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Extension du DPI pour le cancer |
D'après la loi du 29 juillet 1994 le diagnostic préimplantatoire est très
fortement encadré, mais une équipe de généticiens et de médecins du CHU de
Strasbourg, dirigée par le docteur Stéphane Viville, souhaite élargir
cette pratique pour rechercher des prédispositions à certains cancers ayant des
facteurs génétiques. Les recherches du professeur Stéphane Viville concernent
certaines formes du cancer du côlon, dites familiales.
1 - Facteurs de prédispositions
Le cancer côlorectal est
une pathologie affectant le côlon et/ou le rectum, avec plus de 36000 nouveaux
cas diagnostiqués chaque année en France. La plupart des cancers du côlon (60 à
80%) se développent à partir de tumeurs initialement bénignes : les polypes (cf
schéma I-1-a), ou adénomes. Avec l'âge, la fréquence de ces lésions augmente
régulièrement : 12% des personnes de moins de 55 ans en sont atteintes, entre
65 et 74 ans, la proportion est de un tiers. Le risque qu'un polype évolue en
tumeur cancéreuse dépend de sa taille et de son ancienneté : on estime qu'après
20 ans d'évolution, 25% des polypes d'un diamètre supérieur à un centimètre
auront dégénéré en cancer, en général l'ablation d'un polype supprime le risque
de dégénérescence. Comme pour de nombreux cancers, les facteurs de risques sont
multiples : on a vu que l'âge joue un
rôle important, mais l'alimentation, l'activité physique, l'environnement sont
aussi des facteurs non négligeables.
schéma I-1-a : coupe du côlon atteint de polypes
Dans notre problème, nous nous intéresserons uniquement au facteur
génétique ; en effet il existe certaines maladies génétiques qui entraînent un
risque majeur de cancer du côlon, en particulier la polypose adénomateuse
familiale, qui est caractérisée par l'apparition précoce de nombreux polypes
dans le côlon. Cette maladie est de transmission autosomique dominante :
autosomique car l'allèle responsable de la maladie n'est pas situé sur un
chromosome sexuel, dominante car il est nécessairement dominant. Ainsi un
parent atteint de la maladie, donc possédant un allèle pathogène, a une
chance sur deux de la transmettre à son enfant
(cf schéma I.1-b). Il est également possible que la maladie
survienne par mutation génétique chez un parent non affecté et soit transmise à
l'enfant : cet accident génétique concerne environ 30 % des patients.
Notons que cette maladie n'est pas un cancer du côlon à proprement parler,
mais bien une maladie génétique caractérisée par de nombreux polypes, ayant une
forte probabilité d'entraîner par la suite un cancer du côlon. Ainsi, si on diagnostique chez un homme la
polypose familiale, ses parents, ses frères et ses enfants devraient subir un
test de dépistage et être examinés régulièrement jusqu'à ce qu'on en découvre
plus sur leur risque.
2 - Symptômes et dépistage
Les symptômes du cancer du
côlon peuvent être du sang dans les selles, de la diarrhée, des douleurs et des
crampes à l'abdomen ou une perte de poids, mais la polypose, avant de dégénerer
en cancer, ne présente en général pas de symptômes (exceptée une éventuelle
émission de sang dans les selles) : la survenue des symptômes traduit déjà la
transformation d'un polype en cancer. C'est pourquoi un parent proche d'un
malade devrait subir des examens sans attendre que d'éventuels symptômes se
manifestent. Il existe différentes sortes d'examens : sigmoïdoscopie
(rigide ou flexible), côlonoscopie,
lavement au barium, ou encore gastroscopie.
Partie du côlon montrant plusieurs polypes
3 - Traitements
Aujourd'hui, il n'y a pas de guérison médicale pour cette maladie ; en raison du nombre de polypes, ou d'adénomes dans le côlon, la chirurgie est nécessaire pour traiter la polypose familiale. Seule une intervention chirurgicale est possible si on souhaite réduire le nombre de polypes. Les interventions chirurgicales dépendent du patient et du stage de la maladie dans le côlon. Le traitement sera d'autant moins difficile pour le patient que le diagnostic aura été effectué tôt, cependant il reste toujours assez lourd car il consiste à enlever tout, ou une partie du gros intestin. Citons parmi les différentes interventions la colectomie et l'anastomose iléorectale, la proctocolectomie, reconstituante ou non, et l'iléostomie continente.
