Nous avons eu le privilège lors de nos recherches sur la cigarette électronique d’interviewer le Professeur Dautzenberg, praticien dans le service de pneumologie de l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris et président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT). Il enseigne la pneumologie, en particulier la tuberculose et la tabacologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie.
Il est l’auteur de plusieurs livres sur le tabagisme et a coordonné un rapport sur la cigarette électronique pour le gouvernement français, qui a été publié en mai 2013.
Bonjour Professeur. Pouvez vous nous raconter les débuts de la cigarette électronique ?
La cigarette électronique est arrivée vers 2006 en France. Elle a été inventé par un entrepreneur Chinois du nom de Hon Lik en 2005. C’est un produit qui, de manière assez surprenante, a été développé non pas par des laboratoires de recherches mais pas des individus bricoleurs.
Pourquoi le développement de ce produit assez simple a été si tardif ?
En réalité, déjà dans les années 80, les compagnies du tabac ont essayé de fabriquer un produit moins dangereux. Il était temps au vu des 100millions de morts qui sont dus à la cigarette. Normalement, à partir de 50millions de morts, le produit doit être retiré du marché, voir même après un mort! Là, elle est toujours sur le marché parce que l’Etat touche des taxes. Les compagnies ont donc essayé de mettre en place des cigarettes à moindre combustion. Mais les consommateurs qui ont essayé n’ont pas aimé et ont arrêté. Cette stratégie, toutes les compagnies l’ont eu. Mais au bout de 10 ans d’échec et de milliards investis, les firmes abandonnent. Actuellement, elles sont perdues face au développement de la cigarette électronique car elles ne sont pas à l’origine du produit. Elles ont toutes mis un an à racheter quelque chose alors qu’elles rigolaient sur les débuts de la cigarette électronique. Et au début, elles ne savaient pas si elles rachetaient pour couler ou pour soutenir. D’abord, c’était pour les couler, puis, en voyant l’avis des consommateurs, elles ont compris qu’elles se plantaient. Désormais, c’est la course. C’est une situation nouvelle pour la compagnie de tabac qui n’a aucune expertise en interne. Ils ne savent pas analyser rapidement l’arrivée d’un nouveau produit.
Est-ce que les compagnies du tabac refont leur retard?
Les compagnies commencent à refaire leur retard et essayent maintenant d’attirer de nouveaux clients avec la cigarette électronique. On revient dans le standard des compagnies de tabac : on veut étendre le marché. Dans leurs études, elles prévoient que les fumeurs qui passent à l’e-cigarette resteront à vie à l’e-cigarette et je ferai tout pour que ça ne se passe pas comme ça.
Quels sont les bénéfices que peuvent tirer les multinationales du tabac de la cigarette électronique?
Du point de vue du chiffre d’affaire, en continuant à ce rythme, les compagnies du tabac vont gagner plus d’argent sur la e-cigarette que sur la cigarette classique à partir de 2017. Parce que même si la marge sur le tabac est bonne, elle est colossale pour la cigarette électronique. Il y a d’ailleurs un espèce d’accord même des médecins comme moi pour dire que la e-cigarette, il faut que ça soit ni trop cher, ni gratuit. Il faut que ça reste un produit pour lequel on réfléchit 5 minutes avant de l’acheter surtout pour les mineurs.
Quelle est la différence de prix entre une cigarette électronique et une cigarette classique ?
Ça ne coute rien, ça coute ¼ du prix du tabac. Mais quand on achète du tabac, on achète 82% de taxe. D’ailleurs ces taxes reviennent beaucoup aux buralistes (plus que dans les autres pays).
Quel est la part de marché de l’e-cigarette et quelles sont les tendances d’évolution ?
En réalité, il n’y a pas de chiffres récents. Un chiffre un peu sérieux est celui de l’euro-baromètre publié en mai 2012 : 0,5M de vapoteurs réguliers et 3M ayant essayé. Une étude de ClopiNette, sondage sur 1000 personnes, estiment désormais à 10M le nombre de gens qui ont essayé. En gros, on retient que le nombre double tous les ans.
