Interview de Karine Nizard

Karine Nizard, toxicologue de formation, travaille pour le groupe LVMH en tant que responsable du département de recherche du vivant. Elle a participé en 2003 à un congrès organisé par Aubrey de Grey, où elle y a fait deux présentations. En 2005, à l'occasion d'un symposium sur la mitochondrie organisé par LVMH, elle a invité Aubrey de Grey en tant que conférencier. Ayant eut vent de cet événement, nous avons voulu connaître quelles étaient les raisons qui pouvaient pousser un groupe tel LVMH à avoir recours à un tel personnage et comment cet événement s'était déroulé. Karine Nizard a bien voulu nous recevoir pour répondre à nos questions. Voici donc l'interview retranscrite.

Nous : Vous avez organisé une rencontre entre Aubrey de Grey et le groupe Dior ? Mais nous ne savons pas exactement qui chez Dior, on voulait donc savoir quelles étaient les personnes visées par une telle rencontre ? pourquoi vous aviez fait ça ?

Déjà ce n’était pas une rencontre, c’était un symposium organisé par notre centre de recherche qui s’occupe de toute la recherche pour toutes les marques du groupe LVMH : Guerlain, Givenchy, Louis Vuitton et Dior. Donc la communication scientifique ce n’était pas moi, moi je suis scientifique et je coordonne toute la recherche autour de l’anti-âge, je suis responsable du groupe, mais je ne fais pas la communication.

Donc c’était un événement strictement interne ?

Strictement interne non, parce qu’on a invité des invités extérieurs justement. À cette occasion on a invité Aubrey de Grey.

Excusez–moi c’est quoi déjà un symposium ?

Un symposium c’est comme un congrès sauf que c’est plus limité sur le sujet. Donc on a invité quelques personnes, des scientifiques que l’on côtoie et avec qui on collabore. Donc dans nos axes de recherche, on a beaucoup de recherche en interne et beaucoup de collaboration. On a donc invité beaucoup de collaborateurs, mais aussi des gens qui sont intéressés par le sujet de par leurs travaux mais aussi par intérêts. C’est aussi une approche commune qui pouvait nous intéressé dans le symposium. Il y a donc 200 personnes invitées et peut-être 50 personnes en interne. Il y a donc des conférenciers prestigieux et au milieu des prestigieux, il y en a peut-être 1 ou , une ou deux présentations à nous. Des scientifiques qui font parties des pôles et qui font des travaux qui peuvent être en relation avec le sujet. On avait déjà abordé Aubrey de Grey, moi personnellement. En 2003, j’ai assisté à son premier congrès à Cambridge qu’il a organisé sur la longévité et l’anti-âge. J’y avais fait deux présentations. Il avait publié un livre, j’ai donc écrit deux chapitres dans son livre.

Vous avez écrit deux chapitres d’un de ses livres ?

Oui, un livre qu’il éditait pour le congrès. Pour chaque congrès, il édite un livre. Donc j’étais présentateur, chaque conférencier devait écrire un chapitre dans son livre, donc j’ai écrit deux petits chapitres qui sont des publications. Mais la c’était demandé. En générale, les publications scientifiques on envoie des articles, qui peuvent être refusés, car ils ne correspondent pas forcément à la revue, ou autre. La différence là, c’était des gens qui était invité au congrès à qui on a demandé d’écrire quelques chapitres sur leur présentation.

Par ailleurs, vos avez fait une présentation orale ?

Non c’était des présentations par poster. Il y a des présentations orales toujours et en parallèles des présentations par poster car tout le monde n’a jamais le temps de passer.

Vos articles portaient sur quel sujet ?

Je peux vous envoyer les pdf si cela vous intéresse. Donc lui, il faisait toute l’animation du congrès, il y avait une centaine de personnes. C’ était très ciblé longévité et anti-âge. Il y avait des conférenciers qui étaient quand même des bonnes pointures. On avait présenté deux posters, un sur l’effet d’une molécule qui augmente une heatshot protéine, des protéines chaperonnes qui prennent en charge des protéines endommager. Soit elles les protègent, soit elles les remettent en état. Le deuxième poster portait sur une étude in vivo qu’on a faite sur l’effet d’une algue qui diminue l’oxydation des protéines.

