Analyse d'un livre-phénomène

Est notamment concerné le chapitre où Piketty loue la politique du New Deal du démocrate Franklin Roosevelt. Selon Philip Magness et Robert Murphy, au sein du paragraphe dans lequel il évoque le New Deal, « ses dates sont toutes fausses ». En particulier, Piketty écrit : « Roosevelt arrive au pouvoir au début de l’année 1933, alors que la crise dure déjà depuis plus de trois ans et qu’un quart du pays est au chômage. Il décide immédiatement de relever fortement le taux supérieur de l’impôt sur le revenu, qui avait été abaissé à 25% à la fin des années 1920 et sous la désastreuse présidence Hoover, et qui passe à 63% dès 1933 » . Or c’est en 1925 que le taux supérieur de l’impôt est abaissé à 25 %, ce qui n’est donc certainement pas le fait du républicain Hoover qui prend ses fonctions en 1929. Et surtout : c’est bien Hoover et non Roosevelt qui a relevé le taux de l’impôt jusqu’à 63 %, en 1932.  Magness et Murphy corrigent également Piketty sur la question de l’évolution du salaire minimum sous les différentes administrations américaines : Piketty affirme à tort que cette quantité stagne sous certaines présidences républicaines et augmente sous les mandats démocrates. Le salaire minimum a en fait augmenté sous tous les mandats : ce qui en plus de modifier sensiblement l’interprétation qu’en tire Piketty produit un sentiment de partisanisme politique selon les chercheurs américains.

Alors que Thomas Piketty prétend que le décile supérieur britannique (les 10 % les plus riches de la population) possède 71 % de la richesse nationale, le Financial Times obtient le chiffre de 44 % en utilisant les chiffres de l’Office for National Statistics. Piketty, dans une réponse adressée au journal anglais, se défend en critiquant la méthodologie du Financial Times : le journal se base sur des données d’enquête plutôt que sur des données fiscales, les premières ayant le réputation de sous-estimer les patrimoines les plus élevés.

 Cependant, Piketty lui-même se rend coupable du même travers sur la série de données concernant les États-Unis, les chiffres datant d’avant 2004 provenant des données sur les impôts de succession, les autres provenant des enquêtes SCF (Survey of Consumers Finances), susceptible de jouer sur l’évolution relativement brusque de la part du centile supérieur aux États-Unis aux alentours de 2004.

On pourrait citer de nombreux exemples. Les chercheurs du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) mettent en avant le fait que Piketty considère tous les logements comme du capital, mettant sur le même plan les domiciles dans lesquels les propriétaires habitent et les habitations secondaires ou louées. Selon eux, même si l’on habite dans une maison luxueuse, ça ne représente pas un capital plus important. C’est certes du patrimoine, mais on ne peut pas la considérer comme un bien rapportant par exemple 5 % de sa valeur par an, au même titre que d’autres formes de capital. Au contraire, de telles possessions impliquent des coûts d’entretien d’autant plus élevés que les propriétés sont grandes.

Frédéric Boccara reproche en outre à Thomas Piketty de ne pas tenir compte des effets de levier dans sa définition du capital. Il fait remarquer que par d’habiles calculs, certaines sociétés n’ont qu’à investir un capital réduit dans d’autres sociétés pour être majoritaires et peser sur les politiques de celles-ci et avoir indirectement sur la main sur un capital bien plus grand. À titre d’exemple, Boccara cite le cas de la famille Peugeot qui en injectant une centaine de millions d’euros (quantité comptabilisée dans la définition du capital de Piketty), active une chaîne d’une valeur de 60 milliards d’euros (quantité non comptabilisée par Piketty).

Faute de données historiques disponibles en quantité suffisante, Piketty exploite principalement des séries de données concernant la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Certains chapitres traitent succinctement le cas d’autres pays, notamment la Suède, l’Allemagne, le Japon… Piketty lui-même est le premier à déplorer ce manque de renseignements : « Je souligne depuis le début que nous avons trop peu de données historiques à notre disposition pour pouvoir en tirer des jugements définitifs » [2] La documentation disponible dans chaque pays varie très fortement selon les zones du globe et selon les époques, et est bien moins facile à trouver dans les pays émergents. Même en Europe, certains pays ne disposent d’observatoires sur les patrimoines que depuis le XXème siècle.

En outre, Piketty argue que certains cas particuliers, comme celui de la France, peuvent être considérés comme particulièrement représentatifs des changements connus par le monde développé à travers les époques.