Pour les boutiques, la première boutique date de 99, 100 boutiques au début 2013, 1500 boutiques fin 2013. En sachant que ces boutiques vont se planter… Car au début, certes on va dans la boutique, on reste une heure, on discute, on choisit son truc on revient 2/3 fois mais une fois qu’on sait faire… C’est comme les boutiques de téléphonie.
Le marché va augmenter c’est sûr mais la nécessité d’avoir autant de boutiques va diminuer. Par contre celui qui a le plus de boutiques aura peut-être la plus grosse part de marché.
Qui sont les fabricants de cigarettes électroniques ?
En France, il y a 2 gros fabricants d’e-liquides dont j’ai oublié le nom. Et ces fabricants vendent pour toutes les marques. C’est juste l’étiquette qui change.
Les cigarettes, elles, sont presque toutes fabriquées en Chine. Les liquides en France. Ceux sont les liquides les plus dangereux donc ça n’est pas une mauvaise chose.
Quelle et la réglementation et quelles sont les normes qui entourent la cigarette électronique ?
Le CACE travaille sur une norme, l’AFNOR va s’y mettre aussi. Je suis fanatique des normes et si on arrive à faire une norme très vite, les règles vont nous laisser tomber, sinon il y aura des règles et les règles le problème c’est que les réglementations, elles mettent toujours 2 ans à venir et elles arrivent en retard.
Mais le produit s’est déjà amélioré d’une façon colossale et ce, sans aucune loi. Car quand les consommateurs n’apprécient pas un produit, ils le disent et le lendemain, c’est fini. Pour les bouchons qui se vissent par exemple, c’est l’AIDUCE qui a imposé au marchand de mettre ça pour les enfants. Tous les bouchons sont sécurité enfant désormais. C’est citoyen.
Sur quoi vont porter les nouvelles normes?
Elles vont porter sur la composition (car actuellement on est susceptible de trouver des traces de métaux qui peuvent provenir de l’usure des matériaux qui servent à mélanger les e-liquides), sur la sécurité bactériologique, sur les méthodes de fabrication. On arrive pour la composition à un niveau de précision pharmaceutique. La cigarette électronique rentre dans le cadre de la directive REACH (le fabricant doit se conformer à cette directive européenne qui impose de déclarer ce qu’ils font et d’en prendre la responsabilité). C’est vraiment la meilleure solution car les Etats sont nuls, il n’y a plus un ministre qui a les couilles et qui déciderait de dire non.
Qu’est-ce que ces normes, des normes publics, privés ?
Soit l’Etat impose la composition des liquides et en 2018 on y arrivera, mais ça sera trop tard et on sera à côté de la plaque. C’est ce qu’a fait un peu l’Europe avec sa directive tabac où elle a pris la directive qui a été votée par le parlement en 2013 et qui sera appliquée en 2017, c’est complétement n’importe quoi. Il faut juste mettre des grands principes quand on vote à plein.
La norme privée, c’est le fabricant qui dit je fais une norme et moi fabricant je dis que je respecte la norme et si ce n’est pas vrai, vous pouvez venir me casser la gueule.
Il y a le choix soit d’une norme privée, c’est ce qu’ils sont en train de faire pour l’instant qui est une norme faite par le groupe de fabricants.
Et il y a l’AFNOR qui faisait avant les normes françaises mais désormais elle ne fait plus que préparer des normes au niveau européen (CEN), l’AFNOR réunit un groupe pour préparer une norme mais dans l’esprit de déposer cette norme au CEN. Il existe aussi des normes au niveau mondial (ISO)
L’avantage des normes c’est que ça peut changer de façon rapide.
Quand est-il du débat sur la dangerosité de la cigarette électronique?
Alors ça c’est le débat qui est sur le marché mais qui est complètement à côté de la plaque : il n’a aucun intérêt.