In vivo ça signifie ?

Sur humain. Donc on l’avait déjà approché . Je le connais personnellement.

Ce congrès, c'est lui qui est venu vous chercher ?

Non, pour le premier non. C'est en fait une de nos collaborateur, qui est Paris 6, qui s'appelle Bertrand Friguet, ll est au laboratoire de biologie et de chimie du vieillissement. C'est quelqu'un avec qui on collabore depuis une dizaine d'années. Avec qui il a des collaborations directes, il m'a proposé d'aller à ce congrès, ça m'a intéressé et donc j'y ai été. Depuis Aubrey de Grey m'envoie, enfin par une mailing-list au sujet de ses congrès. Il faut dire qu'il y a un an, deux ans, il était encore très accessible. Lorsqu'on lui envoyait un mail, il répondait dans la journée.

Il ne répond plus pour qu'elle raison ?

Il est à présent dans des sphères beaucoup plus médiatique, avec tous les dons qu'il a récupérés et tous les prix qu'il a gagné...Il est beaucoup à la télé. Avant il était plus là, plus accessible. Les scientifiques, il y en a la moitié qui ne comprennent rien à ce qu'il raconte. Déjà, vous avez du remarqué, il a un accent assez étrange. Mais en plus, ce n'est pas un biologiste, il a une approche assez étrange pour des biologistes classiques. Étrange et difficile d'accès. Parce que c'est des statistique, sur les revues de la littérature, c'est très orienté, ce n'est pas la science comme on la pense normalement. Il a des convictions, qu'il défend, mais c'est pas une suite logique d'évidences comme on peut le voir en biologie, où on a des paramètres finaux, on regarde ce que ça fait, dans quel sens ça va. Lui, il a des a priori, il essaye de démontrer qu'il a raison. C'est une démarche différente, donc les gens sont un peu perplexes.

Donc dans ça démarche, il n'ya pas le modèle hypothèseexpérience- conclusion ?

Non, il ne fait pas d'expérience. Il a des subventions pour les commencer, mais pendant des année il n'en avait pas du tout. Ce n'est pas un biologiste. C'était donc curieux de voir un non biologiste venir dire "moi j'ai des théories sur la biologie", sans pouvoir les démontrer. Ca fait deux ans maintenant qu'il a commencé à essayer de démontrer ses théories.

Enfin, le projet SENS, ça sert peut-être à ça, non ?

Oui, mais ça c'était différent, c'était qui pouvait faire vivre la souris la plus veille.

Et donc depuis deux ans il essaie de démontrer par l'expérience?

Non, mais bon, là j'ai pas le détail. Mais le financement devrait permettre d'aborder les expériences point par point. Je m'y suis justement intéressé car je prépare un événement pour la semaine prochaine -plus modéré- en affaire avec le marketing. J'ai regardé son site qui a pas mal évolué cette année. En fait il a des projets sur chaque point, alors qu'avant il n'y avait rien : c'était ses théories et ses idées. Il n'y avait pas de démonstration, mais là, il essaie. Les points ne sont pas discutables, car ils expriment une réalité. Tous les points qu'il aborde sont évidents, la vraie controverse est, est-ce que ça va permettre d'être immortel ? On sait bien qu'on ne pourra pas éliminer tout ça. Et puis, il n'y a pas que ça. Lui, il dit, en fait : avant les dommages, c'est de la génétique, c'est pas intéressant, après les dommages, c'est de la gérontologie, et ce n'est pas la peine de s'occuper des gens déjà vieux. Donc pour lui ce qu'il faut faire, c'est éliminer les dommages. Mais il ne pourra pas les éliminer, il y en a d'autre qui vont arriver. Forcément, les gens à n'importe quel âge, ils ont déjà des dommages qui sont déjà installés et il y a déjà des pathologies qui ne se voient pas et qui forcément conduisent à un vieillissement. C'est utopique de dire : "on va éliminer tous les dommages". Les biologistes savent bien, qu'en biologie, ce n'est jamais du 100%, qu'il y a toujours des feed-back qui fait qu'on peut pas faire ce qu'il veut. D'après moi, ça serait d'ailleurs létal si on faisait ce qu'il veut en vrai.

C'est vrai que si on élimine les dommages on ne peut pas savoir quelles conséquences ça aura réellement.

