 564-575
[3] Min Kyung Kwon & al ; EHS subjects do not perceive RF EMF emitted from smart phones better than non-EHS subjects ; 34th Annual International Conference of the IEEE EMBS ; 2012
[4] s.n., «Elles fuient les ondes dans une grotte du Vercors», L’Humanité, 2/01/2012
[6] Idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (IEI-EMF): A systematic review of identifying criteria Christos Baliatsas1,2*, Irene Van Kamp2, Erik Lebret1,2 and G James Rubin3, BMC PUBLIC HEALTH Volume: 12