Mode opératoire de la colectomie avec anastomose iléorectale
II/ Le cas de Strasbourg
Il n'existe pour le moment pas de traitement curatif définitif du cancer du côlon ; certes, des opérations chirurgicales sont possibles afin d'éviter l'apparition de nouveaux polypes, mais ces opérations conduisent à une ablation partielle ou totale du côlon et/ou du rectum. Le cancer du côlon laisse donc des séquelles, d'autant plus que ces ablations ne garantissent pas une guérison complète puisqu'il existe toujours un risque de propagation du cancer dans l'estomac ou le pancréas.
C'est la raison pour laquelle le professeur Stéphane Viville, directeur de
l'Insitut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg,
estime que l'utilisation du diagnostic préimplantatoire pour rechercher des
prédispositions à ce cancer est justifiée, après examen des dossiers familiaux.
De plus, le diagnostic préimplantatoire est utilisé pour dépister la
polypose familiale colique, maladie génétique considérée comme incurable, ce
qui revient à déterminer si l'embryon présente un risque majeur de développer
un cancer. Ainsi Stéphane Viville a présenté son travail lors d'une
présentation au congrès de l'European Society of Human Reproduction and
Embryology cet été, à Prague.
En effet, selon le
professeur Stéphane Viville, la loi de 1994
n'a pas établi de
liste exhaustive des maladies concernées par le DPI, qui doivent
présenter des
critères de « particulière
gravité » et
« d'incurabilité » ;
la loi n'aurait donc pas besoin d'être modifiée pour
l'étude de prédisposition à
certains cancers ; de plus, le professeur affirme qu'il s'agit non pas
d'une
probabilité mais bien d'une certitude de développer un
cancer : en l'absence de traitement, la polypose
entraîne toujours un cancer du côlon .
"La loi n'a, fort heureusement,
pas établi une liste des pathologies concernées par le DPI, explique-t-il dans un entretien avec le
journaliste Jean-Yves Nau du journal « Le Monde ». Et il n'y avait pas besoin de modification
de la loi pour que nous puissions prendre en charge la prédisposition à
certains cancers. Cette loi, comme dans le cas du diagnostic prénatal et de
l'interruption médicale de grossesse, laisse aux centres spécialisés la liberté
de jugement pour ce qui est des critères de "particulière gravité" et
d'incurabilité". Dans notre expérience, les décisions, qui vont parfois
jusqu'à nécessiter un vote, sont prises par une équipe
multidisciplinaire."
Pour l'instant, entre octobre 2002 et février 2006, 15 couples ont demandé
un DPI pour cette pathologie, 12 tentatives ont eu lieu, 8 transferts
embryonnaires ont réussi et ont donné lieu à 5 grossesses. Finalement, 3
enfants indemnes sont nés.
Peut-on pour autant
considérer la polypose comme une maladie particulièrement grave ? Oui si l'on
admet qu'en l'absence de traitement elle dégénère en cancer, et qu'il existe
encore un risque même après une intervention. Cette appréciation est néanmoins
totalement subjective. Ainsi, selon l'Association pour la Prévention, le
Traitement et l'Etude des Polyposes familiales, certains patients arrivent
à supporter une intervention et mènent une vie à peu près normale. Sur le site
de l'association on peut même lire que « Les maladies génétiques sont
fréquentes et certaines de ces maladies sont graves et mortelles même chez
l'enfant. Ce n'est pas le cas de la polypose et d'autres maladies beaucoup
moins sévères avec lesquelles on peut très bien vivre ».
Si
la loi laisse la liberté de jugement en ce qui concerne le
critère de
« particulière gravité », cette
liberté entraîne néanmoins des divergences
d'opinions de par sa subjectivité, ce qui explique en partie
certaines
réactions plutôt hostiles aux travaux du professeur
Viville.
III/ Réactions
L'avis de Stéphane Viville n'est pas
partagé par tous, ainsi Carine Camby, directrice de l'agence de la biomédecine, estime la décision de Stéphane Viville
contraire aux législations en vigueur : "Pour
ma part, je conçois mal qu'une telle pratique se développe sans qu'un débat
public soit organisé sur un tel sujet. S'il
doit y avoir une interprétation extensive de la loi de bioéthique, cela ne peut
être le fait d'un seul centre."
1 - Un nouveau pas vers l'eugénisme ?