Non, pour moi, être aussi drastique, c'est n’importe quoi. Il veut par exemple éliminer tout le gel de la télomérase, c'est une hérésie ! Protéger la télomérase, pour qu'elle ne soit pas endommager, mais l'éliminer, ce n'est pas possible. Les chromosomes ne vont pas tenir. Il y a du vrai dans tout ce qu'il dit, mais poussé à l'extrême je pense que c'est extrêmement létal. Ce n'est pas oui ou non.

Vous dîtes, ce qui ne va pas chez lui, c'est son approche ?

Tous les points qu'il aborde pour lutter contre le vieillissement sont vrais. Ce qui me semble très discutable, de toutes façons dans quelques années il y aura la réponse, on verra bien sur les animaux, c'est d'aller jusqu'au bout du raisonnement et d'être drastique en disant j'essaie d'enlever toute la télomérase. C'est impossible, parce que je pense que ça n'est pas viable. Si on essaie ça sur un animal, ça va le tuer. Elles doivent être là, c'est lié à plein de phénomènes de réparations, de régulations, qui sont liés à la vie. C'est comme, il veut changer le système humanitaire, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. C'est quand même très important d'avoir un système imunitaire qui soit au top. C'est impossible de prendre en charge tout ce qui va se passer, car c'est très complexe. Bon il n'y a que très peu d'information sur les projets SENS en eux-mêmes. Je pense qu'il tient ça un peu secret aussi, qu'il ne veut pas dévoiler tous ses trucs. Je pense que c'est quelqu'un d'assez génial, il a de bonnes idées, il est un peu surprenant. Il a un attirance médiatique, c''est donc que c'est un personnage intéressant, il attire l'attention, c'est un vrai personnage, il a énormément de charisme. Et même parmi les scientifiques, on ne le comprend pas, ce n'est pas qu'une question de langue. Ce qu'il dit ne suit pas la logique biologique. C'est très difficile d'y voir la pertinence, parce qu'il mélange des statistiques avec des paramètres biologiques sur lesquels il n'a pas l'expertise, ce n'est pas un biologiste. Une personne dont ce n'est pas la spécialité ne peut pas avoir un avis sur chaque chose.

Est-ce que selon vous, cette nouvelle approche est un avantage pour lui, il amène une nouvelle façon d'appréhender les problèmes, ou bien est-ce un désavantage de ne pas suivre une méthode reconnue depuis longtemps ?

La méthode qu'il a, elle est finalement reconnue depuis longtemps, puisque tout ce qu'il dit est vrai. Pour la longévité, il n'y a rien de mieux. Pour son prix de la souris Mathusalem, chacun était libre de faire ce qu'il veut. Maintenant, je ne sait pas se les gens vont réussir - bon, je n'en sais rien vu qu'il n'y a pas d'information sur son site-, si des équipes vont vouloir mener ces projets. Est-ce-qu'il aura des animaux viables déjà ? La question n'est même pas de savoir s'ils vont vivre longtemps. C'est tellement drastique, que je me pose des questions sur la viabilité d'un tel projet. Il y a pas mal de scientifiques qui pensent qu'il est fou !Si on prend un point séparé, oui c'est n'importe quoi. L'ensemble est vrai, mais aller jusqu'au bout de son raisonnement, le faire et voir si ça marche,c'est tellement drastique, que je ne suis pas sûre. La question est là.

Donc vous, vous n'arrivez pas vraiment à vous positionner par rapport à est-ce que ça va marcher ou pas ?

Moi je pense que ça ne va pas marcher. L'idée est vraie, mais pousser à l'extrême c'est n'importe quoi. On n'a pas de gène de vieillissement dans l'être humain, on n'a que des gènes de longévité qui s'altèrent, en gros, avec le temps et l'âge. C'est pas comme si, il fallait éliminer quelque chose qui ne marche pas. Ce qu'on veut, c'est que tout marche bien, le plus longtemps possible. Mais ce n'est pas possible, la nature n'est pas faite pour ça. Les gènes vont forcément subir des mutations, des dommages. Ca ne peut pas être uniquement les 7 points, ce n'est pas possible, ça ne peut pas être aussi simple. Il y a aussi tout ce qui est hormonale, tout ce qui passe dans le sang. Ce sont aussi des points pointus, qui font qu'on ne peut pas se limiter à 7 points. La complexité du monde biologique ne se résume pas à 7 points...

