La brucellose n’est pas une maladie à prendre à la légère pour l’homme; le cas de 2012 en est la preuve. C’est la raison pour laquelle une campagne d’éradication fut menée jusqu’à l’obtention du statut ‘indemne de brucellose’ en France. Érigée comme problème de santé publique au même titre que la maladie de la vache folle, la contamination de 2012 a fait couler de l’encre. Pourtant, les avis scientifiques semblent s’accorder sur le caractère exceptionnel de l’accident et sur le besoin de ne pas traiter la situation en urgence. En choisissant l’abattage, l’Etat a-t-il alors cédé sous la panique et la précipitation? 


La brucellose, dangereuse pour l’homme

               La brucellose est une maladie infectieuse des animaux vertébrés transmissible à l’homme. Chez les animaux touchés (ovins, bovins, caprins et ruminants principalement), les symptômes cliniques de cette zoonose sont généralement bénins et dépendent de la souche de la maladie: avortement, lésions et arthrites. Les animaux peuvent en guérir et assurer par la suite une descendance saine. Chez l’homme, la brucellose est considérée comme une maladie grave si le patient n’est pas rapidement pris en charge. La transmission entre les animaux se fait principalement par le biais des urines, des avortons en cas d’avortement, des carcasses… La transmission vers l’homme est la plupart du temps directe, par contact, ou bien par ingestion de produits laitiers crus issus d’animaux infectés. La bactérie en effet peut survivre en milieu extérieur pendant plusieurs mois et en particulier, la consommation de produit à base de lait cru est susceptible de transmettre l’infection. Entre les humains, la transmission est par contre quasi-inexistante.

Pour ce qui concerne les mesures de lutte contre la maladie, les réglementations sont claires et sans appel. En cas de doute concernant une potentielle contamination, le cheptel doit être mis sous surveillance avec mise en quarantaine des animaux infectés puis interdiction de vente des produits à base de lait cru. Lorsque la maladie est confirmée, les animaux infectés se doivent d’être abattus et potentiellement avec eux le reste du troupeau. Les produits sont détruits et les locaux sont désinfectés. [1]

C’est justement parce que la brucellose fut autrefois un problème de santé publique de grande ampleur que la France a longtemps lutté pour son éradication.

La France et la Brucellose

incidence
Evolution de l’incidence(nombre et taux) des cheptels infectés de brucellose bovine en France de 1995 à 2012 [2]

 

La France jouit du statut de pays indemne de brucellose depuis 2005. Ce statut facilite le commerce international et le libre échange en zone européenne. Déjà dans les années 1970, les prophylaxies vétérinaires ont permis le recul de la maladie chez les bovins. Le dernier cas de brucellose bovine datait de 2003, puis en 2012, c’est un foyer de la maladie qui fut détectée en Haute-Savoie dans une exploitation laitière. Deux enfants furent alors contaminés par la brucellose, maladie grave pour l’homme, par la consommation de fromage non-pasteurisé issu de l’exploitation. Avec l’aide des offices de chasse, l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation) procède à un dépistage de la brucellose par prélèvement sanguin chez les populations d’animaux sauvages. Le résultat est sans appel. Seul un cas de chamois atteint de brucellose fut détecté tandis que près de la moitié de la population (46%) de bouquetins serait touchée par la maladie. La maladie ne se serait en outre pas étendue aux massifs voisins. La souche observée a été identifiée comme celle de Brucella Metilensis Biovar 3, souche dont le génotype est identique à celui de souches prélevées chez des populations bovines atteintes en 1999. L’hypothèse la plus probable est donc la suivante: les bovins auraient infectés les bouquetins en 1999 qui auraient alors fait office de réservoir silencieux jusqu’en 2012 où à leur tour, ils auraient infecté les populations bovines.

Pour autant, avant de juger de l’efficacité des mesures d’abattage prises suite au cas de 2012, il est nécessaire d’évaluer correctement le risque sanitaire.

Brucellose, la menace fantôme ?

La brucellose est certes une infection grave pour l’humain, cependant le risque de transmission interspécifique de la maladie serait infiniment faible dans notre dossier. Selon le Dr Zygmunt (INRA), il suffit d’observer les faits pour se rendre compte du caractère exceptionnel de l’accident. Près de la moitié des bouquetins sont touchés par la brucellose et cette population sauvage partage les mêmes pâturages que les cheptels domestiques. En d’autres termes, leur contact est fréquent et pourtant, il s’agit du seul cas reporté dans le Bargy depuis 1999, date depuis laquelle le bouquetin est pourtant porteur de la brucellose. L’ANSES estime au travers de leur expertise que ce risque de passage du bouquetin au troupeau bovin domestique reste infime.

L’expérience menée dans les alpes italiennes au Gran Paradiso Park en 2007 va également dans ce sens. La cohabitation pendant 40 jours d’un bouquetin infecté par la brucellose avec 5 chèvres et deux moutons dans 5000m2 n’a conduit à aucune contamination.

« Ces résultats semblent indiquer que la contamination d’un cheptel domestique par des bouquetins du Bargy, qui s’est produite en une unique circonstance sur 12 ans de cohabitation animaux domestiques – faune sauvage dans le massif concerné, n’a pas répondu à une logique statistique de pression d’infection, mais correspondrait plutôt à un événement de type accidentel et exceptionnel. » [3]

Une autre théorie laisserait même penser que le bouquetin ne soit pas à l’origine de la contamination de 2012. Le bouquetin pourrait tout aussi bien être un « cul-de-sac épidémiologique » pour reprendre les mots du Dr Zygmunt, au sens où la transmission ibex-bovin serait tout bonnement impossible. Pour l’instant, c’est la prévalence de la brucellose chez les populations de bouquetins qui tend à faire penser que le bouquetin en tant que foyer infectieux serait l’hypothèse la plus probable.

« La brucellose, ce n’est pas Ebola ! Le risque sanitaire est surévalué. » [4], d’après Jean-Pierre Crouzat, membre de la FRAPNA. En clair, la situation actuelle n’est peut-être pas discutable à cause de la décision d’abattre massivement les bouquetins, mais plutôt à cause de la décision de mener une campagne d’éradication drastique de la brucellose chez le bouquetin. Le risque étant minime et probablement surévalué par les autorités politiques, la nécessité de prendre une décision aussi rapidement ne s’imposait vraisemblablement pas, surtout une décision aussi radicale que celle d’un abattage. Dans son Arrêté préfectoral ordonnant l’abattage, l’Etat avance un autre argument d’ordre économique selon lequel l’intervention viserait à « protéger plus spécifiquement de dommages économiques et financiers majeurs la filière du reblochon, qui emploie un nombre important d’éleveurs et de professionnels sur les massifs du Bargy et des Aravis«  [5]. Mais qu’en est-il donc de ces arguments économiques avancés ?


[1] Site du ministère de l’agriculture http://agriculture.gouv.fr/Brucellose,2497

[2] Bulletin épidémiologique n° 59 – Spécial Maladies réglementées et émergentes (MRE) Bilan 2012, Ministère de l’agriculture

[3] FOUCART, Stéphane. Guerre sur le Bargy. Le Monde. 08/10/2014.

[4] PATRIARCA, Eliane. Massif du Bargy Bouquetins émissaires. Libération. 11/09/2014.

[5] Arrêté préfectoral n°2013274-0001. Direction départementale des territoires. 01/10/2013.

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