La cigarette électronique sera toujours un tout petit peu dangereuse. Elle restera toxique et peut potentiellement créer la dépendance. Mais on est au microscope; ce n’est vraiment pas le problème. Le débat actuellement c’est donc de dire qu’il faut faire attention à un produit un peu toxique qui pourrait pourtant sauver les millions de morts dus à la cigarette. On peut affirmer absolument que l’e-cigarette est 100 000 fois moins dangereuse que la cigarette. Alors peut-être qu’une personne sur 10 000 ou 1million va mourir de l’e-cigarette, c’est possible mais le tabac c’est 1 sur 2 !
Par contre pour le non-fumeur, ce produit est toxique, il ne faut pas qu’il le prenne. Le grand danger de l’e-cigarette c’est que ça soit un produit d’entrée en tabac et non un produit de sortie et un produit de renormalisation du tabac. Ça c’est les 2 grands enjeux réels de l’e-cigarette alors qu’au niveau européen depuis un an, ils se chiffonnent sur des trucs de toxicité qui étaient vrais en 2010 mais qui ne le sont plus maintenant. Bon, il y a toujours des petites choses à régler mais on est vraiment dans le détail pour essayer de faire mieux.
Y-a-t-il un consensus des experts autour de la dangerosité de l’e-cigarette ?
De nombreuses personnes se sont penchées sur la question de l’e-cigarette. Mais le véritable problème aujourd’hui est le fait que les gens qui se réclament experts se réfèrent encore à des études d’il y a plus de deux ans, où la cigarette électronique était bien plus dangereuse que maintenant. Le fait que le marché ait évolué aussi vite a fait que de nombreuses personnes s’étant intéressées à l’e-cigarette possèdent en réalité une connaissance de l’e-cigarette qui n’est pas « à jour ». En médecine par exemple, les élèves étudient l’impact de l’e-cigarette sur les patients avec des études et des rapports datant d’il y a plus d’un an. Les seules personnes qui peuvent réellement se réclamer expert sur ce sujet sont les gens qui ont vu eux-mêmes les fumeurs et les vapoteurs. Je suis un grand expert de l’e-cigarette précisément parce que j’ai vu et étudié des fumeurs et des vapoteurs, et je vois l’impact des deux sur leur santé. Ce manque d’expertise est lié à la durée de publication d’une étude ou d’un rapport sur le sujet, qui prend de une à deux années. C’est pour cette raison que nous avons essayé de rédiger notre rapport (de l’OFT) en un minimum de temps possible. Nous avons commencé en rédigeant en décembre et nous avons terminé en mai, et grâce à ce court délai de publication, lorsque nous sommes arrivés à Bruxelles pour discuter de la législation en cours sur l’e-cigarette, chaque acteur avait une copie de notre rapport avec lui.
Quelle définition le Parlement Européen a-t-il adopté pour l’e-cigarette ?
Nous avons réussi à convaincre Marisol Touraine, la ministre de la Santé, de définir la cigarette électronique comme un produit de consommation courante un peu spécial, qui pourrait être défini comme un médicament avec certaines dosimétries particulières. Ce qui est intéressant, c’est que notre position, défendue par Marisol Touraine au Parlement Européen, a été adoptée avec les voix des élus de droite de l’assemblée, tandis que les élus socialistes ont voté contre notre proposition, défendue par une ministre de leur camp !
Qu’en est-il de la réglementation autour de l’e-cigarette ? L’Etat doit-il réglementer à tout prix le marché de l’e-cigarette ?