Vous dîtes, ce n'est pas réductible à 7 points, pourtant c'est ce qu'il a l'air de soutenir ?

Non, moi je ne le pense pas. Ces points, oui ils vont aider à combattre contre le vieillissement, mais je suis sûre qu'on pourra en trouver un 8ème, puis un 9ème... Je pense qu'il n'y a pas de clé, et la moitié de la planète en est convaincue. Bien sûr on va avancer, on sait que les enfants qui naissent maintenant, d'après les prédictions, vont être centenaires.

Oui, enfin, ils ne seront pas millénaires.

Voilà. Les enfants qui naîtrons dans 100 ans ans ils seront peut-être centcinquantenaires, mais ce ne sera pas millénaires. Une telle transition, c'est n'importe quoi. Ce n'est pas si simple.

Juste, on n'a pas bien posé les bases avec vous, quelle est exactement votre fonction chez Dior ?

C'est LVMH recherche, enfin pour Dior principalement. Je développe la stratégie anti-âge pour les produits LVMH. Pour cela, on a des recherches en interne, sur le vieillissement. Par exemple, on vient de sortir la nouvelle gamme capture totale, pour celle là, on a montré qu'avec l'âge, il y avait une augmentation des protéines oxydées. On a donc réussi à montrer qu'en luttant contre ça on avait une amélioration cutanée. Donc pour ça, on a nos recherche en interne, mais aussi un collaboration, avec Bertrand Friguet. On a mis en place des collaborations, des programmes de recherche en interne, pour développer les produits anti-âge. Je m'occupe aussi de vendre le projet scientifique, car il faut arriver à un produit. Et donc pour des projets de recherche qui vont nous prendre plusieurs années, il faut arriver à un produit demandé par le service marketing.

En générale, vous négocier avant de faire les recherches, ou après ?

Les deux. Si on a une intuition, on ne va pas les attendre, car eux, ce ne sont pas des scientifiques. Mais après, c'est à nous de les convaincre. Ensuite, ils nous émettent des brief-marketing et on essaie d'y coller. En générale, je leur fais aussi des prospectives, pour les aider à regarder ce qui se fait, les brevets déposés, etc. Pour les amener un peu sur des sujets qu'on trouve tendance et qu'on a déjà commencé à un peu regarder, pour d'abord les intéresser. Ensuite après, ils vont écouter un peu ce qu'il se passe et ils vont venir vers nous, ou pas. Mon rôle est aussi de développer des brevets et d'avoir des publications, d'être reconnue scientifiquement.

Vous êtes chef de projet, en fait ?

Non je suis coordinateur scientifique. Chez nous, c'est un peu particulier. On a une organisation transversale, il a des départements. Je suis responsable du département des sciences du vivant. Il ya des responsables d'axes de recherche. Moi je suis responsable de l'axe de recherche longévité. Je suis chef de projet pour certains de mes projets, mais pas tous. Je ne suis pas hiérarchiquement responsable d'une équipe de recherche. Je dispose de facilités dans le département, si j'ai besoin pour un projet. J'ai des ressources humaines dans le département, mais je ne suis pas responsable hiérarchique des personnes. J'ai une quarantaine de projets, mais je ne suis pas responsables de tous les projets. Je suis responsable du portefeuilles des projets.

Du coup, vous n'êtes plus beaucoup dans les labos ?

Non, je ne vais plus dans des laboratoires. Je ne fais plus de recherche. Enfin si, puisque je les suis directement, je fais de la recherche toute la journée. La particularité qu'on a chez LVMH recherche, c'est qu'on s'occupe du développement du produit. C'est à dire qu'on accompagne le projet de la proposition marketing, après on travaille, il y a le débrief marketing, puis on travaille en parallèle avec les équipes qui formulent les crèmes. On travaille en parallèle avec eux pour les orienter dans le choix des molécules qui vont marcher sur les acteurs ciblés dans l'optique de l'anti-âge. Après on va donner les bases scientifiques au marketing pour l'aider à faire une revue de presse. On s’occupe donc de la recherche et du développement.