Jacques
Testart,
père scientifique du premier
bébé-éprouvette français, est beaucoup plus
critique sur les travaux du docteur Viville ; il
est déjà hostile à la technique du DPI car pour
lui, il est difficile de
définir ce qu'est une maladie grave : la mucoviscidose ou la
myopathie sont
certes des maladies graves, mais selon lui, « certains considéreront le
diabète, l'asthme, les problèmes cardio-vasculaires ou le cancer du colon comme
des maladies graves » ; la gravité de la maladie est d'autant plus
subjective qu'en France il n'existe aucune liste exhaustive répertoriant les
maladies concernées par le DPI.
« Dresser une telle liste serait d'ailleurs monstrueux pour les catégories de personnes vivantes concernées. On ne pourrait s'empêcher de penser qu'elles auraient pu être éliminées grâce au DPI ! Sont-elles alors à exclure de l'humanité ? Qu'est-ce donc qu'une maladie grave? C'est celle qui, dans la pratique actuelle, crée un consensus chez les généticiens et chez les couples "candidats" à l'avortement et dont la définition est donc extrêmement subjective. » déclare-t-il. Interrogé sur la loi Veil de 1975, qui autorise le médecin à éliminer un foetus considéré comme anormal et donc qui pourrait conduire au même résultat que le DPI, Jacques Testart insiste sur le fait qu'avec le DPI, le choix ne porte pas sur un seul embryon, mais sur plusieurs qui sont dans une éprouvette. Par conséquent, plus il y a d'embryons disponibles, plus on peut être sélectif : « Ce que le généticien va alors rechercher, ce n'est pas le futur enfant idéal ou parfait, car il n'existe pas, mais le futur enfant idéalisé (par les parents) ou disons le meilleur de la couvée. L'enjeu n'est pas du tout le même! A Londres, par exemple, des généticiens soucieux pratiquent déjà le tri des oeufs fécondés en vue d'éliminer certains facteurs de risques du cancer du côlon. Jusqu'où va-t-on aller? »
Jacques Testard nous livre sa réflexion sur l'Homme devenu
manipulateur de la vie et de la procéation dans deux livres parus en
2003 : Au bazard du vivant et Le Vivant manipulé
Dans le cas du cancer du côlon, Jacques Testart estime la démarche de
l'équipe strasbourgeoise choquante car elle étend les indications du DPI à une
particularité génique ne correspondant pas forcément à une pathologie : « c'est
un pas en avant vers ce qu'on pourrait appeler de l'eugénisme ». Si on
élargit le DPI à une pathologie grave qui présentera une probabilité, même
élevée, d'arriver, le pas suivant conduira à une probabilité moins importante,
(ainsi d'une probabilité de 95% on finira par vouloir rechercher des risques de
85%, puis 70%...) puis par habitude on finira par dépister des pathologies
moins graves que le cancer. De plus, la seule façon de restreindre le caractère
eugénique du DPI est de ne dépister qu'une seule maladie ; en effet si l'on ne précise
pas qu'on ne recherche qu'une seule maladie, on s'expose à vouloir rechercher toutes
les pathologies d'une particulière gravité, or cette liste peut être
potentiellement infinie en raison même de son caractère subjectif. De plus,
comme on préfère en général ne pas avoir de maladie, même légère, que d'en
accepter, il sera alors difficile de poser les limites au pouvoir eugénique du
DPI. C'est pourquoi Jacques Testart préconise la recherche d'un nombre
limité de pathologies dans le cadre du DPI : celles uniquement liées au terrain
familial. Ainsi selon lui, si le DPI n'est pas encore une méthode eugénique
c'est seulement pour des raisons de restriction technique : « tout ce
qui manque aujourd'hui pour que le DPI devienne une véritable méthode
eugénique,[...] c'est la production massive d'ovules [...], tout le reste est
déjà près ».
Pourrait-on voir dans l'article
de Jean-Yves Nau une critique envers les recherches du professeur Viville ? Le
journaliste, en utilisant le terme « prédisposition », semble remettre
en question le bien-fondé de ses recherches. D'après un entretien que
nous avons eu avec le chercheur, Jean-Yves Nau a dépêché une mission afin de
savoir si la loi était bien respectée. Cette mission, dirigée par Dominique
Stoppa-Lyonnet de l'institut Curie,
concernait l'INCa ainsi que l'Agence de la biomédecine. Cette
mission étant en cours, nous n'avons pu obtenir ni l'avis de l'INCa ni celui de
l'Agence de la Biomédecine.
2 - L'eugénisme : un mot
simplificateur ?