Il est certain que comme tout produit de consommation contenant des substances nocives, il est normal que l’e-cigarette soit soumise à un certain nombre de règles. Certains experts comme Jean-Michel Efther, un collègue suisse avec lequel j’ai travaillé, sont persuadés qu’il ne faut pas légiférer au sujet de l’e-cigarette, et que sa consommation est un choix strictement personnel. Cependant, on a constaté que dès que la ministre de la Santé avait annoncé au micro d’une radio qu’elle avait commandé un rapport sur l’e-cigarette en vue éventuellement de légiférer sur son statut, les ventes d’e-cigarettes se sont envolées de 40%. De même, lorsque notre rapport est effectivement sortie et mis à disposition de tous, les ventes de cigarettes électroniques ont triplé, ce qui montre bien que la présence de règles dans ce marché de l’e-cigarettes rassure les gens, et a contribué au développement de l’e-cigarette. Je me fiche du marché de l’e-cigarette, la seule chose qui m’importe, c’est la santé des gens et donc de réduire le marché de la cigarette. Cette année, le marché de la cigarette a diminué de 8%, sans hausse notable en parallèle de la consommation de patchs ou de produits alternatifs, ce qui montre l’efficacité de l’e-cigarette pour lutter contre le marché de la cigarette traditionnelle.
Pensez-vous que les lobbies de Bruxelles aient joué un véritable rôle dans la définition du statut juridique de la cigarette électronique ?
Il y avait en effet beaucoup de lobbies qui étaient venus à Bruxelles pour ce sujet, il devait y avoir environ 250 lobbyistes à temps plein simplement pour influer sur le statut que le parlement devait octroyer à la cigarette électronique. Mais notre avis a pris le dessus sur leurs intérêts et c’est notre jugement qui a finalement été retenu. Il est possible que le fait qu’il y avait autant de lobbyistes pour ce débat a agacé les parlementaires, et les a poussés à retenir notre avis plutôt que le leur.
Y a-t-il d’autres textes que votre rapport qui constituent de vraies références sur le sujet de la cigarette électronique ?
Notre rapport étant très complet, c’est le texte qui a été retenu comme référence dans l’essentiel des débats auxquels j’ai assisté à ce sujet.
Qu’en est-il de l’impact de l’arôme sur les fumeurs ? Connaît-on les véritables effets des arômes sur la santé ?
On ne sait pas grand-chose de l’impact des arômes inhalés sur la santé. En revanche, ce que l’on sait, c’est qu’ils jouent un rôle capital dans l’« adoption » du produit par les fumeurs. La seule chose qui reste dans l’inconscient du fumeur, c’est la première impression de l’e-cigarette, celle de la bouffée inhalée qui traverse la gorge. C’est d’ailleurs pour cela qu’une grande partie des études des vendeurs autour de l’e-cigarette porte sur cette première impression et le ressenti du fumeur lors de l’inhalation de la première bouffée d’e-cigarette. J’ai d’ailleurs assisté à plusieurs scènes ou des fumeurs, confrontés pour la première fois à l’e-cigarette, l’ont immédiatement adoptée, simplement car ils en avaient eu une première impression positive.
Qu’en est-il alors de l’esthétique de la cigarette électronique ? Doit-elle imiter celle de la cigarette traditionnelle afin de donner l’impression au fumeur de retrouver un plaisir « habituel » ?
En effet, on a vu de nombreux modèles dans les magasins de cigarettes électroniques qui tentaient d’imiter la cigarette traditionnelle, par exemple le modèle avec la petite lumière rouge qui s’allumait lorsque l’on inhalait de la fumée. Cependant ces modèles sont largement en voie de disparition tout d’abord pour des raisons pratiques (la petite lumière consomme beaucoup de batterie) mais surtout car les consommateurs, contrairement à ce qu’auraient pu penser les vendeurs de cigarettes électroniques au départ, cherchent un produit qui remplit la même fonction que la cigarette, tout en rappelant le moins possible la cigarette traditionnelle. C’est d’ailleurs pour cela qu’on emploie de plus en plus le terme de « vapoteur » et non de fumeur, car les gens cherchent à s’éloigner de tout ce qui a trait à la cigarette traditionnelle.
Qui doit être autorisé à vendre l’e-cigarette selon vous ?
Ceux qui le veulent doivent pouvoir la vendre.
Mais faire une vraie distinction entre la cigarette électronique et la cigarette traditionnelle ne risque-t-il pas de « désinhiber » les consommateurs et doper la consommation d’e-cigarettes ?