Ce que vous appelez une stratégie anti-âge, ça n'a pas du tout les mêmes objectifs qu'Aubrey de Grey ?

Non, non notre cible se positionne juste au niveau de la peau. Moi je suis spécialisée dans l'in vitro, donc tout ce qui est biologie cellulaire. Nous on est dans un département qui s'occupe de l'in vivo qui va justement aller prendre tous ses projets là, ces produits finis et faire des essais in vivo. Ce qu'ils font là-bas, c'est impressionnant, moi je m'occupe de la stratégie au niveau de la biologie. Je ne sais par exemple absolument pas faire une crème. Je ne m'occupe pas des tests in vivo, etc. J'ai une formation de toxicologue à la base, mais je n'exerce plus ce métier.

Et comment vos budget vous sont accordés?

C'est une enveloppe.

Vous voulez dire, chaque année vous avez une enveloppe que vous dispatcher entre les différents projets ?

Non ce n'est pas si simple. Ca dépende du chiffre, l'anti-âge par exemple c'est 80%.

L'anti-âge c'est 80% des recettes ?

Oui, enfin du secteur soins seulement, il y a aussi le maquillage, l'amincissement, les parfums, tout ce qui est hydratant... Les budgets, c'est assez compliqué, car déjà il y a des projets qui demandent plusieurs années, il y a aussi des doctorats qu'on finance. Puis, il y a parfois des sujets qui sont plus ou moins imposés, on doit travailler sur ces sujets là, c'est-à-dire que dans le budget, il y a des impératifs. On propose tous les ans des collaborations et en générale on les a.

C'est donc la direction de LVMH qui vous donne un budget, en fonction de ce que vous proposez comme projet ?

Voilà, il y a un budget global, mais il faut défendre chaque projet pour qu'il en est une part. Il faut faire une présentation, aller le vendre et s'accrocher. Ce ne sont pas des scientifiques, mais ils vont quand même poser pleins de questions : quels sont les coûts? quels sont les moyens? quelles sont les embûches que vous allez avoir ?

Quels étaient les avantages de faire appel à Aubrey de Grey pour votre symposium ?

Parce que la mitochondrie, c'est la clé de voute de la jeunesse. Donc lui, il s'intéresse forcément à la mitochondrie.

Donc il a fait une conférence sur le sujet très précis de la mitochondrie?

Non, il a fait son truc, mais bon au milieu, il y avait la mitochondrie. Vous savez, nous on pose un cadre, mais après chaque conférencier est libre de choisir sa présentation.

Ce symposium que vous avez organisé, c'est ici, à Paris ?

Oui.

Et le groupe LVMH en dit quoi d'une telle organisation ?

C'est bon pour leur revue de presse, car on invite aussi des journalistes. On essaie de coïncider avec des lancements qui ont lieu dans les mois qui suivent. On essaie de faire des conférences de presse, par forcément sur le sujet exact du symposium, mais juste après, avec des gens qui souvent ont mené une conférence, qui sont partenaires. Comme ça les journalistes qui sont venus au symposium, viennent aussi pour la conférence de presse. Ca fait un peu un "buzz" autour du truc et c'est bon pour l'image de LVMH.

Donc l'intérêt du groupe c'est de montrer qu'il fait de la recherche et que ça avance ?

Oui, qu'on fait de la recherche et qu'on collabore. On est très forts pour les collaborations. Notre stratégie de recherche pour la marque, c’est de montrer qu’on collabore. Des marques comme l’Oréal, qui est beaucoup plus important que nous, ont beaucoup plus de recherches en interne et moins de collaboration. Eux, ils sont organisés par départements clés, travaillant sur une seul sujet, alors que nous, nous avons un seul département pour la science du vivant, nous avons pas un petit groupe de 10 personnes travaillant sur l’antiâge. L’intérêt du groupe c’est aussi montrer qu’on est là inviter nos collaborateurs et nos futurs collaborateurs.

Pour les remercier ?

Pas que les remercier, mais aussi les rendre visible auprès des scientifiques et montrer que nous nous intéressons aux avancées de la science.

Le grand publique n’est pas du tout au courant ?

