La guerre, pourrait-on penser, est une série d’actes violents entre différentes parties, n’obéissant de ce fait à aucune règle.
Cependant, les pays ont pour la plupart su s’accorder sur certains principes, notamment par le biais de la Convention de Genève.
Ces principes reposent sur une éthique militaire, héritée d’une forme de code d’honneur du guerrier. Ainsi, il est des situations où il est moral de prendre une vie, d’autres non. La loi a ensuite été définie à partir de ces principes. Brice Erbland, ancien militaire et auteur d’un livre au sujet des armes létales autonomes, a répondu à nos questions.
Le cas de la légitime défense est selon lui l’exemple typique, à tel point que l’on peut l’étendre à la vie civile : dans certains pays, on peut ne pas être condamné en cas de meurtre en situation de légitime défense.
Mais même dans le cas où l’on se trouve dans la position de l’assaillant, il existe des situations où, dans le cadre d’un conflit armé, il devient moralement acceptable pour un soldat de tuer. Que ce soit pour protéger ses camarades ou des civils, assurer sa propre sécurité ou bien réussir une mission, prendre une vie n’est moralement acceptable que s’il y a réciprocité du danger. Selon Brice Erbland, ce concept est fondamental dans l’éthique militaire. Ainsi, un pilote de chasse peut mitrailler ses cibles puisqu’il peut lui aussi être atteint, étant physiquement présent sur le champ de bataille ; il n’en va pas de même pour un pilote de drone, à l’abri dans des locaux sur un autre continent…
Les armes létales autonomes, puisqu’elles visent à réduire au maximum l’engagement humain, brisent la réciprocité du danger. Brice Erbland nous donne quelques précisions.
Par le passé en effet, le combat, souvent au corps à corps, visait à causer des pertes chez l’ennemi afin de l’affaiblir et de le mettre en déroute. Le plus souvent, la guerre était terminée une fois l’une des deux armées dispersée. Avec l’agrandissement des pays et l’accroissement de leurs ressources, les moyens de remporter une guerre ont changé : vaincre une armée ne suffisait plus tant ces empires avaient des réserves en hommes et en matériel. Les grandes villes et les carrefours stratégiques sont devenus des objectifs à capturer afin de priver l’ennemi de ses ressources.
Aujourd’hui, la guerre a une nouvelle fois changé de visage, admet Brice Erbland. Internet et le terrorisme font que le danger peut survenir de n’importe où et qu’il est impossible de le détruire à la racine. D’où un besoin toujours plus grand en réactivité. Des avions de chasse supersoniques, nous sommes passés aux drones télécommandés, éloignant toujours plus le soldat de ses adversaires.
Les chiffres sont clairs : moins l’humain influe sur le système, plus celui-ci sera rapide et réactif.
Governing lethal behavior: Embedding ethics in a hybrid deliberative/reactive robot architecture. Proceedings of the 3rd International Conference on Human Robot Interaction
Il existe déjà de tels systèmes à vocation défensive, comme les tourelles anti-torpilles et anti-missiles sur les navires américains ; mais jusqu’aux systèmes offensifs, il n’y a qu’un pas.
Problèmes éthiques posés par le remplacement de l’humain par des robots : le cas des systèmes d’armes autonomes, Etat de l’Art
On peut alors s’interroger sur le sens qu’aurait une guerre privée d’humains, où les combats seraient menés par machines interposées. Comment remporter un tel conflit ? Faut-il détruire systématiquement les armes de l’adversaire jusqu’à ce qu’il s’épuise ? De telles machines sont aisées à fabriquer en série ; c’est leur programmation qui est complexe. S’attaquer à leur logiciel et mener une cyberguerre ? C’est une possibilité envisagée par Marie-des-Neiges Ruffo. Viser et détruire les usines d’armement ? Viser les civils pour faire plier le pays ? Les machines seront programmées pour combattre quoi qu’il arrive, rétorque-t-elle. Viser les ingénieurs et les scientifiques concevant ces armes, ainsi que les politiques menant cette guerre ? Ce serait selon elle le moyen le plus efficace. Quoi qu’il arrive, pour gagner une guerre il faudra cibler des humains à un moment où à un autre.
Si l’on n’inflige pas la douleur, on n’impose pas de volonté.
Marie-des-Neiges Ruffo, entretien.
On peut éloigner l’homme de la guerre, mais on ne peut pas éloigner la guerre de l’homme.
Brice Erbland, entretien.
Marie-des-Neiges Ruffo semble penser qu’une guerre ne se conclut jamais par l’anéantissement total d’une des deux parties : le vaincu capitule toujours avant, même le plus acharné des généraux japonais. Cependant, dans le cas de machines programmées pour combattre, cette capacité à reconnaître sa défaite et à capituler est mise en doute.
La synthèse de ces différents points de vue semble être que la guerre aura toujours besoin d’hommes, ne serait-ce que pour y mettre un terme.
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