En effet, il existe un problème autour de l’expérimentation de l’e-cigarette, et je n’ai pas d’avis tranché la dessus, pour la bonne raison qu’il reste de nombreuses zones d’ombres, où l’on manque de données tout simplement parce que le problème est très récent. D’autre part, les chiffres de l’expérimentation de l’e-cigarette sont à bien distinguer avec ceux de la cigarette. Il est aujourd’hui estimé qu’un quart à un tiers des personnes ayant essayé l’e-cigarette l’on adoptée. Ces chiffres contrastent avec ceux de la cigarette traditionnelle : sur la population parisienne, environ une personne sur deux ayant essayé l’e-cigarette en consomme régulièrement. Mais on ne bénéficie pas encore d’études permettant le suivi des nouveaux consommateurs de cigarettes électroniques (à l’inverse du snus en suède par exemple), d’où les zones d’ombres restantes, qui m’empêchent d’avoir un avis tranché sur la question.
Est-ce que la cigarette électronique peut être considérée comme un moyen d’arrêter de fumer ? A-t-on des chiffres qui nous permettent de répondre clairement à cette question ?
Certaines études ont déjà été menées pour voir si la cigarette électronique facilitait le sevrage tabagique. Selon ces études, la cigarette électronique est à peine plus efficace que le patch de nicotine, ce qui traduit un impact assez faible sur le sevrage tabagique. Cependant, je pense que ces études n’ont pas été menées dans de bonnes conditions : les e-cigarettes étaient de mauvaise qualité, on les envoyait par la poste, et les « cobayes » étaient assez peu suivis. Cela dépend également à quel type de population on s’intéresse. Si l’on considère les quelques 10% de fumeurs qui cherchent à arrêter chaque année, il est préférable qu’ils suivent le traitement classique pour arrêter de fumer. Cependant, pour les 90% de fumeurs restants qui n’ont aucune intention d’arrêter, la cigarette électronique est un miracle!
Brice Lepoutre m’a d’ailleurs raconté qu’il était au début le seul à aller vapoter et qu’il a maintenant convaincu 10 de ses collègues à arrêter de fumer. On voit d’ailleurs dans la rue de plus en plus de vapoteurs.
Qu’en est-il de l’interdiction de la cigarette électronique dans les lieux publics ?
Je suis pour son interdiction dans les lieux publics car cela reste une incitation au tabagisme. Aujourd’hui, un patron de restaurant qui place un cendrier, même vide, sur une table, peut être condamné pour incitation au tabagisme. Cela va de même pour l’e-cigarette : lorsque vous êtes dans une salle avec 4 personnes qui vapotent, c’est une incitation. Que des profs, ou des présentateurs télé se mettent à vapoter dans leurs lieux de travail, c’est remettre l’image du tabac dans la société, ce n’est pas terrible.
Pour ce qui est du risque de vapotage passif, on en sait peu : s’il existe, il est bien moindre que le tabagisme passif. Cependant, si je vapote à côté de vous, vous pouvez retrouver des traces, faibles, de nicotine dans votre sang ce qui est toujours gênant…
D’autre part, la nicotine peut aussi s’imprégner dans la moquette et se transformer en deux jours en nitrosamine qui est un cancérigène et qui peut être dangereux par exemple pour les enfants en bas âge qui joueraient dessus : on appelle cela du tabagisme de troisième main.
Cela dit, ce phénomène n’a pas été prouvé dans le cas de la cigarette électronique.
Les premiers à avoir interdit leurs utilisations sont les compagnies aériennes, pour éviter tout litige entre les passagers concernant la règlementation. La SNCF et la RATP ont suivi le mouvement. Cependant leur utilisation n’est pas encore formellement interdite dans les écoles et les hôpitaux, ce qui devrait changer sous peu sous l’impulsion de la ministre de la santé avec la loi de la santé publique qui devrait être passée en 2014.
Est-ce qu’il y aura dans ce texte quelque chose sur la publicité pour la cigarette électronique ?