On invite des journalistes, mais il n’y a pas de grandes retombées. Quelques encarts dans les journaux, mais pas plus. On vise avant tout les publications scientifiques et à avoir une reconnaissance de la communauté scientifique.

Et ça permet de faire du recrutement pour le groupe?

Non, jamais. On ne cherche pas à recruter, on cherche à étendre notre rayon scientifique. Afin que tout le monde se rencontre, parce qu’on invite par forcément les gens qui ne travaillent que sur la mitochondrie, car sinon on aurait trois personnes.

Et pourquoi avoir invité Aubrey de Grey ?

Il faut dire qu’on invite des conférenciers classiques, qui ne cherche pas à bouleverser le monde. Donc au milieu de cela on en invite un plus original. Il faut dire, il y en a pas beaucoup des personnes qui veulent bouleverser le monde ! Il y a un américain qui travaille avec lui, Kurzweil, mais sinon il n’est pas tellement encadré. Une équipe ne peut pas se réunir autour de lui, ces idées sont tellement utopiques ! Au CNRS, on regarde, mais on ne mettrait pas une équipe sur le coup, ce n’est pas crédible du tout.

Et en invitant Aubrey de Grey à votre symposium, vous n’aviez pas peur des retombées?

Non, on montre qu’on a une ouverture d’esprit, qu’on écoute ce qu’il y a à dire. Après, chacun est libre de se faire son jugement, on ne dit pas, qu’on cautionne à 100%. On écoute et puis on voit. On invite pas non plus que les révolutionnaires, de toutes façons, il n’y en a pas beaucoup.

Est-ce que vous savez quels ont été les ressentis ? Est-ce que les gens ont pensé que vous aviez créé une mèche d’adhésion avec Aubrey de Grey ?

Non. Seulement, depuis notre marketing suit cette tendance.

Oui, on a remarqué la nouvelle pub de Capture Total dont les slogans sont proches des propos d’Aubrey de Grey. En fait c’est vous qui avez créé le contact entre LVMH et Aubrey de Grey avant le symposium?

Oui, enfin je le connais personnellement, mais c’est aussi quelqu’un de très accessible.

Et ensuite seulement, le marketing a commencé à s’intéresser à lui ?

Oui.

Est-ce qu’il s’intéresse aussi à sa façon de communiquer, qui est très ouverte ? Il a une façon de fasciner le grand publique quand même ?

Exactement.

La communauté scientifique ou le grand publique ?

Le marketing voit que c’est un personnage médiatique et qu’au milieu de ses thèses, on a nous deux trois trucs sur lesquels on travaille. On ne cherche pas à rendre les gens immortels, mais quelqu’un comme lui, qui rassemble des millions de dollars, qui a une crédibilité internationale, même si elle est controversée, c’est bien pour nous de montrer qu’on travaille sur les mêmes sujets. Mais pas de la même manière.

Le marketing est en train d’essayer de mettre ça en valeur auprès du grand publique ?

Non, pas vraiment. On a organisé cette grosse rencontre il y a trois ans. La longévité nous intéresse.

Je ne comprends pas très bien ce que le marketing cherche à faire avec Aubrey de Grey ?

Rien, ils se tiennent au courant, ils regardent tout. Je leur ai amener le dossier du Courrier International un jour, ils en avaient entendu parler et ça les a intéressé. Même si on ne va pas mener ses recherches jusqu’au bout.

Pourquoi il le suive alors ?

Parce que on leur en a parlé et que c’est un gars marrant et sympathique. Je veux dire dans le sens qui a des théories sur la longévité, et nous on a fait un gros événement sur ce thème là. On ne peut pas s’intéresser à lui.

C’est peut-être aussi parce que c’est quelqu’un qui se fait très bien entendre et qu’il peuve y voir un intérêt ?

