Les abattages successifs des différentes classes d’individus des bouquetins du Bargy n’ont visiblement pas abouti: l’objectif était d’éradiquer totalement la brucellose du massif, mais il semblerait que cela n’a fait que la propager au sein des hardes. D’autre part, cet abattage augmente le risque d’un appel d’air, qui amènerait les individus de différents massifs à se côtoyer, et qui serait propice à la propagation de l’épidémie. Par conséquent, il paraît évident que la lutte contre la brucellose passe par une gestion raisonnée de la population de bouquetin du massif du Bargy.


L’abattage est en accord avec la législation française, il est donc légitime. Néanmoins, certains facteurs doivent être pris en compte, tels que le statut d’espèce protégée du bouquetin des Alpes, la transmission de la brucellose à d’autres massifs susceptible de créer un problème à la frontière, ou du très faible risque de contamination du cheptel bovin (un seul cas alors que les bouquetins semblent avoir été porteurs de brucellose depuis plus de dix ans)  [1].

Les scientifiques de l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) ont découvert que la souche de brucellose actuelle est identique à celle d’il y a 10 ans. L’interprétation est simple : les bouquetins du Bargy auraient, pendant tout se temps, servi de « réservoir » à la brucellose. Ainsi, en 10 ans, personne n’a suspecté la présence de la maladie, ni n’a pu identifier de possibles signes cliniques chez le bouquetin. Le fait qu’il y ait eu une seule transmission à l’homme montre la très faible probabilité de contamination, mais aussi la difficulté d’identifier les individus malades et donc d’agir pour assainir le massif. Il est d’ailleurs à noter que la difficulté d’identifier les symptômes de brucellose est aussi difficile chez les bovins, pourtant plus facilement reconnaissables et malgré les nombreuses études vétérinaires réalisées à ce propos [3].

La gestion de la population dépendra notamment des moyens à disposition des scientifiques et pouvoirs publics : un dépistage systématique et régulier pour dépister les animaux malades est envisagé et a déjà été en partie réalisé, mais cela est coûteux en temps. C’est d’autant plus difficile que les signes cliniques sont mal connus et peu visibles chez le bouquetin. Il peut aussi être intéressant de prendre des mesures pour isoler la population de bouquetins afin d’éviter les contacts avec les espèces domestiques. Ceci est rendu délicat par le grand nombre d’intermédiaires possibles pouvant transmettre la brucellose.

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Les agents de l’ONCFS télé anesthésient les bouquetins pour les prélever : prise de sang, écouvillons,… 

Des solutions passives

De toutes les solutions qui ont été proposées dans ce débat se trouvent des solutions passives qui ne nécessitent aucune intervention directe sur les bouquetins. Ces solutions n’ont pas été proposées par les instances scientifiques telles que le CNPN ou l’ANSES mais ce sont généralement des solutions pragmatiques et empiriques soulevées par les militants anti-abattage. Tout d’abord, la première solution serait de laisser faire la nature. Après avortement, il est possible que l’animal guérisse et soit capable de mettre bas à nouveau: la brucellose n’est pas une fatalité pour les bouquetins. L’exemple avancé pour cette solution est celui du Grand Paradis en Italie où un foyer de brucellose chez des bouquetins avait été déclaré pour finalement s’éteindre de lui-même sans intervention humaine. Pour autant, chaque cas est différent et en particulier celui du Bargy s’avère bien plus grave qu’en Italie: la maladie est très présente chez les bouquetins et semble par conséquent s’entretenir.

 Si l’affaire de la brucellose du bouquetin a pris des dimensions incommensurables, nous avons vu que c’est en grande partie à cause du lourd risque que fait peser la maladie sur l’économie du reblochon.  La solution suivante agirait donc directement sur la fabrication du fromage pour garantir la sûreté des consommateurs et la bonne commercialisation des fromages au lait cru de la région. Dans son avis du 22 juillet 2013 relatif à la brucellose dans le Bargy, l’ANSES confirme que chauffer le lait à 70°C suffit à anéantir tout risque de contamination entre la vache et l’homme via le lait. Cependant, une telle chauffe rentre en conflit avec le processus de fabrication du reblochon.  Il se pourrait alors que l’acidification lactique lors de l’affinage suffise simplement à l’élimination de la bactérie, mais ce n’est pas certain. Ce qui est en revanche scientifiquement prouvé et ce qui est avancé par les défenseurs des bouquetins, c’est que prolonger l’affinage à 60 jours est en accord avec l’AOP de la fabrication du reblochon et permettrait à coup sûr l’élimination de la bactérie. [4] Cependant, ces solutions pragmatiques ne règlent pas le problème de la contamination du cheptel domestique et à moins d’assouplir la prophylaxie sanitaire en vigueur, il est pour l’instant inconcevable de laisser des animaux domestiqués infectés en exploitation et d’en vendre les produits.

Des solutions ciblées

Aux solutions passives s’ajoutent des solutions ciblant uniquement les populations de bouquetins touchées par la maladie. Dans un premier et comme conseillé par le CNPN  et l’ANSES dans leurs premiers avis émis en 2013, l’abattage des animaux séropositifs serait une mesure plus efficace et plus respectueuse de la biodiversité. Cependant, le test de séropositivité s’avère chronophage et mettre en place une campagne d’abattage aussi ciblée serait bien plus onéreuse qu’un abattage flash des populations de plus de 5 ans. Le choix de ce dernier mode d’abattage s’est donc imposé de part son faible coût et de part sa rapidité de mise en place.

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Enfin, la piste de la vaccination n’est pour le moment pas envisageable : même si un vaccin existe chez les caprins, son application au bouquetin sera incertaine et n’est de toute manière pas envisageable : vacciner les bouquetins reviendrait à inoculer la brucellose à des individus, donc à créer des séropositifs à la brucellose, ce qui correspondrait à réintroduire effectivement la maladie dans un pays qui a mis plusieurs années à s’en débarrasser. En outre, après vaccination, il devient impossible de faire la différence entre une individu vacciné et une individu réellement malade, causant un réel problème pratique. Pour les producteurs dont l’économie locale repose sur les troupeaux de bovins, il est inconcevable de mettre en place une telle campagne de communication: avec la réapparition d’animaux séropositifs à la brucellose, les contrôles deviendraient systématiques et le transport des bêtes et de leurs dérivés serait fortement conditionné.


La prise de décision pour limiter la propagation de la brucellose est donc un processus délicat, devant faire collaborer l’ensemble des acteurs, et notamment les experts scientifiques. Comme le résume S. Foucart suite à l’éradication de 70% des bouquetins du Bargy: « Cela montre surtout que lorsque nous sommes embarrassés de nos émotions et de nos préjugés, il est plus raisonnable de se fier à la prudence scientifique qu’au bon sens préfectoral » [1]. S’il est difficile de dire si les différents acteurs sont embarrassés de leurs préjugés ou non, il est en revanche vraisemblable que chacun lutte pour ses convictions, voire ses intérêts personnels. Quand l’un veut protéger les populations ou encore le terroir local, l’autre veut protéger les bouquetins. C’est là que les conflits surviennent, éclatant parfois même en scandales, et que la brucellose du bouquetin devient une véritable guerre d’influence.


[1] S.FOUCART. Guerre sur le Bargy. Le Monde. 08/10/2014

[3] Anne Bronner et al. Why do farmers and veterinarians not report all bovine abortions, as requested by the clinical brucellosis surveillance system in France?. BMC Vetenary Research. 24/04/14

[4] Le Bruit du Vent.

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Crédit image: Photo J.Hars