La publicité, c’est autre chose, la publicité est mentionnée dans la directive européenne sur les produits du tabac, dans l’article 18. C’est un très long paragraphe qui est consacré à la publicité et qui reprend ligne par ligne l’interdiction de la publicité pour le tabac. J’ai demandé à la commission le pourquoi de ce texte : il s’agit de rassurer sur le plan juridique, car il vaut mieux réécrire le texte spécifiquement à la cigarette électronique et ne pas renvoyer au paragraphe concernant le tabac, car un avocat pourrait alors dire qu’il ne s’agit pas de la même chose et exploiter cette faille. Pour l’instant le texte n’est pas voté et le sera en mars ou avril (2014) : s’il l’est, le texte arrivera au niveau des états, qui auront un an et demi pour l’appliquer. Mais normalement, d’ici 2 ans, le gouvernement français devrait voter l’interdiction de la publicité.
On sent quand même un gros marketing autour de la cigarette électronique…
On voit de tout : publicité sur les emballages des baguettes de pain, publicités télévisuelles. Le CSA n’a pas voulu me répondre quant à leur position sur le sujet.
De votre côté, êtes-vous plutôt en faveur, plutôt contre ?
A mon avis, il faut l’interdire, un point c’est tout. Il n’y a même plus besoin de publicité sur la cigarette électronique : il n’y a pas besoin de dire que ça existe, c’est dans le journal tous les jours! Au début, en février 2012, dans l’enquête que nous avons réalisée dans les écoles, 20% des élèves n’ont pas répondu au questionnaire sur la cigarette électronique, c’est-à-dire qu’ils ne savaient pas ce que c’était. La deuxième année, c’était 3% : tous savent ce que c’est maintenant. Il est bien que les acheteurs puissent trouver les informations dont ils ont besoin dans les points de vente, mais la publicité ne sert plus à rien.
Est-ce qu’il est important d’informer plus les consommateurs, car certains pensent encore que c’est vraiment de la vapeur d’eau qu’ils inhalent lorsqu’ils testent la cigarette électronique, il y a très peu d’information sur les sites des fabricants et l’information n’est pas toujours claire en magasin…
Je suis pour l’interdiction de la pub sur les sites des fabricants. L’information dans les magasins est en revanche bien meilleure que dans les bureaux de tabac, et c’est pourquoi les buralistes ne savent pas vendre de cigarettes électroniques. On pensait d’ailleurs effectuer des formations pour les vendeurs mais notre statut prévient les conflits d’intérêt.
Si le développement de l’e-cigarette continue et concurrence le marché du tabac, quel impact sur l’économie et sur les recettes de l’Etat ?
En réalité, le marché du tabac ruine l’Etat : il rapporte 15 milliards d’euros de taxes, mais coûte 45 milliards, et les recettes ne suffisent pas à rembourser la sécu pour les maladies chroniques liées au tabac. Le tabac est une aberration économique, et il suffit de regarder le rapport de la cour des comptes pour le voir.
Est-ce qu’il y aura des taxations sur la cigarette électronique ?
Les italiens ont déjà voté une loi de ce type. Il est difficile de taxer un produit qui n’est pas référencé comme un produit du tabac. Mais du moment que la taxe de l’Etat ne double pas le prix de la cigarette électronique, les fabricants, les vendeurs et les consommateurs l’accepteront. Pour l’instant, ils se font beaucoup d’argent : un flacon de liquide coûte 10 fois plus cher au consommateur que le prix auquel le vendeur l’a acheté, c’est comme les shampoings L’OREAL…
La composition des e-liquides est-elle toujours la même pour toutes les e-cigarettes ?