Très bien entendre, mais très mal comprendre. Il y a une sorte de flou. Alors niveau scientifique, zéro, et pour le grand publique, j’ai vu un de ses shows : il rentre dans le détail ! Donc les gens ne comprennent pas, pourtant tout le monde est fasciné. Parce que le but c’est d’être immortel et qu’il assure qu’il a la clé. C’est une idée très séduisante. Justement, je fais une conférence dans deux semaines, sur la maintenance des protéines endommagées cutanées. Les thèses d’Aubrey de Grey, ça ne va rien avancer dans le sens où ce sont des recherches bibliographique qu’il a menées, et ce qu’il avance, c’est évident que c’est nécessaire. C’est quand même quelqu’un qui n’a jamais touché une pipette de sa vie, donc il ne faut pas exagérer. Forcément tout ce qu’il dit ça existe, il n’a rien inventé. Il a pris des idées qui existaient déjà et les a poussé au bout du possible. Avec une de ses idées, on a réussi a faire vivre les mouches deux fois plus longtemps. Avec une meilleure qualité de vie (il y a des moyens d'appréhender la qualité de vie des mouches). Nous on travaille sur rien de tout ça, on travaille sur la peau.

Est-ce que l’intervention d’Aubrey de Grey a eu un quelconque effet sur le groupe LVMH ?

C’était intéressant que le marketing soit sensibilisé. Eux, ils ont trouvé que c’était super, car c’est quelqu’un qui a des convictions et qui est passionnant. Mais sur le coup, ils n’ont pas compris un mot, après coup on leur a fait une traduction...

Est-ce que ça a orienté votre politique de recherche ?

Non, pas du tout. Je m’intéresse déjà à ses thèses. D’ailleurs, je suis un peu frustrée, car il n’y pas les détails sur ses projets, on ne sait rien de ce qu’il fait. C’est un peu bizarre. C’est une question que j’aimerais bien lui poser : où est-il et que fait-il ?

Vous n’avez aucune idée avec quel biologiste il travaille, quel laboratoire ?

Je n’ai pas cherché pendant des heures, mais tout cela, ce n’est pas mis sur son site.

Ce qui est étonnant, c’est que quand on lui pose des questions, car on a écrit un mail à la fondation Mathusalem, les réponses sont très floues.

Je pense qu’il surfe un peu sur sa vague médiatique et je ne sais pas, en effet avec qui il va pouvoir travailler.

Vous pensez qu’il a du mal à trouver des laboratoires pour travailler avec lui, à cause de ses théories qui sont un peu farfelues ?

Déjà, les laboratoires sont financés par des subventions ou des institus, on ne finance pas la recherche publique pour de tels projets ! Et les laboratoires privés ça ne les intéressent pas.

Pourquoi ?

Mais parce que qui va faire ça ? il n’y a pas de produits à commercialiser. Il pourrait vendre du conseil ou des concepts, ça fait un moment qu’ils essaient. Ils ne trouvent pas, je pense, de laboratoire pour travailler avec eux. C’est dommage, car ils ont quand même pluieurs millions.

D’où est-ce qu’il vient cet argent ?

Je crois qu’il y a un ou deux donateurs. Des donateurs privés qui l’aident. Je crois qu’il y a aussi une fondation américaine. Mais je sais qu’il a des millions de dollars. Je ne vois pas l’NIH, l’équivalent de l’INSERM, donner des millions pour ça. Car ils sont hyper pointus et sérieux.

Est-ce-qu’il est subventionnée par Cambridge ?

Oui, enfin pas à la hauteur de millions de dollars. Son laboratoire, ce n’en est pas un, c’est un bureau où il est tout seul. Quand on le connaît, c’est un gars super, il est vraiment sympathique, accessible, enfin quand on comprend ce qu’il dit, il est dynamique et il s’investit à fond dans ses conférences, il sait très bien animer un congrès. Déjà, en ce moment on ne le vois plus du tout, je ne sais pas s’il est toujours aussi accessible.

Que comprennent les gens dans son discours?

Personne ne comprend rien à ce qu’il dit...

Mais vous n’avez jamais rencontré quelqu’un qui soit contre ses théories ?

Si, il y en a beaucoup qui pensent que c’est un huluberlu. Après, quand on est scientifique, il faut savoir être ouvert, on ne sait pas ce que ça va donner.

Vous n’avez jamais rencontré personne qui le soutenait ?

Des scientifiques qui pensent que c’est un gars intelligent, oui, c’est évident.

Mais s’il est si intelligent, pourquoi est-ce qu’il va aussi loin ?