Si certains trouvent dans la pratique du DPI un terrain favorable à ce que l'on pourrait appeler l'eugénisme, d'autres trouvent que l'utilisation même de cette notion est réellement dangereuse et ne fait pas avancer le débat ; en effet le terme est lui-même assez complexe et peut désigner à la fois la volonté de créer des enfants parfaits, cliniquement et physiquement, ou bien le but d'éviter la naissance d'enfants atteints d'une maladie grave et incurable au moment du diagnostic. Le professeur Israël Nisand, dans une interview du journal « Le Monde », met en garde contre l'utilisation abusive de ce mot, qui rappelle les prétendues expériences effectuées par les nazis pendant la seconde guerre mondiale : « Le terme d’eugénisme est tellement polyvalent qu’au lieu de faire avancer le débat, il le fait régresser. Il évoque la médecine nazie pendant la seconde guerre mondiale, qui n’a pas grand-chose à voir, faut-il le préciser, avec le diagnostic préimplantatoire…Les programmes nazis étaient discriminatoires et coercitifs, ils étaient assis sur des fondements scientifiques absurdes et ils avaient pour objectif d’améliorer la race aryenne : quel rapport avec le DPI, qui a simplement pour but d’éviter la naissance d’enfants atteints d’une maladie incurable d’une particulière gravité ? Je n’ai jamais vu de demande de convenance dans ces consultations. ». Selon lui, il est donc dangereux de diaboliser à outrance le DPI.
de l'assemblée générale annuelle (11 décembre 1999) de l'Assemblée des Femmes
IV/ Et ailleurs... ?
La « Human
Fertilisation and Embryology Authority », haute autorité britannique
chargée de l'assistance médicale à la procréation et à la recherche en
embryologie, a récemment autorisé le DPI pour les polypes familiaux à l'hôpital
universitaire de « University College London », dans l'Unité
d'assistance médicale à la procréation. Selon la HFEA, cette autorisation ne
s'est pas faite sans qu'on ait pris en considération les aspects scientifiques,
éthiques et légaux. Le DPI avait déjà été autorisé pour des pathologies comme
le bétathalassémie, la mucoviscidose, la dystrophie musculaire de Duchenne, la
maladie de Huntington, ou encore l'hémophilie. Mais des groupes Pro-Life se
sont élevés contre cette pratique, Ils ne considèrent pas cette décision comme
une façon positive de traiter la maladie mais plutôt comme une façon d'éliminer
les porteurs potentiels.
Aux États-Unis, de plus en plus de couples ont recours au DPI pour exclure des embryons tenus pour présenter une prédisposition à un cancer, comme cette pratique est facturée à plus de 25000 dollars, certains commencent à évoquer une classe sociale aisée qui se débarrasse des « mauvais gènes » et une population pauvre qui continue à en assurer la transmission.
Les différentes réactions suscitées par l'initiative de Stéphane
Viville démontrent en réalité deux interprétations différentes du
diagnostic préimplantatoire. Certains, comme Jacques Testart, reprochent
à Stéphane Viville la recherche d'une prédisposition au cancer du côlon : si le
DPI peut être acceptable pour dépister une maladie génétique dont on est sûr
qu'elle surviendra (si l'embryon porte le gène), on ne peut l'utiliser pour
rechercher une prédisposition, même très forte (95%), car il est possible que
l'on finisse par vouloir dépister des probabilités de 80%, puis 70%...
D'autres estiment en revanche que les recherches de
Stéphane Viville sont conformes à la législation. En effet, la polypose
familiale est incurable et peut-être considérée comme étant une maladie de
particulière gravité car elle entraîne nécessairement un cancer du côlon. Le
dépistage de la polypose rentre bien dans le cadre de la loi de bioéthique,
selon eux les critiques sont donc déplacées puisqu'il ne s'agit pas d'une
extension du DPI.
Il apparaît alors que la controverse s'étend en réalité
sur plusieurs plans : l'initiative de Stéphane Viville consiste-t-elle à étendre les
indications du DPI (comme semble le penser Jean-Yves Nau) ou au contraire
reste-t-elle bien dans le cadre de la loi ? S'agit-il de rechercher une
prédisposition au cancer du côlon ou bien la polypose entraîne-t-elle
nécessairement un cancer ? Enfin, le critère de « particulière
gravité » de cette maladie semble totalement subjectif puisqu'apparemment
certaines personnes ayant subi des interventions chirurgicales semblent
s'accommoder de leur conditions.