Il y a toujours du glycérol et du propylène glycol : le premier génère la fumée tandis que le deuxième est présent pour les arômes. Le facteur variant est le rapport des deux : on va de 80%-20% à 60%-40%. On peut donc choisir son liquide pour être discret en fumant au bureau et faire peu de fumée ou au contraire pour emmerder les autres ! Les liquides se distinguent aussi par la présence ou non d’alcool : on peut trouver jusqu’à 4% d’alcool mais cela est négligeable lorsque vous en prenez 2 mL par jour… Ce serait comme prendre une demi-cuillère à café de bière tous les jours. Le problème peut survenir pour les personnes avec un problème d’alcoolisme : la quantité est négligeable mais il faudrait la présence d’une étiquette sur le flacon pour le préciser. Enfin, reste la question des arômes alimentaires. Ils ne sont théoriquement pas nocifs, mais pour l’inhalation on connait mal les dangers et, comme je le dis souvent : « C’est comme la soupe, c’est bon à manger mais c’est moins bon dans les poumons ! ». Les arômes sont testés pour être mangés dans la plupart des cas, non pour être inhalés. Le problème est que les étiquettes sur les flacons doivent rester lisibles. Il y a aussi le problème de l’apparence des flacons, qui ressemblent trop à ceux de collyre et peuvent tromper les enfants…
Quel est la situation en France aujourd’hui?
En France, la ministre de la santé a bien défendu ses idées sur le plan européen tandis que « les verts » n’ont pas réussi, tout comme le CSA. La plupart de mes collègues, des médecins, n’en savaient pas beaucoup à propos de la cigarette électronique mais commencent à se rendre compte de son impact : presque tous me disent qu’ils ont reçu un patient leur disant qu’il a arrêté de fumer du jour au lendemain grâce à ce produit. Cela ne marche pas dans tous les cas mais il faut dire que c’est possible.
Dans un an, les fabricants de cigarette arriveront avec leurs propres produits, et l’objectif ne sera alors plus de stopper la progression du tabac, mais de rendre dépendants ceux qui ne l’étaient pas avant, comme les enfants. On peut, avec les mêmes liquides mais des cigarettes électroniques différentes, faire monter très vite le niveau de nicotine inhalé, en jouant sur le nombre de bouffées. Alors si je sais comment faire, ils savent le faire aussi, soyez-en sûrs !
Finalement, la « bagarre » autour de la cigarette électronique se réduit-elle à un simple conflit d’intérêts ?
Tout le monde défend son beefsteak vous savez, cela ne me choque pas… Les pharmaciens voulaient les vendre mais ce n’est pas fondamentalement leur métier, car certains aspects, comme le remplacement de composants comme des résistances électriques sur les cigarettes électroniques ne sont pas de leur domaine : il se trouve qu’ils ne veulent même plus les vendre. Pour ce qui est des buralistes, au contraire, ils ne voulaient pas les vendre il y a un an et demi et ils se lancent maintenant à fond sur la question : ils ont complètement changé de logique. Tous veulent gagner de l’argent sauf quelques « hurluberlus » comme nous qui veulent simplement le recul du tabac. Je ne suis pas un promoteur de la cigarette mais un promoteur de la fin du tabac. Je veux qu’il n’y ait plus de fumeurs en France dans 15 ans, et la cigarette électronique peut nous y aider. Pour l’instant en France, les gens sont à côté de la plaque…
Est-ce qu’il y a une prise de conscience dans les autres pays ?
Cela dépend. En Belgique par exemple il y a interdiction d’acheter ces produits qui contiennent de la nicotine. Au Danemark, c’est la même chose : les gens doivent acheter l’e-liquide ailleurs et une espèce de trafic se met en place. Cela est dangereux car la vente n’est pas encadrée. Ces limitations sont un problème car, en France par exemple, les flacons ne sont pas assez grands, et les vapoteurs sont obligés d’avoir leur propre système de remplissage pour se ravitailler dans la journée, ce qui est dangereux. Ces limitations sont de bonne volonté, mais faites par des gens à côté de la plaque.
En travaillant de façon cohérente avec les données qu’on avait, nous avons réussi à faire prendre des positions fortes aux différents acteurs du sujet : nous sommes contents de pouvoir faire bouger les choses. Le seul problème qui reste, c’est que les gens restent accrochés au problème de la toxicité qui n’est plus d’actualité depuis longtemps…