Il y a des gens qui sont extrémistes et qui sont convaincus de leur convictions. Je pense qu’il est sincère dans ce qu’il dit, ce n’est pas un escroc ! Mais ce n’est pas un biologiste, c’est là ce qu’on lui reproche. Il n’a peut être pas la nuance nécessaire. Le corps humain, ce n’est pas une machine. C’est très complexe, et il y a plein de choses qu’on ignore encore. Il y a des milliers de gens qui publient chaque jour sur la biologie, et on en a pas finit ! On en aura jamais, car c’est illimité, car il y a autant d'interactions que de molécules, on ne pourrait pas en faire la liste ! Plus on cherche, avec toutes les technologies, on peut tout voir et se rendre compte que tout interagit avec tout. C’est normal, c’est tellement complexe, donc si on change un paramètre, on change tout. Du coup, c’est difficile de voir où est la vérité dans une affirmation, car c’est artificiel. Après tout est interprétable, il y a des gens qui se sont spécialisés dans l’analyse des intéractions. La génomie, tout ça, c’est très intéressant, et on en fait heureusement. Poussée de plus à l’extrémité, alors bien sûr il y aura des choses qui vont en sortir. Mais est-ce que ça va nous rendre immortel, je ne suis pas sûre. Déjà, on va voir les souris. J’aimerais bien, je serais fascinée. Mais déjà, je ne vivrai pas assez vieille pour le voir. Une personne ne pourra pas mener ce projet à bout.

Par ailleurs, les interventions qui ont été menées sur les souris pour le prix de la fondation Mathusalem, c’étaient des manipulations génétiques, on ne pourrait jamais faire ça sur des humains.

On peut pas, en effet, on ne va pas essayer, c’est interdit par la loi. Donc l’affaire est réglée.

Le but ça n’est pas quand même de le faire un jour sur l’homme ?

Déjà, il faudrait que ça marche sur un petit animal, puis un plus gros. Mais j’attends déjà de voir un petit animal. Car pour l’instant ce sont juste des mouches ou des souris. Sur une souris qui vit deux ans c’est facile. Mais un homme qui vit 80 ans, il faut suivre. Et les dérives vers l’eugénisme et autres sont faciles ! Mais bon, on en est pas encore là.

Mais alors est-ce que le débat ne se pose même pas ?

Si, il se pose. Dans 100 ans, peut-être, si les gens arrivent à faire ce qu’il dit. Car moi je pense que ça va être létal pour les animaux.

Et par rapport aux conséquences sociales d’un tel changement?

Je ne sais pas ce qu’on fera des bicentenaires et des tricentenaires, qui va les financer ? Vont-ils travailler jusqu’à 150 ans? Et s’ils sont grabataires pendant 200 ans ? Moi je ne l’accepterais pas !

Pour revenir sur l’intervention d’Aubrey de Grey au symposium, quelles étaient les modalités financières ?

Sans doute des indemnités de voyages, c’est possible qu’il ait une petite rémunération. Mais les scientifiques ne cherchent pas à être payés, ils cherchent à être entendus. On ne finance pas le projet des gens quand on les invite, on finance le déplacement, éventuellement l’intervention. Mais ça ne sera pas grand chose.

Est-ce-que le groupe LVMH soutient d’une quelque façon que se soit le projet d’Aubrey de Grey ?

Non, pas du tout.

Et vous savez s’il y a une entreprise qui le finance ?

Je ne pense pas. C’est trop important comme projet. Il n’aurait pas d’intérêt financier, à part payer. Il faut tellement de moyens, et tellement de personnes, tellement de temps, avant qu’il y ait un rendement économique. Il y a peut-être moyen de faire des médicaments qui agissent sur un des points qu’il cite. Mais tous ensemble, ce n’est pas possible. Agir sur tous ces points, c’est ridicule.

Est-ce que vous connaissez des scientifiques qui se sont opposés clairement à Aubrey de Grey ?

Oui. Même les gens qui le côtoient, avec qui il a de bonnes relations, ils ne l’accompagneraient pas dans ses ambitions. Ils le trouvent intéressant, car c’est quelqu’un qui va jusqu’au bout de ses convictions. Ca fera avancer la science quand même.

Est-ce-que l’intervention d’Aubrey de Grey a suscité des débats au sein de LVMH? Avant ? Après?

Avec le marketing, peut-être un peu. Ce ne sont pas des scientifiques, ils ont été interloqués. Ils m’ont demandé si ça marche.