Instances scientifiques et pouvoir décisionnel
Si la brucellose est bien connue chez les populations bovines, elle reste néanmoins très étrangère chez le bouquetin. Etant donné la délicatesse de la situation (le bouquetin est une espèce protégée), l’Etat a fait appel aux instances scientifiques afin de savoir quelle stratégie d’abattage serait la plus efficace. Cependant, les médias et les blogs font souvent appel à l’argumentaire selon lequel l’Etat se serait assis su les avis scientifiques au moment de prendre une décision. La préfecture a-t-elle vraiment fait la sourde oreille ou bien la situation est-elle plus complexe que cela ?
Un besoin d’expertises scientifiques
Le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et le ministère de l’agriculture de l’agroalimentaire et de la forêt ont demandé l’avis de l’ANSES au regard d’un potentiel protocole d’abattage des bouquetins dans le Bargy. Les questions concernées sont les suivantes:
- « Ces opérations d’abattage ainsi menées seront-elles efficaces et permettront-elles d’atteindre l’objectif recherché ? »
- « Au regard des résultats dont on dispose, pourrait-on définir une typologie d’animaux les plus à risque d’infection et consécutivement orienter l’abattage sélectif de ces animaux ? Cette alternative à l’abattage total apporterait-elle les mêmes garanties ? »
- « Hormis l’abattage total et l’abattage sélectif, d’autres solutions alternatives à ces scénarii permettraient-elles une maîtrise égale, sinon meilleure, de la maladie, de sorte que la population de bouquetins du massif du Bargy ne constitue plus une menace pour la santé publique et pour les cheptels domestiques ? » [1]
Les conclusions de l’avis publié en Septembre 2013 sont les suivantes. Le risque de transmission interspécifique étant minime, l’urgence de la situation est questionnable. En outre, les mesures à l’époque envisagées reposaient sur des données uniquement statiques et un paysage des connaissances très incomplet. Pour atteindre cependant l’objectif de réduire rapidement le risque de transmission, il faut réduire la taille des populations de bouquetins infectées. Les experts s’accordent donc sur la nécessité d’un abattage qui pourrait s’effectué de deux manières différentes:
- un abattage massif en une opération « flash »
- un abattage ciblé sur les individus âgés de plus de 5 ans (classe d’âge la plus touchée par la maladie).
Les deux options possèdent leurs propres avantages et inconvénients qui sont résumés dans le tableau ci-dessous:
L’avis de la commission Faune du CNPN (Conseil National de Protection de la Nature) fut donné dans la foulée. La commission confirme la nécessité d’éradiquer le foyer de brucellose, mais l’affaire ne doit en aucun cas être traitée dans l’urgence. Pour ce qui concerne l’abattage, le CNPN préconise lui aussi l’abattage des animaux de plus de 5 ans, mais propose également de n’abattre préférentiellement que les individus séropositifs.
Un degré de prise en compte contesté
La décision qui fut prise vis à vis de l’abattage fut donc celle de réduire la population des bouquetins de plus de 5 cinq ans, option qui fur proposée par à la fois l’ANSES et le CNPN. Pour autant, les contestions concernant l’abattage intègrent comme argument principal le manque de concertation entre les instances scientifiques et le gouvernement, voire la non prise en compte de l’expertise. «On n’a pas tenu compte des avis scientifiques l’an dernier, on a dégommé la moitié de la population des bouquetins du Bargy. Aujourd’hui, on constate que cela n’a servi à rien, et on décide de dégommer les rescapés ?», (signataires de la pétition « Sauvons les Bouquetins du Bargy ») [2] En réponse à ces assertions, Valérie Le Bourg, directrice de la direction départementale de la protection des population, fait le point:
« Pour ce qui concerne la brucellose sur le Bargy, je ne peux pas laisser […] dire que l’Etat s’est assis sur les avis d’experts puisque l’Etat a sais l’Anses l’année dernière et que l’Anses, qui est une agence de sécurité, ne retenait dans son rapport que deux mesures de réduction efficace et rapide de transmission au cheptel domestique: l’abattage total des bouquetins ou l’abattage des animaux de 5 ans et plus, qui était la classe d’âge la plus atteinte, suivi d’un suivi sanitaires des animaux restants. C’est cette deuxième option qui a été prise en 2013. »[3].
Pour autant, le débat n’est pas tant sur le choix d’un tel profil d’abattage ou du moins d’un assainissement du massif du Bargy. Il se porte plutôt sur la situation d’urgence qui a été proclamée par les instances gouvernementales. En effet, les avis scientifiques précisent bien tous que le risque infectieux est minime et que l’absence de données sur les populations de bouquetin portait préjudice au choix du meilleur profil d’assainissement. L’avis du CNPN précise bien d’ailleurs que l’élimination de la brucellose dans le Bargy « n’a nullement besoin d’être réalisée dans l’urgence. »[4]. Ce serait donc plus le manque de discernement de la préfecture par rapport à l’évaluation du danger économique et sanitaire qui les aurait mener à prendre une décision radicale vraisemblablement précipitée qui est désormais critiquée.
Cependant, si cette décision se trouve à cheval entre précaution sanitaire et précipitation, s’avère-t-elle efficace dans la réduction du foyer épidémiologique ? La question suivante se pose alors: Comment vaincre la maladie ?
[1] AVIS de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif aux «mesures à prendre sur les bouquetins pour lutter contre la brucellose sur le massif du Bargy, Haute-Savoie». 04/09/2013.
[2] PATRIARCA, Eliane. Massif du Bargy Bouquetins émissaires. Libération. 11/09/2014
[3] Emission “Les experts – Vos animaux”, diffusée le 12/10/2014. RMC
[4] Avis sur la demande d’abattage des bouquetins du Bargy. Commission faune. 11/09/2013.